Archivo mensual: julio 2016

Semaine 5: Les obligations découlant des droits de l’homme

Cette partie du cours aborde la question des effets juridiques des droits de l’homme. En vertu d’une évolution qui leur est propre, les droits de l’homme, tels qu’ils résultent de la typologie et de l’autonomie qui les caractérisent, déploient de nos jours des effets pluriels. Combinés dans une perspective de complémentarité (et non d’exclusion), ces effets sont porteurs d’un faisceau d’obligations parfois complexes. Celles-ci ne lient plus seulement les autorités et organes étatiques, mais sont parfois susceptibles de gouverner également  les rapports des particuliers entre eux. Cette vision évolutive des droits de l’homme permet également  d’aborder les perspectives nouvelles relatives à la mise en œuvre de ces droits. Le cours poursuivra trois objectifs : (1) exposer les effets des droits de l’homme en droit contemporain ; (2) évoquer l’évolution que ces effets ont subie ; (3) souligner l’originalité liée à l’autonomie des droits de l’homme, ainsi que les perspectives nouvelles de leur champ d’application.

Lectures préalables :

Pour en savoir plus :

  • CHATTON Gregor T., Vers la pleine reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels, Zurich 2014
  • SHUE Henry, Basic Rights, Affluence and U.S. Foreign Policy, Princeton 1980
  • SOMA Abdoulaye, Droit de l’homme à l’alimentation et sécurité alimentaire en Afrique, Zurich/Paris/Bruxelles 2010

 

INTRODUCTION

Bonjour. Après l’étude des sources, et lors de la dernière session, celle de la typologie des droits de l’homme, avec ma collègue Maya Hertig Randall, nous allons à présent nous intéresser aux effets des droits de l’homme. Pour cela, il faut rappeler à titre préalable que les droits de l’homme sont, sont devenus des droits à part entière. Ils ont connu une évolution importante au cours des âges et dépassé de nos jours le stade de simple postulat philosophique contenu dans des Déclarations pour être pleinement intégré à des instruments normatifs, destinés à déployer des effets juridiques. Mais, au fond, qu’est-ce que cela signifie? Quels sont les effets des droits de l’homme? Nous avons vu qui sont leurs titulaires, mais qui sont leurs destinataires? Et, plus largement, quels sont les obligations et les effets qui leur sont attachés sur le plan juridique? Cette question est une question centrale, c’est l’une des plus importante et des plus débattues en droit contemporain. Et cette question renvoie bien entendu à la notion et au contenu des droits de l’homme, qui sont des thèmes qui sont des thèmes que nous avons déjà  partiellement eu l’occasion de traiter ensemble, et sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir lors de sessions ultérieures.

Le plan que je vous propose de suivre pour traiter des effets des droits de l’homme, va d’abord nous pousser à nous interroger sur trois types d’obligations, l’obligation de respecter, l’obligation de protéger, et l’obligation de mettre en œuvre. Nous verrons ensuite que les droits de l’homme de nos jours, ne lient pas seulement juridiquement les États, mais qu’ils peuvent aussi à certaines conditions déployer des effets dans les relations interindividuelles, et donc quelque part lier les individus entre eux dans leurs rapports de nature privée. Nous terminerons par un bref exposé sur certaines des perspectives nouvelles liées aux effets des droits de l’homme.

 

L’OBLIGATION DE RESPECTER

[MUSIQUE] [MUSIQUE] Commençons avec l’obligation de respecter. Le respect des droits de l’homme se présente au fond comme l’effet peut-être le plus simple et le plus intuitif attaché à ses garanties. Prenons, par exemple, l’article 2 paragraphe premier du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques. Je cite, à teneur de cette disposition, « les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte […] » (Art. 2 par. 1. Du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) du 16 décembre 1966).

L’effet attaché aux droits de l’homme, via l’obligation de respecter, suppose que l’accomplissement de ces droits s’épuise en quelque sorte dans leur seule proclamation. Au fond, le fait d’énoncer, de dire, de consacrer le droit est une manière de le garantir et déjà de dire, de définir, de proclamer ce que vont être ses effets. Je prends un autre exemple, avec l’article 6, toujours du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, qui dispose que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. […] Nul ne peut être arbitrairement privé de sa vie » (Art. 6 par. 1. Du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) du 16 décembre 1966). La garantie d’un droit comme celui-ci suffit à comprendre ce que son respect signifie. Dans tous les cas, le droit à la vie implique, impose à l’État un devoir d’abstention, une interdiction, celle en l’occurrence, de priver une personne de sa vie. Dans un cas comme celui-ci, l’obligation de ne pas intervenir via une interdiction permet au droit en cause de déployer ce qu’on appelle son plein effet utile.

Un arrêt célèbre emprunté à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme permet d’illustrer le propos. Il s’agit d’une affaire jugée le 13 août 1981 par la Cour de Strasbourg, dans un cas intitulé Young, James et Webster contre Royaume-Uni[1]. Il s’agissait, dans cette affaire, de l’obligation faite à trois employés de la Société des chemins de fer britanniques de s’affilier à l’un des trois syndicats qui étaient actifs dans cette entreprise sous peine, pour les intéressés, de perdre leur emploi. La situation de fait se présentait donc dans des termes assez simples, soit les intéressés faisaient obligatoirement partie d’un syndicat qui leur était imposé, il n’y en avait que trois à disposition, soit ils choisissaient de ne pas faire partie de l’un de ces syndicats et alors, ils encouraient le risque d’être licenciés et donc de perdre leur emploi. En l’occurrence, faute de remplir cette condition, c’est-à-dire pour avoir refusé de s’affilier à l’un de ces syndicats, eh bien, les trois employés en cause furent licenciés. Dans cette affaire, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a constaté une atteinte à  la liberté d’association, au sens de l’article 11 de la Convention européenne. Il s’agit d’une disposition qui garantit la liberté de s’associer et de fonder des syndicats, y compris celle de ne pas être contraint d’adhérer à  des associations de ce genre. En d’autres termes, dit la Cour dans cette affaire, la liberté d’association comprend le droit de choisir de ne pas adhérer à un syndicat. En l’occurrence, l’obligation de respecter se confondait avec un effet négatif attaché aux droits de l’homme en cause, sous forme d’une interdiction faite à l’État d’intervenir, l’obligation de ne pas faire, l’obligation de laisser faire et de laisser les individus agir à  leur guise, sans menace d’un quelconque agissement ou d’une quelconque sanction de l’État, tous ces droits font partie intégrante de l’obligation de respecter la liberté d’association des travailleurs.

Au fond, ces effets liés à l’obligation de respecter correspondent assez bien aux droits de l’homme dits de la première génération, tels que nous les avons étudiés lors de la dernière session avec ma collègue Maya Hertig Randall, c’est pourquoi ces effets ont pendant très longtemps étés associés, même assimilés aux libertés, c’est-à-dire à des droits de l’homme caractéristiques de la première génération impliquant une obligation de ne pas agir, de ne pas intervenir en d’autres termes, de laisser simplement faire les individus selon leur désir, à leur guise. Concernant la liberté d’association, l’obligation de respecter s’étend tant à la liberté de s’associer qu’à celle de ne pas adhérer à une association.

Il faut relever toutefois que, en droit contemporain, l’obligation de respecter joue assez bien aussi pour d’autres droits, en l’occurrence pour les droits de nature sociale. Par exemple, le droit de bénéficier de services sociaux qualifiés au sens de la Charte Sociale Européenne, signifie notamment que toute personne doit pouvoir accéder à des services de ce genre, sans discrimination, sans empêchement majeur. L’obligation de respecter, dans un cas comme celui-ci, signifie l’interdiction faite à  l’État de priver indûment une personne de l’accès aux services sociaux et, bien entendu, aux prestations distribuées par des services de ce genre. Autre exemple, emprunté lui aussi aux droits de nature économico-sociale, le droit au logement. Le droit au logement suffisant au sens du Pacte international relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels, ce droit signifie que l’État ne saurait indûment déloger une personne qui occupe valablement un logement, sans autre forme de procès. Se loger est, en effet, une faculté qui fait partie intégrante des besoins élémentaires de toute personne, au sens de l’article 11 du Pacte international relatif aux droits Économiques, Sociaux et Culturels.

Les effets qui découlent d’obligations comme celle-ci, attachés à  l’obligation donc de respecter les droits de l’homme, sont au fond, assez évidents et assez éloquents. Ils ne sont pas suffisants pour autant, pour deux raisons. D’abord, parce que l’accès aux droits de l’homme suppose parfois des mesures actives, qui viennent en quelque sorte précéder ou prendre le pas sur l’obligation de ne pas intervenir. En outre, les attentes aux droits de la personne humaine peuvent ne pas émaner uniquement de l’État, mais aussi être le fait, c’est-à-dire provenir de personnes privées. C’est pourquoi, outre l’obligation de respecter, telle que nous venons de la voir, celle cette fois de protéger, permet de compléter les effets juridiques attachés aux droits de l’homme, par une dimension plus active, plus pro-active, comme nous allons le voir à  présent. [AUDIO_VIDE]

 

L’OBLIGATION DE PROTEGER

Passons donc à  présent à  l’obligation de protéger. Une tendance qui s’impose à l’heure actuelle, c’est que l’observation des droits de l’homme ne suffit pas, en d’autres termes qu’elle ne s’épuise pas dans leur seul respect, dans leur seule observation passive. Si cette obligation représente, certes, une exigence nécessaire, elle n’est pas suffisante pour autant. En d’autres termes, à l’attitude passive des pouvoirs publics, impliquant une abstention de leurs parts, cet effet des droits de l’homme, qui constitue un aspect important de la garantie de ces droits, eh bien, le constat signifie que cet aspect est simplement partiel, il est seulement une partie, une facette de l’accomplissement des droits de la personne humaine. En d’autres termes, une attitude plus active, proactive, impliquant une obligation concrète de protéger, alors, de manière active, positive, les droits de l’homme vient compléter celle liée au devoir de les respecter.

Je reprends l’exemple que nous avons vu il y a un instant, avec le droit au logement au sens du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La garantie de ce droit, le respect de ce droit ne suffit bien souvent pas à protéger les personnes déjà logées. Elle implique aussi, et peut-être même préalablement, que les personnes qui sont en quête d’un toit puissent effectivement trouver, accéder, à un logement. Les droits de l’homme, dans cette vision de protection, vont alors de pair avec l’adoption de mesures institutionnelles d’une nature très différente, liée à  celle de leur respect, des mesures qui visent à créer des conditions cadres, comme on dirait, à mettre en place, véritablement, des politiques publiques en vue de satisfaire les besoins les plus élémentaires, en particulier, de la personne humaine. L’obligation de protéger, historiquement, a souvent été associée, et même assimilée, aux droits sociaux parce que la réalisation de garanties, comme celles-ci ne peut pas se contenter d’une simple politique d’abstention, de laisser faire.

Ça, ça ne suffit pas. Mais, notez que le constat joue aussi pour les libertés ou pour les garanties de l’État de droit, qui sont des droits dits de la première génération, comme nous l’avons vu l’autre jour. Par exemple, le droit d’accéder à un tribunal, un tribunal indépendant et impartial, implique un ensemble de garanties, certes élémentaires de l’État de droit, mais des garanties qui doivent être mises en place à travers l’instauration, la création, l’entretien et le fonctionnement effectif d’un système judiciaire performant, ce qui implique l’adoption de mesures souvent, d’ailleurs, coûteuses par les pouvoirs publics : l’édification de bâtiments, la mise en place d’infrastructures, la formation et l’entretien du personnel judiciaire, d’un personnel de haute qualité, des mesures de contrôle liées à l’efficacité, à l’indépendance de la justice. Tous ces aspects, liés à  un droit pourtant dit de la première génération, ne découlent pas d’une simple obligation de respecter, elle passe, bien plus, par l’adoption de mesures proactives.

Un autre exemple, l’interdiction de la torture implique, de nos jours, nous l’avons vu, d’après la jurisprudence, une obligation d’enquêter. Eh bien, l’obligation d’enquêter, en cas de soupçon de violation de l’interdiction de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, suppose la mise à  disposition d’enquêteurs indépendants, disposants des compétences adéquates.

Voilà pourquoi la conception contemporaine des droits de l’homme, c’est un mouvement qui est encore en cours, distingue de moins en moins les obligations attachées à ces droits en fonction des catégories générationnelles ou des modalités historiques qui ont conduit à leur consécration. Au fond, la vision contemporaine des droits de l’homme consiste à dire que tous ces droits impliquent, certes à des degrés divers, une obligation de respect et aussi une obligation de protection, une obligation de respecter et une obligation de protéger à la charge des pouvoirs publics.

Je prends un exemple emprunté à un arrêt relativement récent, mais déjà  célèbre, de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans une affaire concernant la Suisse, jugée le 13 juillet 2006, qui mettait en cause l’impossibilité pour un homme âgé d’entreprendre les mesures d’expertise scientifique en vue de déterminer le lien de filiation avec son père présumé. L’intéressé invoquait devant la Cour de Strasbourg une violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Dans cette affaire, la Cour s’est exprimée dans ces termes, je cite :

« si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale. Celles-ci peuvent impliquer la prise de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 8 de la Convention ne se prête pas à  une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Pour déterminer si une telle obligation existe, il faut avoir égard au juste équilibre à  ménager entre l’intérêts général et les intérêts de l’individu ; […] » (CourEDH, Jäggi c. Suisse, 13 octobre 2006, par. 33).

Dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation.

Nous voyons, sur la base de cette citation, se dessiner une formule un petit peu plus large, selon laquelle l’obligation de respecter et l’obligation de protéger les droits de l’homme sont deux de leurs effets qui n’impliquent pas, ou plutôt, qui n’impliquent plus, de nos jours, de véritable distinction entre les libertés et les droits sociaux. Je prends un autre exemple. Il s’agit d’une affaire jugée le 9 octobre 1979, à  nouveau par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et qui, dans ce cas de figure, portait sur l’impossibilité pour une femme, faute de moyens financiers, d’accéder à  la justice irlandaise pour entreprendre une procédure de divorce. Dans cette affaire, la Cour s’exprime dans ces termes, je cite :

« La Cour n’ignore pas que le développement des droits économiques et sociaux dépend beaucoup de la situation des États et notamment de leurs finances. D’un autre côté, la Convention européenne des droits de l’homme doit se lire à  la lumière des conditions de vie aujourd’hui, et à l’intérieur de son champ d’application, elle tend à une protection réelle et concrète de l’individu. Or si elle énonce pour l’essentiel des droits civils et politiques, nombres d’entre eux ont des prolongements d’ordre économique et social. La Cour n’estime donc pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif qu’à  l’adopter on risquerait d’empiéter sur la sphère des droits économiques et sociaux ; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention » (Cour EDH Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, par. 26 (références internes omises)).

Un autre aspect lié aux effets juridiques, que déploient les effets de droits de l’homme, concerne leur champ d’application personnel. Nous l’avons vu, les droits de la personne humaine ont été conçus, historiquement, pour limiter l’action de l’État, ou pour inviter l’État à intervenir en vue de protéger les plus faibles, les plus vulnérables. En d’autres termes, le destinataire privilégié des droits de l’homme, le sujet passif, en quelque sorte, de ces garanties, eh bien, c’est l’État, l’ensemble des pouvoirs publics. De nos jours, on constate que si l’État reste, certes, un destinataire naturel, privilégié, des droits de la personne humaine, il n’est plus, aujourd’hui, le destinataire exclusif de ces garanties. Notamment, parce que des atteintes aux droits de l’homme peuvent aussi émaner de particuliers, par exemple, dans le cas d’une atteinte au droit à  la vie, à l’occasion d’un meurtre, ou d’un assassinat. Dès lors, la question se pose : est-ce que les droits de l’homme peuvent aussi s’appliquer aux relations privées ? Je dis bien aussi, il n’est nullement question de renier que les droits de l’homme restent applicables aux relations individus-État, mais est-ce que leur champ d’application n’est pas en quelque sorte plus large, et peut à certaines conditions gouverner également des rapports de droit privé, lorsque des atteintes à  ces droits peuvent être, émaner de particuliers.

Cette question est une question qui a été abondamment débattue au niveau du droit interne, du droit national à  propos des droits fondamentaux, elle se pose aujourd’hui également à propos du domaine des droits de l’homme. L’une des réponses qui est donnée à cette question aujourd’hui c’est de s’orienter avec certaines nuances toutefois, dans un sens favorable à la reconnaissance d’un effet dans les relations de droit privé. D’abord, parce que les lois étatiques, ça aujourd’hui c’est un point qui est acquis, les lois des États doivent être interprétées d’une manière conforme aux droits de l’homme. Mais de plus, ou de surcroît, lorsqu’ils s’y prêtent, les droits de la personne humaine peuvent aussi, le cas échéant, trouver application dans des rapports privés. La tendance actuelle en matière de reconnaissance des effets des droits de l’homme s’oriente favorablement vers la reconnaissance de tels effets dans les relations entre particuliers.

Je prends un nouvel exemple, emprunté à nouveau à  la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il s’agit d’un arrêt concernant la France, rendu le 29 avril 1997, dans le cas de l’expulsion de France, à destination de l’Amérique, d’une personne qui avait été arrêtée à  l’aéroport pour trafic de drogue. Dans cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’exprime dans ces termes. Je cite:

« L’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article trois de la Convention. Donc, engager la responsabilité de l’État en cause, au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra le risque, un risque réel d’être soumis à  un traitement contraire à  cette disposition » (CourEDH, H.L.R. c. France, 29 avril 1997, par. 40).

En d’autre termes, dit la Cour, « […] la Cour n’exclut pas que l’article trois de la Convention trouve aussi à  s’appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Mais alors, encore faut-il démontrer que le risque existe réellement, et que les autorités de l’État de destination ne sont pas en mesure d’y obvier par une protection appropriée » (CourEDH, H.L.R. c. France, 29 avril 1997, par. 40).

Dans le cas d’espèce, la Cour a retenu que ce risque n’était pas établi. Mais elle a quand même posé le principe, un principe qui est demeuré depuis dans sa jurisprudence, principe selon lequel les droits de l’homme peuvent aussi impliquer la prise de mesures actives de la part des pouvoirs publics, à certaines conditions, on l’a vu, lorsque les menaces susceptibles d’être portées à  ces droits n’émanent pas seulement de l’État lui-même, mais de personnes ou d’entités privées. Nous voyons donc qu’à l’obligation de respecter vient en droit contemporain s’ajouter une obligation de protéger, à l’égard de droits, des libertés, ce sont les exemples que nous avons pris sur la base de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui relèvent pourtant d’une génération de droits de l’homme qu’on a très souvent associés à une simple obligation d’abstention.

Aujourd’hui, cette dimension restreinte ne correspond plus à  la réalité Conventionnelle et judiciaire contemporaine.

 

L’OBLIGATION DE METTRE EN OEUVRE

La mise en œuvre des droits de l’homme représente le troisième aspect de leurs effets juridiques. Ici, dans une vision nouvelle, dans un regard nouveau, que nous portons sur les droits de l’homme, un regard nouveau mais non pas exclusif, complémentaire, par rapport aux deux obligations que nous avons vues précédemment. Dans cette perspective-là, les droits de l’homme ne sont pas seulement compris comme des droits individuels, des valeurs personnelles, mais sont plutôt vus, considérés comme des normes objectives issues du droit international public, qui sont porteuses de droits subjectifs. En d’autres termes, dans cette vision-là, les droits de l’homme possèdent une dimension qui est beaucoup plus large que la simple sauvegarde de droits individuels. Outre la sauvegarde de ces droits individuels, qui demeurent, je le précise bien, les droits de l’homme comprennent aussi une importante dimension institutionnelle qui est appelée à  gouverner l’ensemble des activités de l’État. Ils sont considérés, à ce titre, véritablement comme, comme des institutions de l’ordre juridique qu’il ne s’agit pas seulement de respecter et de protéger sous l’angle des droits individuels qu’elles garantissent, mais qu’il faut aussi développer dans une perspective plus large.

Plusieurs instruments contemporains en droit constitutionnel ou aussi en droit international ont, en quelque sorte, présenté des éléments, ont dégagé une vision nouvelle, relative à  cette dimension de mise en œuvre. J’aimerais ici me référer à  disposition originale qui est l’article 35 de la Constitution Fédérale suisse du 18 avril 1999. Je me réfère à  cette disposition qui traite de la réalisation des droits fondamentaux. Cette disposition a la teneur suivante, je cite : « Art. 35 Réalisation des droits fondamentaux : 1. Les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique ; 2. Quiconque assume une tâche de l’État est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à  leur réalisation ». Et la disposition précise encore que « 3. Les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux » (Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999).

On peut prendre un exemple pour illustrer le, le propos, cette fois, sous l’angle des droits de l’homme en droit international, en quittant les rivages des droits fondamentaux propres aux droits constitutionnels d’un État comme la Suisse. Prenons l’exemple du droit à  la vie. Dans un texte extrêmement important, qui a été rédigé en 1982 par le Comité des droits de l’homme, l’observation générale numéro six, relative au droit à la vie, et bien, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies relève que le respect et la protection du droit à la vie ne consiste pas seulement au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à  éviter qu’un État prive ses habitants du droit de vivre. La disposition, en réalité, se prête à  une interprétation beaucoup plus large selon laquelle, dans une perspective générale, les États doivent prendre toutes les mesures possible pour diminuer la mortalité infantile, pour accroitre l’espérance de vie, pour éliminer la malnutrition et les épidémies, pour prendre cette perspective-là. Eu égard au droit à la vie, le Comité des droits de l’homme observe que le respect et la protection de ce droit ne consistent pas seulement à éviter qu’un État prive des individus du droit de vivre, mais se prêtent à une interprétation plus large selon laquelle les États doivent notamment prendre toutes les mesures possibles pour accroître l’espérance de vie.

On l’a vu, les droits de l’homme possèdent ainsi deux faces. Un aspect lié au respect et à la protection des droits individuels mais aussi, dans une perspective plus large, ils sont porteurs d’une importante dimension objective institutionnelle qui domine l’ensemble des activités de l’État. Ceux-ci ne doivent pas seulement s’abstenir d’entraver l’exercice des droits de l’homme et plus activement les protéger, comme nous l’avons vu tout à  l’heure, ils doivent en plus, c’est la troisième obligation, adopter des mesures appropriées d’ordre législatif, d’ordre administratif ou autre, dans le but d’assurer à chacun l’exercice plein et entier de ses droits. Les droits de l’homme se présentent ainsi en droit contemporain non seulement comme des droits personnels individuels, au sens où ils sont bien connus traditionnellement, mais aussi comme des buts à  atteindre dans l’exercice par les États des compétences et des multiples tâches qui découlent de leurs droits constitutionnels. En d’autres termes, si l’État doit certes continuer à respecter, à protéger les droits de chacun, il doit aussi, même quand ces droits ne sont pas concrètement en cause, par exemple lorsqu’il adopte un programme législatif, avoir constamment présente à l’esprit l’obligation de mettre en œuvre, de réaliser, telle qu’elle découle de la dimension contemporaine des droits de l’homme.

Les trois obligations que nous avons vues jusqu’à présent ont été développées par un certain nombre de travaux sur le plan universitaire dans diverses universités du monde par des auteurs qui, des années durant, ont réfléchi à cette problématique. Il y a un grand nombre de contributions de très grande qualité sur ce sujet. Parmi celles-ci, et vous les trouverez dans la documentation à disposition pour la session de cette semaine, j’aimerais me référer en particulier à trois travaux importants, d’abord les travaux fondateurs d’un professeur américain, le professeur Henry Shue, qui, dans un ouvrage publié en 1982, a développé cette dimension, en quelque sorte, de triptyque des droits de l’homme qui a conduit les droits de l’homme à être considérés de notre jour, notamment au niveau des Nations Unies, comme comportant des obligations de respect, de protection et de mise en œuvre. Plus récemment, j’aimerais me référer Également  aux, aux travaux doctoraux qui ont été développés par monsieur Gregor Chatton, dans sa thèse publiée en 2014, qui porte pour titre Vers la pleine reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels. Et enfin, pour une dimension peut-être plus orientée sur les États du Sud, j’aimerais me référer aux, à  la très brillante thèse de doctorat rédigée par le professeur Abdulaye Soma, qui s’intitule Droits de l’homme à  l’alimentation et sécurité alimentaire en Afrique, qui a été publiée en 2010.

 

LES PERSPECTIVES NOUVELLES

Dans le cadre de l’étude des effets juridiques des droits de l’homme, il faut à présent aborder quelques-unes des perspectives nouvelles liées, générées par ces, par ces droits. L’une des caractéristiques des droits de l’homme dans, dans la vie contemporaine est en effet que ceux-ci ne cessent d’évoluer. Deux raisons permettent d’expliquer ce phénomène. Il y a d’une part, le nombre désormais important de traités, de Conventions internationales qui garantissent des droits de l’homme, et dont l’interprétation ouvre souvent des, des pistes de réflexion importantes à l’échelon aussi bien universel que, que régional. Et puis, il y a d’autre part l’autonomie qui caractérise les droits de l’homme. Nous, nous l’avons vu, en effet, au cours de l’histoire, progressivement, les droits de l’homme se sont détachés de la conception nationale des droits fondamentaux. Ils sont désormais garantis à  l’échelon de la société internationale, il y a plusieurs organisations internationales qui les ont consacrés. Et, et dans cette perspective, ils ont acquis une forme d’autonomie qui les distinguent parfois assez radicalement des droits fondamentaux, dont, dont ils sont issus historiquement, et d’ailleurs qu’ils ne cessent à leur tour d’influencer par souvent une importation des concepts qui se sont développés à l’échelon international, et qui ne manquent pas d’influencer la conception nationale des droits fondamentaux.

Alors, plusieurs perspectives nouvelles se présentent dans le cas de cette évolution. Nous en évoquerons dans, dans le cadre de cette session, deux, principalement. Il y a d’abord les, les rapports que les droits de l’homme entretiennent avec les organisations internationales, et puis, il y a ensuite l’invocation éventuelle des droits de l’homme dans le cadre d’activités qui sont exercées par des sociétés non pas nationales, mais par des sociétés multinationales ou transnationales.

Les droits de l’homme, nous l’avons vu, entretiennent en effet des, des rapports extrêmement étroits avec les organisations internationales, puisque ce sont ces organisations à l’échelon aussi bien universel que, que régional qui leur ont donné vie à travers les, les traités, les Conventions internationales qui ont permis de les garantir, et précisément de les doter d’effets juridiques. Mais aujourd’hui, une autre question se pose dans, dans ce contexte. C’est une question un peu dérivée de l’origine des droits de l’homme. Si les organisations internationales ont généré les droits de l’homme à  destination des États qui doivent les respecter, est-ce que ces organisations internationales sont elles-mêmes liées dans leurs activités par le respect des droits de l’homme qu’elles ont créés?

À l’origine, nous l’avons vu, les droits de l’homme ont, ont été conçus pour s’appliquer aux États et limiter l’exercice de leurs pouvoirs dans le but d’éviter toute dérive à travers l’instauration d’un standard minimal de protection. Cette vision reste certes valable de nos jours, mais elle n’est pas, ou elle n’est plus complètement exclusive, puisqu’il n’est pas précisément exclu que les droits de l’homme s’appliquent également  aux organisations internationales. Je, je prends un exemple. La, la Convention européenne des droits de l’homme est certes ouverte à  la signure, la signature des États membres du conseil de l’Europe. Mais elle contient également  une clause à l’article 56, paragraphe deux, qui prévoit la possibilité pour l’Union Européenne, d’adhérer à cette Convention. Cela signifie qu’à terme, l’Union Européenne est en quelque sorte destinée à  devenir membre de la Convention européenne des droits de l’homme, et à ce titre donc, voir d’une part les normes et les règles qu’elle adopte dans le cadre de l’exercice de ces compétences, être de plein droit, soumise à  la Convention européenne des droits de l’homme. Et puis, d’autre part, à travers la soumission des activités de l’Union à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme, eh bien, de voir le droit de l’Union être passible du contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l’homme.

S’agissant de, de l’Union Européenne, il est d’ailleurs intéressant de, de voir et d’observer la trajectoire qu’on, qu’ont subi les, les droits de l’homme dans le cadre de cette organisation. Cette évolution est un peu comparable à celle que nous avons pu évoquer dans le cas de l’évolution des droits fondamentaux ou des droits de l’homme, à l’échelon d’autres organisations internationales. D’abord, la proclamation de certains droits dans une Charte, la Charte de Nice, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne au mois de décembre 2000. Deuxième étape, l’intégration de cette Charte, et la consécration de sa force obligatoire dans le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007. On voit désormais donc que la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne fait partie intégrante des sources primaires du droit de l’Union Européenne, et qu’à ce titre, les États membres de l’Union sont soumis aux droits fondamentaux de l’Union Européenne via le traité de Lisbonne, et que l’organisation elle-même, l’Union Européenne est soumise aux droits fondamentaux qui figurent dans le traité de Lisbonne qui sert en quelque sorte de, de, de constitution de l’Union Européenne à  cet égard. Et puis, troisième étape alors, la, la prise en main par les juges européens, les juges de l’Union d’une part, les juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de l’autre visant dans la perspective d’assurer le respect des droits garantis, aussi bien par la Charte que par la Convention européenne des droits de l’homme.

Notez d’ailleurs, et, et je trouve que l’exemple ici est, est assez révélateur. Au niveau de l’Union Européenne, on ne parle plus de, de droits de l’homme, de droits de la personne humaine, mais de droits fondamentaux. Et, et on est là, au cœur de notre propos, on voit donc que certaines organisations internationales, et l’Union Européenne jouent incontestablement un rôle pionnier à  cet égard, ont tellement intégré les droits de l’homme que ces droits ne font plus partie du droit international. Ils sont intégrés à  une sorte de constitution certes supranationale, mais à  l’intérieur de laquelle on la considère véritablement comme des droits fondamentaux, comme le serait des droits fondamentaux d’origine interne. Voilà  une perspective assurément intéressante.

Un deuxième exemple pour illustrer le, le propos des, des liens existants entre les effets des droits de l’homme et les activités d’organisations internationales. Un arrêt fort intéressant rendu par la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 12 septembre de l’année 2012, une affaire Nada contre Suisse. Dans, dans cette affaire, il s’agit de mesures prises par les autorités helvétiques à  l’égard d’un ressortissant étranger en vue d’interdire à  cette personne de quitter le territoire de l’enclave italienne de Campione en territoire tessinois, donc dans la partie italophone de la Suisse pour pénétrer sur le territoire helvétique. En d’autres termes, l’intéressé ici était en quelque sorte contraint de rester sur le territoire de l’enclave de Campione sans avoir la possibilité de se rendre sur le territoire suisse qui bordait le, le, le pourtour de ce petit territoire italien qui fait 1,6 kilomètre carré. En l’espèce, les autorités suisses justifiaient ces mesures au motif que celles-ci avaient été adoptées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et que en l’occurrence le droit de l’Organisation des Nations Unies primait le droit national et la protection des droits de l’homme. Alors, l’arrêt Nada est un arrêt assez, assez complexe, assez technique. J’en, j’en livre ici un, un très bref résumé. Dans, dans son arrêt de, de, de condamnation de la Suisse, la, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a, a considéré que les mesures de lutte contre le terrorisme adopté dans le cas des Nations Unies, tel qu’intégré au droit suisse relevait véritablement du droit national, et qu’à  ce titre elle devait être mise en quelque sorte en balance avec le respect des garanties de la Convention européenne des droits de l’homme, et en l’occurrence avec le respect du droit à la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Et dans ce cas-là, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les mesures restrictives qui étaient infligées, imposées au requérant présentaient un caractère disproportionné,  celui-ci ayant entre temps été mis hors de cause des mesures de lutte antiterroristes adoptées au niveau des Nations Unies, parce qu’il avait réussi à prouver qu’il n’avait aucun lien avec aucune organisation terroriste visée par les mesures adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce qui est intéressant, c’est de relever que peu de temps avant, le même type de question s’était posée, pas à propos de la même personne, dans le cas d’un arrêt qui a été rendu par la Cour de, de justice de l’Union Européenne, et qui sur la base de système alors, de l’Union de protection des, des droits fondamentaux était arrivé à une conclusion similaire.

Voilà  donc une perspective intéressante. On voit que désormais, les droits de l’homme en quelque sorte, ont, ont, ont largement débordé le cadre national, et aujourd’hui investissent les activités développées par certaines organisations internationales qui elles-mêmes doivent se soumettre au respect de droit à, à la création desquelles, à l’instauration desquelles elles, elles ont, elles ont largement contribué. Dans l’arrêt Nada c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les mesures de lutte contre le terrorisme, bien qu’adoptées dans le cadre des Nations Unies, avaient par la suite été intégrées au droit suisse et qu’à ce titre elles relevaient du droit national de cet État. Ces mesures devaient par conséquent être mises en balance avec le respect des dispositions de la CEDH.

La seconde perspective que nous souhaitons évoquer dans, dans le cadre de, de ce cours, porte sur les rapports juridiques entre les droits de l’homme et les entreprises multinationales. Le, le constat se fait aujourd’hui à l’échelon international comme il a pu se faire par le passé, et qu’il continue à se faire d’ailleurs à  l’échelon national. Constat selon lequel les menaces pour les droits de l’homme, n’émanent pas, ne proviennent pas exclusivement de l’État et de ses organes. Ces menaces peuvent aussi émaner, on l’a vu, d’organisations autres que les États comme les organisation internationales, on l’a vu. Mais ces menaces peuvent aussi potentiellement émaner d’entreprises privées, notamment de sociétés multinationales dont, dont le pouvoir en matière économique, mais pas uniquement est un pouvoir qui peut-être un pouvoir absolument énorme. Un pouvoir d’autant plus grand dans un monde globalisé qui a de plus en plus tendance à, à, à dépasser, à transcender les frontières des, des États nations. On peut prendre ici, deux, deux exemples, l’exemple de, de, de compagnies impliquées, ou compagnies multinationales impliquées dans des catastrophes écologiques. Au, autre exemple, le cas d’entreprises spécialisées dans le domaine de la sécurité des biens et des personnes privées qui dans certaines régions du monde peuvent littéralement se substituer à des tâches jusqu’alors accomplies par l’État, et, et, et exercer elles-mêmes un pouvoir non négligeable en matière de, de menaces pour le respect et la protection des, des droits de l’homme au sens où nous l’avons vu aujourd’hui.

Alors, nous avons vu également qu’au niveau national, il est admis à certaines conditions que les droits fondamentaux peuvent déployer des effets dans les rapports entre personnes privées. Question. Pourquoi ne pourrait-il pas, pourquoi ne devrait-il pas en aller de même, s’agissant d’entreprises exerçant leurs activités non seulement à l’échelon national, mais à l’échelon multinational. Dans bien des domaines d’ailleurs, il faut relever que ces entreprises ont, ont compris tout l’intérêts qu’elles pouvaient retirer d’un, d’un respect et d’une protection affichés des droits de l’homme comme gage de qualité, de légitimité et d’honorabilité en développant des standards de self-governance destinés à accroître précisément leur crédibilité et leur légitimité. En vue de protéger non seulement leurs employés, leurs personnels, mais aussi pour gagner la, la confiance de leur clientèle.

Ces phénomènes sont, sont croissants ces dernières années. S’il n’y pas, à  notre connaissance pour l’heure, de règle établie dans ce domaine-là, comme c’est souvent le cas en matière de droit de l’homme, nous pensons qu’il n’y a pas beaucoup de doute que ces perspectives vont encore gagner en, en importance cesprochaines années.

 

CONCLUSION

En conclusion, nous pouvons constater que les effets des droits de l’homme sont beaucoup plus variés et plus complexes aussi, que ce que peux laisser entendre la simple lecture des instruments internationaux qui les garantissent. Pour l’essentiel, leurs effets sont au nombre de trois. L’obligation de respecter, l’obligation de protéger, et celle de mettre en œuvre. Ces termes sont importants car, nous l’avons vu, chacun d’eux recouvre une série d’obligations précises, auxquelles les États, qui sont et qui restent les destinataires des droits de la personne humaine, sont tenus de se soumettre. Nous avons vu par exemple que, le droit à la vie, oblige l’État à respecter la vie, à la protéger, mais aussi à  mettre en œuvre ce droit et favoriser, autant que faire se peut, son, son libre exercice.

Un point se distingue dans ce cadre, c’est celui de la nature désormais bipolaire, si l’on peut dire, qui caractérise les droits de l’homme. Les droits de l’homme, en effet, se définissent d’une part comme des droits individuels, mais aussi d’autre part dans une perspective beaucoup plus large, comme les récipients d’air d’obligations juridiques de nature objective, dont les pouvoirs publics doivent tenir

compte dans l’ensemble de leurs activités.

Dans ce cadre général, les effets qui caractérisent les droits de l’homme, aujourd’hui ne peuvent plus être découplés en fonction des différentes catégories qui historiquement ont généré les fameuses trois catégories générations historiques de ces garanties. Pour prendre un exemple que nous venons de voir, les droits qui sont codifiés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, qui comme nous l’avons vu fait désormais partie du droit primaire, de l’Union à travers son intégration dans le traité de Lisbonne, eh bien ces droits sont tous placés à  Égalité, sans distinction en fonction des catégories, on trouve des droits de dignité, des droits de liberté, des droits d’égalité, des droits de solidarité, des droits de justice, qui tous sont placés au même niveau et qui tous appellent impérativement le même respect.

Reste à  savoir en pratique comment ces obligations sont exécutées, et surtout comment on vérifie que les États respectent les engagements auxquels ils ont librement souscrit en ratifiant les instruments internationaux de protection des droits de la personne humaine. Poser cette question, c’est aborder la question délicate du contrôle du respect des droits de l’homme, c’est la question que nous aborderons lors du dernier module de ce cours, après avoir traité une autre question non moins importante que celle de leur contenu, ou celle de leurs effets, c’est celle des limites qui sont susceptibles de leur être opposées.

[1] Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Young, James et Webster c. Royaume-Uni du 13 août 1981

1 comentario

Archivado bajo Lex

Semaine 4 : La typologie des Droits de l’Homme

Le présent cours initiera les étudiant(e)s à la typologie classique des droits de l’homme qui consiste à distinguer trois « générations » de droits. Il sera lui-même divisé en trois parties. La première partie présentera successivement chaque « génération » et donnera un aperçu des droits qui en font partie et des instruments qui les consacrent. La deuxième partie sera consacrée à une critique du classement générationnel des droits de l’homme. Elle mettra en exergue les enjeux idéologiques, juridiques et politiques de la typologie et exposera les tendances contemporaines visant à dépasser une compartimentation jugée excessivement rigide. La troisième partie abordera, à travers les interviews de deux experts académiques, la question de la pertinence contemporaine de la classification ternaire des droits de l’homme. Les objectifs poursuivis par ce cours sont au nombre de quatre : (1) offrir aux étudiant(e)s un aperçu des divers droits garantis dans les instruments internationaux voués à la protection des droits de l’homme ; (2) familiariser les étudiant(e)s avec la classification classique des droits de l’homme en trois générations ; (3) leur permettre de comprendre les enjeux idéologiques, politiques et juridiques de la classification générationnelle qui continuent de marquer les débats contemporains ; (4) les introduire à la théorie de l’indivisibilité des droits de l’homme.

Lectures préalables :

Pour en savoir plus :

  • BIDAULT Mylène, La protection internationale des droits culturels, Bruxelles 2009
  • BRIBOSIA Emmanuelle / HENNEBEL Ludovic, Classer les droits de l’Homme, Bruxelles 2004
  • CHATTON Gregor T., L’interdépendance des droits de l’homme. Essai au-delà du dogme des trois générations, Berne 2012
  • DAE JUNG Kim, Is Culture Destiny ? Myth of Anto-Democratic Values. A Response to Lee Kuan Yew, in Foreign Affairs, Novembre/Décembre 1994, 73(6), pp. 189-194
  • GERARD Philippe, L’esprit des lois. Philosophie des droits de l’homme, Bruxelles 2007
  • GRÜNDLER Tatiana, Chapitre 3. La doctrine des libertés fondamentales. A la recherche des droits sociaux, in La Revue des droits de l’Homme, juin 2012, pp. 103-116
  • KOFI Kumdado, Africa and Human Rights Since Karel Vasak’s Three Generations, in Les droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, Karel Vasak amicorum liber, Bruxelles 1999, pp. 273-287
  • MEYER-BISCH Patrice, Le corps des droits de l’homme. L’indivisibilité comme principe d’interprétation et de mise en œuvre des droits de l’homme, Fribourg 1992.
  • TOMUSCHAT Christian, Human Rights. Between Idealism and Realism, 2ème édition, Oxford 2003
  • ZAKARIA Fareed, Culture is Destiny : A conversation with Lee Kuan Yew, in Foreign Affairs, Novembre/Décembre 1994, 73 (6), pp. 189-194
  • Déclaration de Vienne de 1993, document disponible à l’adresse suivante, dans la colonne de droite sous le lien «Déclaration et Programme d’action de Vienne»
  • Déclaration de Bangkok de 1993, document disponible à l’adresse suivante, dans la colonne de droite sous le lien «l’Asie»

 

INTRODUCTION

Bonjour, nous avons vu la semaine passée, avec mon collègue Michel Hottelier, que les droits de l’homme sont essentiellement garantis dans des traités internationaux, appelés le plus souvent conventions. Ces conventions existent au niveau régional et au niveau universel et surtout, elles sont nombreuses. Comment se faire une idée de leur contenu? Quels droits consacrent-elles? Nous pourrions commencer à lire les conventions l’une après l’autre mais ça serait un exercice long et fastidieux. Une stratégie plus rationnelle consiste à classer les droits de l’homme dans des familles différentes et de s’intéresser par la suite à leurs caractéristiques et leurs fonctions. C’est cette stratégie que nous vous proposons pendant ce cours. Or, comment catégoriser les droits de l’homme? Cette question est importante et difficile. Elle est difficile parce que chaque classement a une dose d’artificialité. Il faut se mettre d’accord sur des critères en vertu duquel on classe, on range des choses dans des catégories. Prenons un exemple, si je veux ranger mes foulards, je peux le faire en fonction de la couleur, en fonction des matériaux, en fonction du design. Plusieurs solutions sont envisageables et défendables.

Nous aimerions vous familiariser avec la typologie qui a eu la plus grande influence sur le droit international des droits de l’homme. Nous aimerions aussi vous montrer les controverses qu’elle a suscitées. À vous par la suite de vous forger votre avis sur l’utilité de cette classification. La classification que nous allons vous présenter a été proposée par le juriste tchèque Karel Vasak en 1979. Karel Vasak a divisé les droits de l’homme en trois groupes, qu’il a appelés générations. D’une façon imagée, il a donc rangé les droits de l’homme en trois tiroirs. Il l’a fait en fonction de deux critères : le premier critère est d’ordre temporel et l’autre critère est d’ordre axiologique. Karel Vasak a proposé de classer les droits de l’homme en fonction de leur apparition dans le temps, d’une part, et ensuite en fonction des valeurs qu’elles incarnent.

Selon Karel Vasak, la première génération est issue du 18ème siècle et incarne la valeur de la liberté. La deuxième génération est issue du 19ème siècle et incarne la valeur de l’égalité. La troisième génération est issue du 20ème siècle et incarne la valeur de la solidarité, de la fraternité.

Pendant le cours d’aujourd’hui, nous aimerions, dans un premier temps, vous présenter successivement les trois générations des droits de l’homme. Dans une deuxième partie, nous allons analyser ensemble les critiques aussi avancées face à cette génération, cette classification générationnelle. Nous allons aussi nous intéresser à leur enjeu d’ordre juridique, politique et idéologique. Comme la semaine passée, vous aurez à disposition du matériel supplémentaire. Il s’agit d’une interview avec deux experts qui ont beaucoup écrit et beaucoup réfléchi sur le classement générationnel des droits de l’homme. Nous leur avons, entre autres, posé la question de savoir si cette classification reste pertinente dans le contexte contemporain.

 

LA PREMIERE GÉNÉRATION DES DROITS DE L’HOMME : LES DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Regardons ensemble ce que le Karel Vasak a rangé dans le premier tiroir. Nous y trouvons les droits de la première génération, les droits dits civils et politiques. Ces droits remontent au 18ème siècle, incarnent la valeur de la liberté et expriment d’un point de vue idéologique la doctrine du libéralisme. Dans quels instruments ces droits sont-ils protégés?

Ces droits sont protégés tant au niveau universel qu’au niveau régional. Au niveau universel, nous les trouvons dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme d’une part, et ensuite cela n’est pas surprenant, dans le pacte qui s’appelle Pacte sur les Droits Civils et Politiques. Il est souvent aussi appelé le pacte deux, et c’est l’expression que je vais utiliser par la suite.

Au niveau régional, toutes les conventions générales en matière des droits de l’homme protègent aussi les droits de la première génération, donc il s’agit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, de la Convention américaine des droits de l’homme, de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et aussi de la Charte arabe des droits de l’homme. Ces droits incarnent donc, selon Vasak, la valeur de la liberté. La liberté, cependant, comprise dans deux sens différents, selon qu’il est question de droits civils ou de droits politiques.

Les droits civils, en effet, l’idée de la liberté qui les sous-tend, est une vision défensive de la liberté, l’idée de l’autonomie individuelle, qui doit être défendue à l’égard de l’État. Pour les droits politiques, on ne parle pas tellement de l’autonomie individuelle, mais on met en avant l’autonomie dite de participation. L’autonomie de participation est l’idée que chaque personne, en tant que citoyen, est un membre du peuple et peut participer aussi à l’exercice du pouvoir public. Revenons ensemble sur ces deux grandes sous-catégories des droits civils et politiques donc, d’abord abordons les droits civils.

Les droits civils ont donc, je l’ai déjà dit, une fonction défensive, elle vise à ménager à la société civile un espace de liberté contre l’ingérence arbitraire de l’État. Ces droits ont pour cette raison aussi été appelés droits boucliers ou droits de résistance. Envisagés du point de vue de l’État, ces droits lui imposent une obligation négative. L’obligation de s’abstenir. L’état ne doit pas s’ingérer dans la liberté qui revient aux particuliers. La liberté d’expression, par exemple, impose à l’État le devoir de ne pas censurer la presse. Le droit au respect de la sphère privée et familiale impose à l’État le devoir de ne pas espionner les citoyens.

Quels droits font partie des droits civils? Nous y trouvons tout d’abord le droit à la vie. C’est le premier droit, le droit sans lequel l’exercice d’autres droits n’est pas possible. Nous y trouvons ensuite la garantie de l’intégrité physique garantie dans les traités des droits de l’homme par l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants. Vous avez déjà fait connaissance de ce droit la semaine passée quand vous avez lu l’arrêt Soering. Concernant la torture, il est important de relever que la torture n’est pas juste une atteinte à l’intégrité physique est psychique de la personne. C’est aussi une atteinte à la liberté. La torture a pour but d’extorquer des aveux, de briser le libre-arbitre de la personne et entrave par ce biais-là aussi la libertà.

Une sous-catégorie importante des droits de la première génération est appelée libertés. Les libertés ont pour but de protéger une action de l’homme, un comportement humain, et ce qui est typique des libertés, c’est qu’elles impliquent un choix. Elles ont ce qu’on appelle une dimension positive et négative. On a le droit d’exercer la liberté, mais on a aussi le droit de ne pas l’exercer. La liberté du mariage, par exemple, inclut le droit de se marier, de se marier avec la personne de ce choix, mais aussi le droit de ne pas se marier. La liberté de réunion, pour prendre un deuxième exemple, inclut le droit de participer à une manifestation, mais aussi le droit de rester à l’écart. Prenons encore un dernier exemple, la liberté religieuse. La liberté religieuse confère le droit de manifester une religion, d’appartenir à un groupe religieux, mais elle confère aussi le droit de ne pas participer à des actes religieux. Donc la liberté religieuse protège tant les fidèles que les agnostiques, les athées ou les personnes tout simplement indifférentes face à la religion.

Dernières sous-catégories importantes des libertés sont les garanties de procédures. Au fond, à quoi bon par exemple de pouvoir s’exprimer librement si par la suite on risque d’être incarcéré de façon arbitraire? Les garanties de procédures jouent donc un rôle important dans le domaine pénal mais elles ne sont pas limitées au domaine pénal. En droit pénal, on trouve de nombreuses composantes de ce droit, notamment la présomption d’innocence, ou l’égalité des armes, le droit de se faire défendre dans une procédure pénale, et nous y trouvons aussi une très ancienne garantie, celle du habeas corpus, donc le droit de faire contrôler la légalité d’une détention par le juge.

Droit à la vie, intégrité physique, libertés, et garanties de procédures. La protection de ces droits dits civils est liée à l’émergence de l’État souverain, l’État qui a le monopole de la force, et par ce biais-là, peut-être, représenter une menace à la liberté.

Les droits qui font partie de la deuxième sous-catégorie des droits de la première génération, les droits politiques, sont aussi liés à l’émergence de l’État souverain. Cette fois-ci, on met en avant le monopole de l’État d’adopter des règles de droit. La législation de nos jours elle est étatique, les normes sont produites par les organes de l’État. L’idée qui sous-tend les droits politiques est au fond celle, les particuliers ne sont pas juste des bénéficiaires passifs des libertés. Ils sont associés à l’exercice du pouvoir public, c’est donc l’idéal démocratique qu’on trouve à la base des droits politiques. L’idée sous-jacente des droits politiques est que les individus doivent être associés à l’exercice du pouvoir public.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen faisait déjà allusion à cet idéal, son article six dit, reflétant les paroles de Jean-Jacques Rousseau, « la loi est l’expression de la volonté générale, tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation […] » (Art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789).

Au niveau international, nous ne trouvons pas un droit qui garantit le droit, à un régime démocratique. Ce-là s’explique pour des raisons politiques évidentes. Nous trouvons néanmoins plusieurs volets des droits politiques. Ces droits sont énoncés à l’article 25 du pacte deux, nous y trouvons notamment: « Tout citoyen a le droit et la possibilité […] : [1] De prendre part à la direction des affaires publiques [de son pays], soit directement, soit l’intermédiaire des représentants librement choisis ; » Ensuite, le droit « [2] De voter et d’être élu au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret assurant l’expression libre de la volonté des électeurs » ; Et la dernière composante est le droit « [3] D’accéder dans les conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays » (Art. 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) du 16 décembre 1966).

Il est important de relever qu’il y a un lien, d’une part entre les droits dits politiques et les libertés, surtout les libertés de communication. Dans le domaine politique, les médias jouent un rôle essentiel pour former l’opinion publique, et c’est un aspect sur lequel nous allons revenir plus tard dans ce cours, on voit donc d’une part que les frontières entre les différents catégories et sous-catégories ne sont pas étanches. On pourrait aussi classer la liberté des médias dans le domaine politique comme droit politique, et d’autre part, on voit aussi qu’il y a des synergies, des renforcements mutuels entre différents droits.

 

LA DEUXIÈME GÉNÉRATION DES DROITS DE L’HOMME : LES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Explorons ensemble le deuxième tiroir, dans lequel nous allons trouver les droits de la deuxième génération, les droits économiques, sociaux et culturels. Ces droits remontent au 19ème siècle, et incarnent selon Vasak, la valeur d’égalité. Ces droits sont également protégés au niveau universel et au niveau régional.

Au niveau universel, nous les trouvons de nouveau dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et par la suite dans le, l’autre pacte, le Pacte sur les Droits Économiques Sociaux et Culturels aussi appelé pacte un.

Au niveau régional, toutes les conventions majeures protègent les droits économiques sociaux et culturels avec une exception. La Convention Européenne des Droits de l’Homme est entièrement consacrée aux droits dits de la première génération. Au niveau européen, il y a une convention spécifique, la Charte Sociale Européenne qui protège les droits de la deuxième génération. Il en va de même du continent américain, le Protocole dit de San Salvador est consacré aux droits de la deuxième génération. Ce protocole complète la Convention américaine des droits de l’homme, qui elle consacre une seule disposition, l’article 26 aux droits de la deuxième génération.

Comme la première génération, les droits de la deuxième génération se déclinent en plusieurs sous-catégories. Il y a en effet trois sous-catégories, les droits économiques, les droits sociaux et les droits culturels. Je vais, dans un premier temps, aborder les droits économiques et sociaux, et dans un deuxième temps, la troisième sous-catégorie, les droits culturels.

Les droits économiques et sociaux plongent leurs racines dans l’idéologie socialiste et communiste. Marx, en effet, était très critique des droits consacrés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, donc des droits de la première génération. Dans son ouvrage de La Question Juive parue en 1844, Marx écrivit : « Avant tout, nous constatons que les droits dits de l’homme, les droits de l’homme par opposition aux droits du citoyen, ne sont rien d’autre que les droits du, du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité » (KARL MARX. À propos de la question juive (1844) (traduit par M.SIMON, Paris 1971).

En d’autres termes, pour Marx, qu’est-ce que c’est la liberté pour les pauvres? Pour les pauvres, la liberté de mourir de faim ; la propriété, un droit qui permet à ceux qui ont une propriété d’exploiter ceux qui n’en ont pas. En d’autres termes, les droits de la première génération ne sont pas utiles, ne tiennent pas compte des intérêts du prolétariat issu de la, la révolution industrielle. Anatole France exprima la même idée de façon éloquente dans son ouvrage Le Lys rouge paru en 1894 : « Autre motif d’orgueil, que d’être citoyen! Cela consiste pour les pauvres à soutenir et à conserver les riches dans leur puissance et leur oisiveté. Ils doivent travailler devant la majestueuse égalité des lois, qui interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain » (ANATOLE France, Le Lys rouge, Paris 1894).

Dans cette citation, Anatole France s’en prend à l’égalité dite formelle. L’égalité formelle veut dire que tous les citoyens sont égaux devant la loi, la loi leur est applicable de la même façon. Certes, l’interdiction de mendier touche tout le monde. Mais regardons les effets dans les faits. L’interdiction de mendicité touche surtout les pauvres, et ne laisse là aucune pertinence pour les riches. En d’autres termes, pour les pauvres, l’égalité purement formelle est insuffisante. Il faut viser une égalité dite matérielle, une égalité dans les faits, dans la réalité sociale. C’est donc la vision d’une égalité des chances, voire des résultats qui sous-tend les droits de la deuxième génération. Pour réaliser une égalité matérielle, donc une égalité de chances, voire de résultats, l’État ne peut pas se contenter de rester passif. Il doit agir. Il doit par exemple, fournir les biens et services les plus élémentaires à la population. Il doit aussi adopter des politiques sociales. Par exemple, il doit instaurer un système d’éducation gratuite et obligatoire. Les droits de la deuxième génération permettent donc aux particuliers d’exiger des prestations de la part de l’État. Pour cette raison, on a aussi appelé les droits de la deuxième génération, droits créances ou droits épées. L’État viole par exemple, le droit au logement, s’il laisse dormir les citoyens sous les ponts. Il viole le droit à l’alimentation s’il laisse mourir la population de faim. Pour que l’égalité matérielle soit réalisée, il est nécessaire que l’État adopte des politiques économiques et sociales.

Nous voyons donc ici aussi, une autre image de l’État, une autre vision de l’État comparée à la vision qui sous-tend la première génération. L’idéal de l’État qui sous-tend la première génération, c’est l’État veilleur de nuit, un État minimal. Alors que pour la deuxième génération, la vision de l’État est celle de l’État providence. Quels droits font partie des droits économiques d’une part, et des droits sociaux d’autre part?

Quand on parle des droits économiques, on désigne des droits qui sont liés au statut du travailleur, donc des personnes qui exercent une activité lucrative dépendante. Ces droits contiennent par exemple la liberté syndicale, le droit de grève, donc des droits qui visent à protéger l’action collective des travailleurs. Nous y trouvons également  le droit au travail, soit la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et ensuite nous y trouvons le droit à une rémunération équitable, et à une durée de temps de travail raisonnable, ainsi que la garantie de la sécurité et de l’hygiène au travail.

Les droits sociaux. Les droits sociaux sont indépendants du statut du travailleur. C’est donc des droits de l’homme qui reviennent à toute personne humaine, et ces droits ont pour but de satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population. On peut en effet identifier quatre besoins qui sont vraiment les plus importants : l’alimentation, la santé et l’hygiène, le logement et l’habillement. Ces quatre besoins sont aussi protégés dans le Pacte sur les Droits Économiques, Sociaux et Culturels, notamment à l’article 11 et 12 du pacte. L’article 11 du pacte a la teneur suivante. « Les États parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence» (Art. 11 par. 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) du 16 décembre 1966). L’article 12 quant à lui, consacre le droit à la santé, compris comme le droit à la santé physique et mentale[1].

Bien que les droits sociaux reviennent à toute personne, dans les faits, ce sont des droits qui sont quand même les plus pertinents pour les plus démunis dans la société. Cette idée a trouvé un prolongement aussi au niveau international des droits de l’homme, dans le fait qu’aujourd’hui, il y a des conventions qui sont consacrées à des groupes vulnérables, des conventions spécifiques qui protègent des groupes qui ont besoin, des besoins de protection particuliers, notamment, les femmes, les enfants, les personnes faisant partie des minorités ethniques raciales, et aussi les personnes handicapées.

Nous avons parlé jusqu’à présent des droits économiques et sociaux, ainsi que des conventions spécifiques. Concernant ces conventions spécifiques, peut-être juste pour le préciser, elles ne font pas partie de la deuxième génération. Mais la valeur, l’idée à la base est quand même celle d’une égalité aussi et matérielle, il y ait des personnes qui ont besoin de protection particuliers. Maintenant, qu’en est-il des droits culturels? Nous n’en avons pas encore parlé.

Les droits culturels font donc, donc la troisième sous-catégorie, les droits dits de la deuxième génération. Et l’idée de base aux droits culturels est au fond que l’identité personnelle est l’appart, est très étroitement liée à l’appartenance culturelle. Ces droits plongent leurs racines aussi à la pensée du 19ème siècle, à une pensée qui est critique du siècle des Lumières qui voit l’homme plutôt comme un individu isolé. Ici, on met en avant aussi l’appartenance de la personne à une communauté ici culturelle. De façon générale, les droits culturels protègent la participation et l’accès de toute personne à la vie culturelle. Cela soulève une difficulté, c’est de savoir qu’est-ce qu’on entend par vie culturelle ou culture. Ces termes sont difficiles à définir, controversés. On trouve des sources d’inspiration dans les, les travaux de l’UNESCO. Une autre définition qui est utile a été proposée dans la Déclaration dite de Fribourg, il s’agit là d’une Déclaration qui a été élaborée par un groupe de travail interdisciplinaire sous les égides de l’Université de Fribourg.

Comment on définit cette Déclaration, le terme de culture? « […] le terme culture recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vies par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement » (Art. 2 let. A de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels du 7 mai 2007).

Quels droits font partie des droits culturels? Cette question est aussi controversée, on peut dire que les droits culturels sont la sous-catégorie dont les contours sont le moins bien cernés. Il y a selon les auteurs, des conceptions plus ou moins larges des droits culturels. Si nous nous fondons sur une conception plutôt minimaliste des droits culturels, nous y trouvons les droits suivants : le droit à l’éducation, le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent, la liberté indispensable à  la recherche scientifique et aux activités créatrices, le droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.

 

LA TROISIEME GÉNÉRATION DES DROITS DE L’HOMME : LES DROITS DE SOLIDARITÉ

Il nous reste un dernier tiroir à explorer, nous y trouvons les droits de la troisième génération, aussi dits droits de solidarité. Ces droits se distinguent par un point important des deux premières générations. Les droits première génération ont pour titulaires des individus, la personne humaine ; alors que les droits de la troisième génération ont pour titulaires des entités collectives, les peuples. Les droits de solidarités sont issus des aspirations des pays en voie de développement, et plongent leurs racines à la deuxième moitié du 20ème siècle.

Les deux pactes, donc le pacte un et le pacte deux, tiennent compte de l’aspiration des pays en voie de développement à la décolonisation, et consacrent le premier et le plus connu des droits des peuples, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit protège l’auto-détermination dans le domaine politique, social, économique et culturel, et comprend aussi le droit des peuples à disposer librement de leur richesse et de leurs ressources naturelles. Il y a encore d’autres droits qui sont aussi rangés parmi les droits de solidarité, mais contrairement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ces droits ne sont au niveau universel pas consacrés dans des traités. On les trouve dans des Déclarations, ou des résolutions, les Déclarations et les résolutions font partie de la soft law, ça veut dire ce sont des documents qui ne sont juridiquement pas contraignants, qui ont une valeur politique. On a pour cette raison aussi décrit les autres droits comme des droits en devenir.

Regardons ensemble quels droits en font partie. Les droits qui sont le plus souvent mentionnés, toujours sous l’égide des droits de solidarité, sont le droit au développement, le droit à la paix, le droit à un environnement sain, le droit à l’aide humanitaire.

Ce droit reflète les revendications des pays en voie de développement vers un ordre international plus juste. Elle exprime aussi l’idée qu’au fond, la réalisation des droits de la première et de la deuxième génération n’est pas indépendante des conditions économiques, sociales, culturelles, et environnementales. Ces droits font appel à la fraternité, à la solidarité, parce qu’en partie ils protègent des intérêts collectifs: la paix, l’environnement. Il y a là deux intérêts dont tout le monde bénéficie indépendamment de sa contribution respective. Nous avons vu qu’au niveau universel, les droits à part, les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, ont été décrits comme des droits en devenir.

Au niveau régional, sur le continent africain, les droits de solidarité ne sont pas juste des droits en devenir, mais ce sont des droits qui sont juridiquement contraignants, nous trouvons en effet dans la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) tout un catalogue de droits de la troisième génération. Nous y trouvons notamment: le droit à l’égalité des peuples, le droit à l’autodétermination, le droit à la disposition de richesses et ressources naturelles, le droit au développement économique, social et culturel le droit des peuples à la paix, le droit des peuples à un environnement satisfaisant. Sur le continent africain, ces droits ne sont pas juste consacrés dans la Charte africaine, mais ils sont aussi appliqués, ils sont concrétisés par la jurisprudence.

Nous avons lu pour aujourd’hui une affaire, l’affaire dite des Endorrois[2], qui est illustrative à cet égard. Vous l’aurez vu, cette affaire émane au fond d’une plainte émanant des organisations non-gouvernementales, et destinés à défendre les intérêts des Endorrois. Les Endorrois sont une communauté de 60 000 personnes qui vit au Kenya, cette communauté a été expulsée de ses terres ancestrales, parce que ces terres ancestrales ont été converties dans une réserve faunique. Cette expulsion a eu lieu sans consultation préalable, et sans dédommagement. Pour ce peuple, les conséquences ont été importantes, voire dramatiques, parce que d’une part ils ont perdu l’accès au site qu’ils utilisaient pour nourrir leur bétail. Maintenant ils se trouvent dans un, une région qui est aride, inadaptée à leur mode de subsistance. De plus, ils ont aussi perdu l’accès à leur site sacré, et aux plantes médicinales qu’ils utilisent pour se soigner. Statuant sur cette communication, cette plainte donc émanant des organisations non-gouvernementales, la commission au fond examine plusieurs droits. Il est intéressant de voir dans cette affaire qu’on examine les droits des trois générations. On examine les droits civils et politiques, notamment la liberté religieuse et la garantie de la propriété, ensuite on regarde aussi les droits de la deuxième génération, surtout les droits culturels, entravés par la restriction d’accéder au site culturel. Ensuite, et c’est là où j’aimerais mettre l’accent, on regarde les droits collectifs. La commission, dans un premier temps, se pose la question au fond, est-ce que les Endorrois sont un peuple? La définition d’un peuple n’est pas facile, mais on voit quand même ici qu’on est face à une communauté qui est, d’abord se considère du point de vue subjectif, comme une entité à part, c’est un peuple autochtone. Et de plus c’est aussi reconnu par autrui comme faisant, une identité à part. Et ils ont un mode de vie, une culture, partagée. Donc les Endorrois sont un peuple, peuvent se prévaloir des droits de solidarité.

Ensuite la commission examine si ces droits ont été violés. Elle retient la violation de deux droits, tout d’abord le droit de la disposition des richesses et des ressources naturelles, et par la suite aussi une violation du droit au développement. Le droit au développement a été entravé sous deux aspects. D’une part, le droit au développement contient aussi le droit à une participation effective, les Endorrois auraient dû être consultés avant qu’on les expulse de leurs terres. Un autre aspect, le deuxième aspect, au fond les Endorrois ont été exclus du processus du développement. Ils n’ont reçu aucun partage aux bénéfices des ressources qui sont procurées par l’exploitation de ces réserves naturelles. Car dans cette affaire des Endorrois en tête, elle va nous être utile aussi dans la prochaine section qui est consacrée aux critiques de la classification générationnelle.

 

LA CLASSIFICATION GÉNÉRATIONNELLE : APPROCHE CRITIQUE – 1ÈRE PARTIE

La classification vasakienne des droits de l’homme en trois générations n’a pas manqué de susciter des critiques. J’aimerais mettre en avant trois types de critiques. Le premier type de critique est d’ordre terminologique, deuxième type de critique s’en prend à la nature réductrice de la classification générationnelle, et le troisième type de critique met en avant les conséquences idéologiques et politiques qui ont découlé de cette classification. Revenons sur ces trois critiques :

La critique d’ordre terminologique d’abord, là au fond les auteurs ont relevé que le terme génération induit en erreur. Parce que le terme génération évoque l’idée d’une génération qui succède et remplace l’autre. On pourrait donc penser qu’une génération des droits de l’homme plus récente remplace une génération plus vétuste, plus ancienne. Ce n’est clairement pas l’idée de ces trois générations des droits de l’homme, en effet, ces trois catégories de droits coexistent et se complètent.

La deuxième critique, celle qui s’en prend à la nature réductrice du classement, là au fond on peut dire que c’est le revers de la médaille d’une tentative de simplifier. Dès qu’on essaie de simplifier, on s’expose à la critique d’être trop simplificateur, d’être trop réducteur. Par exemple, il est évident que le critère temporel est une approximation. Les mouvements sociaux et politiques ne se contentent pas, ne respectent pas les limites d’un siècle. On a cependant aussi reproché à ce classement d’être réducteur à d’autre égards. D’une part, il y a des droits qui sont difficiles à classer, d’autre part, on verra qu’il y a des générations qui se chevauchent. Un droit qui est difficile à classer est l’interdiction des discriminations. Au fond, c’est un droit qui est consacré dans quasiment toutes les conventions en matière des droits de l’homme, c’est un droit transversal. Ce droit, donc le droit de respecter l’égalité de traitement s’applique dans le domaine des droits civils et politiques, dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, et dans le domaine des droits de solidarité. Donc on voit ici un droit qui est difficile à classer en raison de sa nature transversale.

On voit en plus que le contenu des deux pactes se chevauchent. En effet plusieurs droits sont protégés dans les deux pactes, on y trouve notamment la liberté syndicale, la liberté de se marier, l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé, et le droit des parents d’assurer l’éducation religieuse et morale des enfants. Il n’y a pas seulement des chevauchements entre des droits relevant des catégories différentes, il y a aussi des chevauchements parmi des sous-catégories de droits. Nous en avons déjà  vu deux exemples: d’une part, les libertés de communications, donc des droits civils, se chevauchent avec des droits politiques. D’autre part, le droit à l’éducation peut être considéré comme un droit social, puisque l’État est appelé à fournir des prestations de base à la population, et le droit à l’éducation fait aussi partie des droits culturels.

Enfin, nous avons aussi vu que les droits de l’homme engendrent, selon la classification générationnelle, des obligations différentes à la charge de l’État. La première génération engendre des obligations négatives, et la deuxième génération des obligations dites positives, l’État doit donc agir. On en a déduit au fond que la réalisation des droits de la première génération est gratuite, et celle de la deuxième génération est coûteuse. Cette vision polarisée a aussi été jugée réductrice, à juste titre, et c’est cette critique-là qui montre au fond, déjà qu’on est proche du terrain de l’idéologie. Voici un exemple pour illustrer les propos: l’article dix du pacte deux protège le droit des conditions de détention conformes à la dignité humaine. Plus précisément, le pacte dit: « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité, et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » (Art. 10 par. 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II) du 16 décembre 1966). La même disposition énonce aussi donc des règles plus précises, comme celle de séparer les adultes des adolescents, et on comprend bien que la réalisation de ce droit est nécessairement coûteuse. On doit construire des prisons, et des prisons qui permettent d’accueillir d’une façon conforme à la dignité humaine, les détenus.

À cela s’ajoute que les droits de la deuxième génération, des droits dont la réalisation est jugée coûteuse, peut aussi être entravée par des actions de l’État. Je vais vous donner une exemple, les évictions arbitraires, là l’État a agit et par l’action, il a donc porté, il a apporté ingérence dans un droit de la deuxième génération.

Cette vision polarisée opposant donc d’une part des droits prétendument gratuits à des droits coûteux illustre déjà  le troisième type de critique, qui est d’ordre idéologique. Cette critique est à notre sens la critique la plus fondamentale, et nous y consacrerons le plus de temps. Cette critique au fond, exprime une vision concurrentielle, antagoniste, entre les différentes catégories des droits de l’homme. Cette critique a servi aux États de se servir à la carte et de refuser au fond le menu intégral des droits de l’homme. Quand je dis service à la carte, je veux dire qu’au fond les États ont souscrits aux droits de l’homme qui étaient conformes à leur préférence idéologique, mais ils ont délaissé d’autres droits de l’homme jugés moins importants, voire contraire à leur idéologie.

Ce service à la carte s’explique en fonction de deux clivages idéologiques. Un premier clivage est un clivage Ouest-Est, ce clivage opposait pendant la guerre froide le bloc occidental au bloc soviétique. Nous voyons sur la carte les deux blocs qui s’affrontent, donc on voit ici le rideau de fer qui est descendu sur l’Europe après la deuxième guerre mondiale, opposant donc les grandes puissances : l’Union Soviétique et ses alliés d’une part ; aux États-Unis et ses alliés d’autre part.

Le deuxième clivage, c’est un clivage Nord-Sud. Ce clivage oppose surtout oppose surtout à partir des années 70, les États développés aux États en voie de développement. On le voit sur la carte, les pays du Nord opposés aux pays du Sud, des pays qui ont des préoccupations et des revendications en partie différentes. Nous allons dans les deux séquences à suivre, découvrir ensemble l’enjeu idéologique et politique lié à chacune de cette, de ce clivage, donc, le clivage Est-Ouest et le clivage Sud-Nord.

 

LA CLASSIFICATION GÉNÉRATIONNELLE : APPROCHE CRITIQUE – 2ÈME PARTIE

Nous l’avons vu un clivage majeur qui a marqué les droits de l’homme, est le clivage Ouest-Est. Quelle a été la position des blocs respectifs? Du point de vue du bloc soviétique, les droits de la première génération étaient considérés surtout comme des garanties qui protègent les intérêts égoïstes de la bourgeoisie, et qui menacent au fond, la réalisation des droits de la deuxième génération. Nous retrouvons donc ici la critique marxiste des droits de la première génération. Les traces de cette position subsistent même aujourd’hui.

À l’inverse, le bloc occidental, quant à lui, il insistait sur la priorité des droits civils et politiques. Des vrais droits, ce sont les droits de la première génération. À l’appui de cette argumentation, on insistait beaucoup sur les di, sur la différence entre d’une part, les droits dits « gratuits » de la première génération comparés aux droits soit disant « coûteux » de la deuxième génération. L’idée était donc de dire qu’au fond, les droits de la deuxième génération sont plutôt des aspirations d’ordre politique, des buts sociaux d’ordre programmatique qui s’adressent en premier lieu aux législateurs.

Ces deux visions opposées antagonistes ont eu une influence très concrète au niveau des droits de l’homme, ils ont conduit à la scission de la Déclaration Universelle. Je m’explique. Nous avons donc vu que la Déclaration Universelle protège tant les droits civils et politiques que des droits économiques sociaux et culturels. Lorsqu’il s’agissait après de concrétiser la Déclaration, de lui conférer les forces juridiques contraignantes, nous avons vu au niveau universel, au fond apparaître deux, deux documents distincts :

Les deux pactes, le pacte un et le pacte deux, chacun consacrés à une des deux générations. Le clivage idéologique Est-Ouest de la Guerre froide a conduit à une scission de la codification des droits de l’homme en deux pactes au sein des Nations Unies.

Au niveau européen, nous avons vu la même scission. Le contenu de la Déclaration Universelle a été concrétisé d’une part dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950, consacrée aux droits de la première génération, et d’autre part dans la Charte Sociale Européenne. Nous l’avons vu, document consacré aux droits de la deuxième génération.

Cette scission a quand même eu aussi une dimension pratique. Première conséquence pratique, elle a permis aux États de se servir à la carte, donc de ratifier le Pacte ou le, l’instrument qui consacre les droits conformes, qui sont conformes à leur préférence idéologique.

La deuxième conséquence pratique concerne la réalisation et la mise en œuvre des différentes catégories de droits. Illustrons ce point avec l’aide des deux Pactes. Les deux Pactes sont construits d’une façon symétrique, la, leur structure est identique, et dans les deux Pactes, l’article deux est consacré aux obligations des États. Il est cependant intéressant de voir que les deux articles ne sont pas formulés de la même façon.

Regardons ensemble d’abord la teneur du Pacte deux : « Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte ». Nous voyons donc ici une disposition qui est assez simple, qui exprime une idée simple. Les États sont tenus de réaliser les droits d’une façon immédiate dès qu’ils sont liés par le Pacte, dès qu’ils l’ont ratifié.

Voyons maintenant l’article deux du Pacte un. Nous allons voir que sa teneur est beaucoup plus complexe et plus longue. « Chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives ». Cette teneur n’est effectivement pas facile à saisir, c’était relevé aussi par la doctrine, par des auteurs.

Et au fond, ce qui est intéressant, c’est qu’on voit apparaître différents qualificatifs, et qui justement assouplissent en quelque sorte on peut dire, les conséquences juridiques des droits consacrés dans le Pacte un. On y voit tout d’abord une allusion à la réalisation progressive. Donc, on part de l’idée que la réalisation de s’éten, de ces droits s’étale dans le temps, peut prendre du temps. On voit après une olli, une allusion contrainte budgétaire des États, les États sont tenus au maximum de leurs ressources disponibles. Et ensuite, dernier point, la fin de la disposition se réfère surtout aux législateurs. Donc, on met l’accent sur les mesures législatives à adopter.

La vision différente des obligations découlant des deux Pactes a aussi des conséquences pour la mise en œuvre des droits qu’ils contiennent. Mise en œuvre tant au niveau international qu’au niveau interne. Quant à la mise en œuvre au niveau international, on a au fond, opté pour des systèmes différents. En 1966, quand on a adopté les deux Pactes, au fond, l’Assemblé Générale a adopté trois instruments : les deux Pactes et un protocole additionnel. Protocole additionnel qui se réfère au Pacte deux, au Pacte sur les droits civils et politiques. Cet instrument permet au Comité des Droits de l’Homme, le Comité des Droits de l’Homme, c’est organe de contrôle du Pacte, de statuer sur des plaintes de la part des particuliers. Il est intéressant de voir que dans le, pour le Pacte un, en 1966, une telle procédure n’a pas été envisagée. Aujourd’hui, il existe aussi un protocole additionnel qui permet à l’organe de surveillance du Pacte un, de statuer sur des plaintes, mais ce protocole date de 2008, donc bien après la fin de la guerre froide.

Quant à la mise en œuvre au niveau interne, les auteurs du Pacte deux sont partis de l’idée que ces droits peuvent et doivent être mis en œuvre par le juge, par un organe judiciaire. En vertu de l’article deux, paragraphe trois, lettre A du Pacte, les États parties au présent Pacte s’engagent à « […] garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés, disposera d’un recours utile ». Dans le Pacte un, nous cherchons en vain une disposition qui consacre le droit à un recours utile. Certaines instances nationales en ont déduit que les droits, les droits consacrés dans le Pacte un ne sont pas justiciables.

Qu’est-ce qu’on entend par ce terme, par le terme de la justiciabilité? C’est l’idée qu’une instance judiciaire peut sanctionner la violation d’un droit. Elle est donc compétente pour mettre en œuvre des droits. On peut prendre un exemple tout à fait concret. La liberté d’expression est justiciable dans la mesure ou par exemple un juge peut prononcer la levée d’une interdiction de publier un article, ou le droit à la sureté, à la liberté à la sureté est justiciable, un juge pourrait ordonner la libération d’une personne détenue d’une façon arbitraire, arbitraire.

Maintenant, concernant les droits économiques, sociaux et culturels, vous avez lu pour ajourd’hui, un arrêt du Tribunal Fédéral, c’est la Cour Suprême Helvétique qui traite justement de la question de la justiciabilité, justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels. Dans cette affaire[3], les recourants sont donc une association d’étudiants, ils s’en prennent à l’augmentation des taxes universitaires. Ils font valoir entre autre que cette augmentation viole le droit à l’éducation consacrée dans le Pacte un. Ce dro, le droit à l’éducation s’étend aussi à l’enseignement supérieur, donc aux étudiants.

Quelle a été la position du Tribunal Fédéral? Le Tribunal Fédéral analyse justement l’article deux du Pacte ONU un, et il relève que cette disposition s’adresse en premier lieux en effet aux législateurs. Le Tribunal Fédéral reconnaît donc ces lé, en quelque sorte les limites de sa fonction, et dit qu’il ne va pas entrer en matière. Le recours est irrecevable, donc l’affaire n’est pas examinée parce qu’elle est considérée comme étant une affaire d’ordre politique. C’est donc aux législateurs, ou aux autres branches du gouvernement de s’en occuper. On voit donc ici une illustration très concrète des implications de la justiciabilité, des droits qui ne sont pas justiciables sont moins effectifs.

Nous venons de voir les répercussions tout à fait concrètes du clivage Ouest-Est. Dans la séquence à venir, nous allons nous, nous consacrer au deuxième grand clivage, le clivage Nord-Sud.

 

LA CLASSIFICATION GÉNÉRATIONNELLE : APPROCHE CRITIQUE – 3EME PARTIE

[MUSIQUE] [MUSIQUE] Le clivage Nord Sud a aussi donné lieu à des affrontements importants. Du point de vue des pays du Nord, les droits de la, le droit de solidarité, donc les droits collectifs, n’ont pas été véritablement été considérés comme des droits. Ces droits ont été critiqués comme reflétant une idéologie collectiviste, hostile à l’idée de la liberté des pseudo-droits. Pseudo-droits, pourquoi? Parce que d’une part flous. Flous quant à leurs titulaires. Qu’est-ce que c’est un peuple? Difficile à définir. Qui est tenu par ces droits à la solidarité? Les États, la communauté internationale? De nouveau, peu de clarté.

L’affaire des Endorrois nous permet quand même de relativiser cette critique. Donc, j’ouvre ici une petite parenthèse. Nous avons vu, dans cette décision de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qu’il n’est quand même pas impossible de concrétiser, d’appliquer les droits de solidarité. Mais fermons la parenthèse.

Tournons-nous vers la position des pays en voie de développement, qui étaient aussi très sceptiques à l’égard de la position des droits jugés prioritaires par les pays du Nord. Selon les pays en voie de développement, au fond, les vrais droits, c’est les droits de solidarité. Et à l’appui de cet argument, on faisait valoir qu’au fond, la réalisation de ces droits de solidarité implique souvent une main forte. Il faut, en d’autres termes, un régime qui ne soit pas entravé par les droits civils et politiques. Il faut avoir une main forte qui réalise le droit au développement, et la prospérité économique. Et au fond, selon ce point de vue, il y a donc un choix à faire. Si on veut réaliser les droits de solidarité, il faut en quelque sorte renoncer aux droits de la première génération. C’est une thèse qui est appelée en anglais, la tradeoff thesis.

À l’appui de cette tradeoff thesis. on a aussi invoqué des arguments d’ordre culturel. Au fond, les droits de la première génération reflètent une culture, une vision occidentale. Une vision occidentale qui met l’individu au centre. Alors que dans les autres cultures, notamment les pays asiatiques, on met plutôt la communauté en avant. On s’intéresse au devoir du particulier face à la communauté. On n’a pas une vision excessivement individualiste. La thèse des pays asiatiques a donné lieu à un débat important sur la spécificité des valeurs asiatiques. Cette vision, selon laquelle en Asie, les valeurs sont différentes de l’Occident, on les trouve dans un document dit Déclaration de Bangkok.

C’était une Déclaration dans laquelle les pays, des pays asiatiques préparaient la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme. Si on étudie la Déclaration de Bangkok[4], on voit qu’on met l’accent surtout d’abord sur la souveraineté nationale, sur le droit au développement, et en plus sur les spécificités culturelles. Voici un petit extrait : « [Les États m]ettent l’accent sur les principes de respect de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ainsi que de non-ingérence dans les affaires intérieures des États et de non-recours aux droits de l’homme comme instrument de pression politique ; […]. Les États constatent que, si les droits de l’homme sont par nature universels, ils doivent être envisagés dans le contexte du processus dynamique et évolutif de fixation des normes internationales, en ayant à l’esprit l’importance des particularismes nationaux et culturels, comme des divers contextes historiques, culturels et religieux » (Déclaration de Bangkok du 7 avril 1993). Nous voyons donc ici une expression, un attachement aux valeurs asiatiques. En résumé, on peut dire que du point de vue de l’État du Sud, les droits de la première génération ne sont pas adaptés aux contextes économiques et culturels de ces pays. La thèse des pays d’Asie sur la spécificité des valeurs asiatiques a donné naissance à la Déclaration de Bangkok.

Nous voyons aussi dans cet affrontement, une vision compartimentalisée, concurrentielle, antagoniste des droits de l’homme. Cette vision concurrentielle, elle a aussi généré des contre-mouvements. Ce contre-mouvement a pu s’affirmer à la fin de la guerre froide. Elle a donné naissance à la thèse de l’indivisibilité des droits de l’homme.

 

L’INDIVISIBILITE DES DROITS DE L’HOMME

Le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme a été réaffirmé à l’issue de la deuxième conférence mondiale consacrée aux droits de l’homme. Cette conférence s’est tenue à Vienne en 1993 et les conclusions se trouvent dans le Déclaration et le Programme d’action de Vienne.

Nous allons voir que ces conclusions-là divergent des conclusions, des propositions dans la Déclaration de Bangkok. La Déclaration de Bangkok visait donc, au fond, à préparer la deuxième conférence en matière des droits de l’homme. Il va être intéressant de voir les conclusions différentes. Voici un extrait de la, du Programme d’action de Vienne[5] :

« Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’Égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, Économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales » (Déclaration et programme d’action de Vienne du 25 juin 1993).

Nous voyons, au fond, dans ce passage deux idées centrales : le première est l’importance égale des droits de l’homme et l’autre est l’interdépendance des droits de l’homme. L’idée de l’importance égale des droits de l’homme s’oppose à une vision hiérarchisée des droits de l’homme. Il n’y a donc pas de hiérarchie entre les différentes générations des droits de l’homme. L’idée de l’importance égale est aussi liée à l’idée de l’universalité des droits de l’homme. Comme tous les droits de l’homme sont au, au même niveau, ils s’appliquent aussi dans tous les États de la même façon.

Ensuite, l’idée de l’interdépendance. L’idée de l’interdépendance, au fond, rejette cette idée que j’ai appelée en anglais la trade-off thesis. L’idée qu’il faut sacrifier une catégorie de droits pour réaliser une autre catégorie de droits. L’interdépendance met en avant les synergies qui existent entre les droits de l’homme. En d’autres termes, il faut réaliser tous les droits de l’homme Dès qu’on réalise un, c’est utile, voire nécessaire, pour la réalisation d’autres droits de l’homme. Illustrons la thèse de l’interdépendance des droits de l’homme avec quelques exemples.

Premier exemple : le droit à l’éducation facilite l’exercice des droits civils et politiques, plus précisément les droits de communication et les droits politiques. Ne peut-on pas mieux s’informer, diffuser son point de vue, élire, voter si on sait lire et écrire?

Le deuxième exemple porte sur le rapport entre les libertés de communication et les droits politiques d’une part, et le droit à l’alimentation, donc un droit de la deuxième génération, d’autre part. Vous avez lu pour aujourd’hui un article d’Amartya Sen, et Amartya Sen, au fond, met en exergue l’idée suivant : on voit que dans les démocraties libérales, il n’y a jamais eu des famines massives[6]. Pourquoi? L’explication de euh, de Sen consiste à insister sur le point suivant : au fond, un gouvernement qui est élu par le peuple, qui est responsable devant le peuple, ne peut tout simplement pas se permettre de négliger les besoins fondamentaux d’une bonne partie de la population. Et ensuite, les libertés de communication permettent au gouvernement aussi d’être informé sur les malaises de la, et des problèmes de la société.

Troisième exemple : la réalisation du droit à un environnement sain a des effets bénéfiques sur la réalisation du droit à la santé. Peut-on, en effet, être en bonne santé quand on vit dans un environnement hautement pollué et toxique? La Déclaration et le Programme d’action de Vienne de 1993 s’opposent à la Déclaration de Bangkok en ce qu’ils visent à réaffirmer l’universalité et l’individualité des droits de l’homme. L’idée de l’interdépendance des droits de l’homme trouve aussi expression dans la jurisprudence, tant au niveau régional qu’au niveau universel. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, par exemple, a interprété d’une façon très large le droit au respect de la sphère privée et familiale. Selon la Cour, ce droit peut être violé quand des personnes vivent à proximité d’un site toxique ou, par exemple, d’une usine qui dégage des fumées, des émissions nocives. Donc on voit qu’à travers le droit de la protection de la sphère privée et familiale, la Cour Européenne des Droits de l’Homme protège en effet un droit de la troisième génération, le droit à un environnement sain. Au niveau universel, nous voyons aussi la tendance d’interpréter les droits d’une façon large. Le Comité des Droits de l’Homme, par exemple, a interprété d’une façon large le droit à la vie. Selon sa conception les, large donc, les États doivent aussi diminuer la mortalité infantile et accroitre l’espérance de vie et ils doivent aussi prendre des mesures qui permettent d’éliminer la malnutrition et les épidémies. On voit donc par cette interprétation large que le droit à la vie incorpore des aspects du droit à la santé, donc d’un droit de la deuxième génération. À l’inverse, il est intéressant de voir que le Comité des Droits Économiques, Sociaux et Culturels, l’organe de surveillance du Pacte 1, adopte aussi une vision large des droits concrètement aussi du droit à la santé. Ce droit n’est pas juste un droit à recevoir des soins. Ce droit incorpore, selon le Comité, aussi des libertés, notamment la liberté de recevoir des informations. Par exemple, si un gouvernement censure la presse et les personnes ne sont pas au courant d’une catastrophe nucléaire ou autre, ce gouvernement porte donc atteinte, viole les libertés de communication, droit de la première génération, d’une part et aussi le droit à la santé, droit de la deuxième génération.

L’interprétation large extensive des droits de l’homme a contribué au décloisonnement des trois générations. Les frontières entre ces différentes générations sont devenues plus floues, plus perméables. À vous de vous faire votre avis sur l’utilité de garder cette classification générationnelle.

 

CONCLUSION

Nous nous sommes familiarisés aujourd’hui avec la typologie la plus connue des droits de l’homme, celle qui classe les droits de l’homme en trois générations, les range donc en trois tiroirs comme nous l’avons vu.

Première génération, les droits civiles et politiques, qui remontent au 18ème siècle, incarnent la valeur de la liberté, et sont au niveau universel essentiellement protégés dans le pacte deux.

Deuxième génération, les droits économiques, sociaux et culturels, issus du 19ème siècle, incarnant la valeur d’égalité, et protégés au niveau universel dans le pacte un.

Troisième génération, les droits de solidarité ou le droit des peuples. Au niveau universel nous avons vu ces droits, ce sont des droits en devenir, affirmés dans des textes de la soft law, mais ces droits sont une réalité juridique sur le continent africain. Droits de solidarité donc, qui reflètent la valeur de la fraternité et plongent leurs racines essentiellement à la deuxième du 20ème siècle.

Cette typologie a la vertu pédagogique de la simplicité. Elle a aussi le mérite de souligner la temporalité des droits de l’homme. Les droits de l’homme, au fond, se sont affirmés sous forme de vagues successives. Il y a eu des revendications de types différents à des époques différentes. Nous avons cependant aussi vu que cette classification a été saisie par des préoccupations d’ordre idéologique. Nous avons vu une polarisation selon deux grands axes, un clivage Est-Ouest et un clivage Nord-Sud, et au fond les États, selon le camp idéologique auquel ils appartenaient, ont mis la priorité sur différentes catégories de droits. La première génération, la catégorie jugée prioritaire par le bloc occidental ; droits de la deuxième génération, droits prioritaires pour le bloc soviétique ; et enfin le droit de solidarité, droit prioritaire pour les pays en voie de développement.

Pour ces raisons idéologiques, on peut dire que la division entre les différentes catégories est devenue trop forte, trop prononcée, elle a risqué qu’on perde de vue le fond commun des droits de l’homme. Tous les droits de l’homme ont pour but et pour fondement la dignité humaine, la réalisation donc de la dignité de l’homme.

Ces affrontements idéologiques ont donné lieu à des contre-mouvements, contre-mouvements qui se sont matérialisés dans la théorie de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme. On insiste donc sur l’importance égale et les synergies qui existent entre les différents droits de l’homme.

Pour approfondir vos connaissances sur la typologie des droits de l’homme, vous pouvez écouter l’interview avec deux experts académiques, interview disponible en tant que matériel supplémentaire. Quand vous allez écouter ces experts, vous allez constater qu’ils mettent l’accent moins sur les différences entre les catégories des droits de l’homme, que sur les différents types d’obligation que les droits de l’homme génèrent à la charge de l’État. Ils s’inscrivent ainsi dans une tendance contemporaine, qui insiste sur le fait que tous les droits de l’homme indépendamment de la catégorie à laquelle ils appartiennent, génèrent à la charge de l’État trois obligations. L’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits de l’homme. Pour en savoir plus, suivez le cours de la semaine prochaine.

 

LA PERTINENCE DE LA CLASSIFICATION GÉNÉRATIONNELLE : ENTRETIENS AVEC ABDOULAYE SOMA ET GREGOR CHATTON

J’ai le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui le Professeur Abdoulaye Soma et le Docteur Gregor Chatton, Abdoulaye Soma vous êtes professeur de droit constitutionnel et de droit international à l’Université de Ouagadougou, au Burkina Faso, vous avez écrit votre thèse de Doctorat à l’Université de Genève sur le thème le droit à l’alimentation et la sécurité alimentaire en Afrique. Docteur Chatton, vous venez de défendre votre thèse de Doctorat sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels, vous êtes en plus l’auteur de deux ouvrages. Le premier porte sur la question de la justiciabilité, les droits économiques, sociaux et culturels, le deuxième a été consacré justement à la typologie des droits de l’homme. Professeur Soma, Docteur Chatton, vous avez les deux beaucoup réfléchi sur la question de la classification des droits de l’homme en trois générations, et je suis ravie que vous ayez accepté cette invitation pour discuter de cette problématique avec nous. Et une première question que j’aimerais vous poser serait de savoir est-ce que cette classification générationnelle est encore pertinente aujourd’hui?

>> Je vais peut-être commencer, Professeur, merci beaucoup d’avoir donc accepté de nous inviter, c’est un grand honneur, et donc je commencerai peut-être par une question en deux temps. Est-ce que cette classification est encore pertinente aujourd’hui? Je répondrai théoriquement, académiquement, elle l’est, dans le sens où, dans le monde académique, il est nécessaire de subdiviser les matières, pour pouvoir mieux en tirer la substance, mieux pouvoir créer des analogies ou analyser certaines catégories de droits, donc dans ce sens-là la pertinence reste acquise.

Par contre, bien sûr, je suis beaucoup plus mitigé quant aux effets de cette classification des trois générations de droits de l’homme, dans le sens où premièrement, la doctrine, et aussi les acteurs politiques y ont attachés beaucoup d’effets négatifs ou positifs selon les cas, c’est-à-dire que l’on perçoit souvent les droits civils comme étant les seuls véritables droits de l’homme, ceux qui défendent la liberté contre l’État. Tandis que les droits économiques, sociaux, et culturels sont eux, perçus comme des droits, des droits de moindre importance, des droits qui sont souvent flous, non-justiciables et coûteux, donc très onéreux pour l’État. Quant aux droits de la troisième génération, malheureusement en tout cas dans le monde occidental, ceux-ci sont quasiment ignorés par la doctrine alors qu’ils gagnent à être connus, qu’ils ont une pertinence très, très, très importante.

Un autre effet négatif de cette classification qui remonte à Karel Vasak, donc un éminent expert des droits de l’homme au niveau de l’UNESCO, qui n’a probablement pas perçu les conséquences que cette classification pouvait avoir sur les différents droits de l’homme, c’est que les, on parle de générations. C’est-à-dire que dans l’esprit de celui qui n’est peut-être pas spécialisé en matière de droits de l’homme, on a l’impression qu’on parle d’une génération qui va remplacer une autre, qui va donc devenir obsolète. Ce qui n’est pas le cas. Les droits de l’homme se complètent selon la Convention de Vienne de 1993, et avant cela même la Convention de Téhéran, on sait pertinemment que les droits de l’homme des différentes générations sont interdépendants et ne peuvent exister, ne peuvent avoir leur pleine reconnaissance sans l’aide de l’autre.

>> C’est un grand honneur pour moi de pouvoir parler de cette classification générationnelle, des droits de l’homme. Alors concernant sa pertinence, j’ai un point de vue qui est similaire à celui du Docteur Chatton, parce que je pense que c’est une classification qui est pertinente d’un point de vue historique et didactique, mais qui est impertinente d’un point de vue juridique. D’abord, s’agissant de la pertinence historique et didactique, il faut bien admettre qu’historiquement, et en schématisant, on peut bien concevoir que dans l’évolution des sociétés politiques, la revendication et la consécration de droits, de droits fondamentaux a suivi une certaine évolution chronologique qui consacre bien cette division des droits de l’homme. On sait que, dans les sociétés libérales, occidentales, à l’époque, les premiers droits qu’on a réclamé, lorsqu’on parlait de droits fondamentaux, c’était plutôt la liberté et l’égalité. Et donc ces droits qui sont dirigés contre le pouvoir politiques, droits de la première génération. Et ce n’est que plus tard avec les réflexions et les luttes marxistes qu’on a une sorte de, de transmutation économique qui donne naissance à des droits d’une deuxième génération qui sont des droits économiques, sociaux et culturels.

Donc d’un point de vue historique, la classification, la distinction garde encore sa pertinence. En parlant de droits de première génération, on voit bien ceux qui sont apparus en premier, les droits de deuxième génération sont apparus en deuxième. Étant entendu qu’il faut bien comprendre qu’on n’a pas fini le mouvement de revendication et de consécration des droits de première génération, avant de commencer celui des droits de la deuxième génération. Et également, du point de vue de la pertinence didactique, à l’Université comme le Docteur l’a dit, on aime bien simplifier les choses par des catégorisations, par des classifications, ça a des vertus cognitives. Donc ça permet, cette classification permet un peu de, à l’Université de faire passer le message des droits de l’homme, d’expliquer un peu le processus historique réel de l’apparition et de la défense des droits de l’homme.

Toutefois, nous pensons que cette classification n’a pas de pertinence juridique étant entendu qu’il ne faut pas concevoir les droits de première génération comme étant juridiquement différents des droits de deuxième génération, en tout cas pas dans la doctrine moderne, actuelle, des droits de l’homme. Ça a été le cas, auparavant, dans ce que nous pouvons appeler la doctrine classique, moderne, actuelle, des droits de l’homme. Où on pensait que les seuls vrais droits sont les droits de première génération, et que les autres sont plutôt des droits programmatifs, ou des objectifs sociaux. Mais on sait que la pensée des droits de l’homme s’est rénovée à partir d’un certain moment. Notamment il l’a signalé, la Déclaration de Vienne de 1993, à partir de là  il y a une certaine conception au niveau universel, au niveau des Nations Unies, au niveau des différents systèmes de protection des droits, des droits de l’homme, qui tend à faire penser que, et c’est tout à fait exact, que tous les droits de l’homme se valent. Et donc d’un point de vue juridique on ne peut pas faire de distinction du point de vue du régime juridique des droits en fonction de la génération à laquelle chaque droit appartient.

>> Si je me permets de vous résumer, vous êtes les deux convaincus que la classification générationnelle des droits de l’homme a des vertus pédagogiques, mais vous êtes sceptiques face aux conséquences juridiques qu’on a attachées à cette classification, et un enjeu majeur de la typologie des droits de l’homme, porte sur le justiciabilité. Donc pendant longtemps, la jurisprudence et la doctrine ont niés la justiciabilité des droits de la deuxième et de la troisième génération. Aujourd’hui, la position a évoluée vers l’indivisibilité des droits de l’homme, et il m’intéresserait de connaître votre position quant à cette problématique.

>> Ma position c’est que je pense que tous les droits de l’homme sont justiciables. Et je pense que c’est le mouvement général de la réflexion en matière des droits, des droits de l’homme. Aussi bien les droits de première génération que les droits de deuxième génération sont susceptibles d’une invocabilité juridictionnelle, actuellement. Alors s’il est, en théorie, parce que la pensée est renouvelée, on pense désormais que les droits de l’homme sont indivisibles. Tous les droits de l’homme contribuent à la sauvegarde de la dignité humaine, et que, il faut alors que l’ensemble des droits de l’homme puisse être mis en œuvre pour avoir une certaine amplitude dans la protection de la dignité humaine.

Donc il y a cette justiciabilité théorique, mais aussi, en pratique, on peut bien se rendre compte que les droits, tous les droits de l’homme sont justiciables. Par rapport à la justiciabilité des droits de première génération, il n’y a pas beaucoup de contestations, puisque, on a une abondante jurisprudence notamment de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui porte sur ces droits, mais également la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels dont les droits de deuxième génération est établie, puisqu’on trouve des exemples dans la jurisprudence aussi bien au niveau des Nations Unies qu’au niveau de certains systèmes régionaux de cas où les juridictions sont entrées en matière, et ont rendu des décisions par rapport à des droits de deuxième génération. Je pense notamment à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui a eu à connaître plusieurs cas de revendication et de défense des droits de deuxième génération, notamment dans l’affaire Ogoni. Et même d’un point de vue constitutionnel, on a des ordres constitutionnels, qui consacrent, on a maintenant une entrée en matière du juge constitutionnelle dans plusieurs systèmes juridiques, concernant les droits de deuxième génération. Et là nous pouvons juste prendre l’exemple de la Cour constitutionnelle de l’Inde, dans cette affaire qu’on appelle Public Union Civil Liberties, contre l’État de l’Inde. On a Également  l’affaire qui a été jugée par la Cour Constitutionnelle Sud-Africaine, en 2001, l’affaire Grootboom, ça portait sur le droit au logement, et le droit à l’alimentation des enfants. Donc on voit très bien que dans la pratique juridictionnelle, tous les droits ont fait l’objet d’entrée en matière, de revendications devant les juges et des décisions devant les juges.

>> Je suis tout à fait d’accord avec le professeur Soma sur sa position quant à l’indivisibilité des droits de l’homme. À mon sens, depuis la Déclaration de Vienne de 93, il n’y a plus aucun doute que les différentes générations sont interdépendantes, que les droits de l’homme se conditionnent mutuellement et que sans une « génération » entre guillemets, on ne peut pas penser pleine réalisation des autres générations. L’indivisibilité, pour citer le professeur fribourgeois Meyer-Bisch, c’est la nécessité de définir, d’interpréter et de faire respecter tous les droits également , en tenant compte à la fois des interactions et des différences logiques. Donc, si l’on parle des droits de l’homme, bien entendu, qu’il y aura plusieurs pondérations dans les différents droits, cela ne dépend pas forcément des générations, mais il y a des droits qui ont des, des, certaines dimensions, une dimension plus collective, une dimension plus individuelle, une dimension plus, qui va plus dans le domaine économique, une autre dans le domaine civil ou politique, certes, et tous ces droits doivent se penser ensemble puisqu’ils protègent des facettes, des facettes essentielles de la personne humaine et de son comportement. Les droits des peuples c’est une extension, aussi, de cette problématique puisqu’ils visent, on vise, par-là , aussi, à protéger l’individu au sein d’un peuple, au sein d’une collectivité et cette collectivité, son identité, elle-même, par rapport à d’autres, à d’autres mouvances ou bien à l’État, parfois le peuple se distingue, justement, de l’État, parfois on dit, on protège, aussi, les minorités par ces droits collectifs. Dont il y a tout un amalgame, toute une interdépendance, à concevoir à ce niveau-là.

Ensuite, les droits, donc, la justiciabilité des droits civils et politiques, effectivement, n’est plus à prouver, on peut recourir à une jurisprudence, d’abord nationale, ensuite aussi internationale, et à une pratique qui est pluri-centenaire. Cela étant, les droits économiques, sociaux et culturels, aussi, peuvent maintenant, justement, se targuer d’une jurisprudence qui est peut-être un peu plus récente mais qui existe dans certaines, dans certaines, sous certains aspects, aussi, qui est plus ancienne, que l’on pense, notamment, à la concrétisation des droits sociaux, des droits économiques, sociaux et culturels, au niveau des États. On pense, on peut penser, par exemple, au droit à la sécurité sociale. La sécurité sociale est un concept qui est né, qui est né, déjà, au dix-neuvième siècle, qui visait justement à trouver une solution à la misère ouvrière, à leurs prodiguer une certaine sécurité pour les éventualités de la maladie, de l’accident, de la vieillesse. Et, bien entendu, on ne concevait pas encore, à cette époque, la sécurité sociale comme un droit fondamental en tant que tel, mais il y avait déjà  une jurisprudence qui s’est gentiment établie. La même chose au niveau du droit au travail. Le droit au travail, donc, le droit au travail qui inclut le droit à des conditions équitables et justes de travail, on pense aux grands romans historiques, d’Émile Zola par exemple, le travailleur qui peine dans les mines et qui n’a aucun droit, qui risque donc la mort et la résiliation de son contrat sans aucune protection. Avec cette condition ouvrière, il y a un code du travail qui est né au niveau, d’abord, national puis aussi international et tout ça a donné lieu ensuite, ou peut-être chapeauté par un droit économique au travail.

La justiciabilité, donc, des droits sociaux a pris un certain engouement, un nouveau départ au niveau international surtout dans les, avec la fondation de l’Organisation Internationale du Travail en 1919, avec les différentes conventions qui ont été adoptées dans ce cadre et qui ont donné lieu, justement, aussi, à des conventions qu’on appelle, au sein de l’OIT, les Conventions de droits de l’homme, justement, qui protège des aspects essentiels des droits de la personne humaine. Et, ensuite ça s’est développé, bien sûr, au niveau des Nations Unies, comme l’évoquait aussi le Professeur Soma. Et, maintenant, aujourd’hui, on a, tant au niveau national qu’au niveau international, justement, des jurisprudences, des pratiques qui tendent à protéger ces droits de la deuxième génération et l’on citera bien entendu l’entrée en vigueur toute récente, le 5 mai dernier, de cette année, du Protocole Facultatif relatif au Pacte des Droits Économiques, Sociaux et Culturels des Nations Unies, qui permet, notamment, à des particuliers de saisir le comité onusien, de plaintes individuelles, de communication sur le respect de ces droits économiques, sociaux et culturels. Donc on a en quelque sorte aujourd’hui même, la confirmation de leur justiciabilité.

Je passe maintenant, mais plus brièvement que le Professeur Soma, qui lui est fin connaisseur aussi de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, donc je ne vais pas empiéter sur ses plates-bandes, mais je me permets également, comme lui, de citer cet arrêt, cette décision, pardon, de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui est vraiment fascinante, qui entre dans du terrain nouveau, c’est ce peuple Ogoni, justement, au Nigéria, qui était, il s’agissait donc d’un peuple qui se battait pour sa survie face à des sociétés, des compagnies pétrolières, étrangères, qui étaient implantées au Nigéria, qui essayaient par tout moyen de chasser ce peuple d’endroits, justement pétrolifères, et le gouvernement, au lieu de protéger sa tribu, son ethnie, protégeait plus les sociétés pétrolières et envoyait son armée pour brûler des villages, laissait polluer les rivières, les fontaines. Et il y a justement, dans cette décision de la Commission un amalgame qui est très intéressant au niveau de la justiciabilité, soit la protection, d’une part, des droits économiques, sociaux et culturels de ce peuple, et d’autre part, justement, des aspects de protection des droits des peuples à l’environnement, à la survie du peuple lui-même, à son autodétermination. Et j’ai trouvé, justement, que c’était un cas d’école pour, qui démontrait que selon comment on prenait, on abordait le droit des peuples, celui-ci pouvait tout aussi bien être rendu justiciable.

Cela m’amène, justement, à retracer, un peu, un bout de chemin, dans le sens où on parlait du droit à l’environnement, aussi, de ce peuple Ogoni, ce droit à l’environnement, on le retrouve également  mais sous sa facette individuelle au niveau de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a rendu d’innombrables jurisprudences par rapport à la mise en œuvre, à la protection du droit à l’environnement. Différents professeurs, aussi, de l’université de Genève qui ont écrit des articles tout à fait intéressants à ce sujet, notamment le Professeur Michel Hottelier, et le Professeur Vincent Martenet de l’Université de Lausanne, qui se sont consacrés à ce domaine. Et cela montre, une fois de plus, que, il y a une interdépendance et que s’il y a interdépendance, la justiciabilité, elle-même, de toutes ces générations, entre guillemets, doit être respectée.

Peut-être un dernier mot au sujet de la définition de la justiciabilité parce que c’est toujours un concept qu’on entend et on n’arrive pas toujours à s’imaginer ce qu’il faut entendre par ce terme. Alors, il existe, bien sûr, différentes définitions. J’en retiendrai une, ça serait l’aptitude d’une norme de droit international ou interne, lorsqu’elle est invoquée par le justiciable devant une instance d’application dotée de pouvoirs quasi judiciaires, à servir de base dans la décision destinée à trancher des questions juridiques qui sont soulevées par le cas d’espèce. Et pour garantir la justiciabilité, il y a bien sûr plusieurs facteurs qui sont importants. L’un des facteurs est que cette norme soit suffisamment claire et précise. L’autre facteur est que la décision à rendre peut résoudre un cas concret, à moins bien sûr qu’on instaure, ce qui existe aussi, un système, par exemple, d’action populaire, de réclamation collectif. Dans ce cas-là , on peut imaginer une justiciabilité, aussi, au niveau d’une situation générale qui poserait problème, mais en règle générale, quand on parle de ce terme, on pense aux individus qui peuvent se plaindre d’une violation ou bien à différente ethnies. Et enfin, il faut que l’autorité, formellement le juge, soit légitimée à rendre une décision, donc qu’il, que les outils qu’il emploie n’interfère pas avec la séparation des pouvoirs. Et, justement, par rapport à ces trois générations, quand on regarde les différentes décisions de cours et de commissions qui ont été rendues, on s’aperçoit qu’il n’y a, justement, pas que ces trois critères, sous-critères, sont pleinement respectés.

>> Vous êtes au fond, donc, les deux, favorables à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels et des droits de la troisième génération. Une question que j’aimerais encore vous poser : est-ce qu’à  votre avis tous les droits de l’homme sont justiciables dans la même mesure?

>> Bien. Il faut renouveler cette idée, cette affirmation que tous les droits de l’homme en théorie restent justiciables sur le fondement de ce principe d’égalité de valeur juridique des droits de l’homme. Mais il faut aussi admettre que les droits de l’homme sont justiciables à des, à des niveaux différents. On peut avoir des différences de précision, des différences de euh, de facilité d’application des droits de l’homme. Eh bien, l’idée qu’il faut réaffirmer c’est qu’en fait cette différence de justiciabilité ne tient pas à la différence de générations. Donc, les droits de première génération ne sont pas justiciables de la même manière et les droits de la deuxième génération ne sont pas justiciables de la même manière. Alors les difficultés de justiciabilité qui peuvent exister entre les droits donc, tiennent à la nature même du droit indépendamment de son appartenance à une génération déterminée. Alors, si. Dans la protection des droits de l’homme il y a ce que, ce que je peux appeler des notions fleuves. Il y a de grandes notions dont la précision doit nécessairement être faite par le juge. Et donc quand le, quand on est en présence de cette notion fleuve, la justiciabilité n’est pas en tant que telle simple. Elle est, elle est difficile mais elle appelle justement que le juge entre en matière. Alors, c’est la même chose. Pour le droit par, le droit à un procès équitable. On parle de notion de procès équitable. Alors la notion d’équité, évidemment est une notion relative, elle peut être subjective. Donc là, on pourrait dire quelque part que ce droit, le droit à un procès équitable a une justiciabilité un peu plus difficile puisque la notion qui la sous-tend est variable, peut varier euh, de façon subjective. Mais c’est la même, et on voit très bien que le droit à un procès équitable est un droit de première génération. Mais également , quand on parle sur le droit, un droit de troisième génération notamment, le droit au développement. Alors, le développement est un de ces concepts qui est fuyant devant, devant le juge, et dans un cas concret, il peut être difficile d’identifier un élément de développement et de, et de sanctionner un État qui n’aurait pas mis en œuvre cet élément de développement. Donc, on voit très bien que il y a des droits, il y a des notions dont la maîtrise juridictionnelle peut être un peu délicate. Alors que on a des droits justiciables dont, dont l’accessibilité, la, la compréhension est beaucoup plus simple, qu’on peut appeler des notions, des notions simples, des notions fines. On pense, je pense par exemple au droit à l’interdiction de la torture qui est d’ailleurs absolu. Là, soit on a torturé ou on n’a pas torturé. Donc là  c’est une notion un peu plus simple à  mettre en œuvre que la notion de développement ou la notion de, de procès équitable. Alors on trouve de tels droits aussi bien parmi les droits de première génération, mais aussi parmi les droits de deuxième génération. Et parmi les droits de deuxième génération, je pense particulièrement au droit à l’alimentation dont le contenu normatif a été fixé par l’organe qui est internationalement compétent pour ce faire. Je pense au Comité des Nations Unies pour les droits Économiques, sociaux et culturels qui est institué pour veiller à l’application par les États du Pacte International sur les Droits Économiques, Sociaux et Culturels et qui a donc la compétence de, d’interpréter, de donner le sens aux dispositions de, du Pacte. Et ce Comité a fait une observation générale pour donner le contenu normatif du droit à l’alimentation et maintenant, on doit être convaincu que ce droit ou, on le sait en tout cas, ce droit a un contenu clair et il n’y a pas beaucoup d’interprétation, beaucoup de subjectivité qui entre en matière dans l’application de ce droit. Donc on voit très bien que, aussi bien le droit à l’alimentation est précis, l’interdiction à la torture est précise et donc ces droits sont de justiciabilité simple, d’applicabilité simple par le juge et ces droits appartiennent à des générations différentes.

Donc, pour se résumer, tous les droits de l’homme sont justiciables. Il y a une différence de degré de justiciabilité parmi les droits de l’homme, mais cette différence ne tient pas à l’appartenance ou à la classification des droits de l’homme en générations. Euh, la précision est très importante dans la justiciabilité puisque on a pensé dans la doctrine classique et c’est parce qu’une norme n’était, lorsqu’elle est garantie n’est pas précise, n’est pas justiciable quand elle n’est pas précise et parce que, comme elle n’est pas précise, elle nécessite une mise en œuvre encore, législative, une concrétisation par le législatif pour préciser alors son contenu. Mais dès lors qu’on a à partir de la norme internationale qui est garantie, une précision de son contenu, alors il n’y a plus besoin en tant que telle, de cette mise en œuvre complémentaire législative pour préciser le contenu du droit. Donc le droit est beaucoup plus justiciable quand son contenu est clairement fixé.

>> Docteur Chatton est ce que vous êtes d’accord avec les propos du Professeur Soma ou est-ce que vous voudriez les compléter?

>> Peu de choses à rajouter après le, l’analyse brillante de mon collègue, Professeur Soma. Je ne partage par contre pas tout à fait son point de vue sur un point particulier. Donc la précision effectivement est quelque chose de fondamental pour la justiciabilité. Mais, on peut utiliser le critère de la détermination. Mais on peut aussi utiliser le critère de la déterminabilité. C’est-à-dire que une norme en tant que telle n’est pas forcément précise dès le départ. Il faut, elle peut être rendue par contre précise grâce à l’interprétation. Et souvent vous parliez, Professeur, de, du droit à un procès équitable. Effectivement c’est une notion très vague et on voit dans la jurisprudence actuelle, qui se développe sans cesse, que l’on peut en tirer des sous-principes très importants justement qui changent régulièrement ou qui influent régulièrement sur la, la jurisprudence des Cours suprêmes nationales. Néanmoins, il s’agit là d’un concept qui a été développé justement par une, une pratique pluricentenaire par les Cours nationales et ensuite par les, les organes internationaux qui lui ont donné toute la précision par des interprétations qui le lient ou bien par des recommandations, la soft law et grâce à cela justement peut maintenant concevoir quel est le cadre de ce droit à un procès équitable.

L’interdiction de la torture. Alors, oui, effectivement, la torture c’est quelque chose de, ça, ça, on parle du noyau intangible de la dignité humaine qui est, qui est touché par la torture même, mais on a eu récemment des cas où justement même ce concept de torture était, où certains États essaient de l’interpréter, de le remettre en cause. On parle de la pratique de waterboarding au niveau des États-Unis qui disaient c’est une forme atténuée de, de torture donc ce n’est pas de la torture ou bien c’est plutôt une forme renforcée de d’audition de suspect. On a eu aussi au niveau de la torture euh, la question de, la question de cet enfant qui avait été enlevé en Allemagne et la, la police avait, avait menacé un suspect justement de le soumettre à torture s’il ne révélait pas la cachette de cet enfant parce que cet enfant, qui était malheureusement déjà  décédé à l’époque, la vie en dépendait en tout cas, les policiers pensaient qu’ils pouvaient encore le sauver et là  aussi jusqu’à quel point est-ce que la, l’interdiction de la torture, est-ce que, qu’est-ce que veut dire la torture? Est-ce que quand on menace déjà de torturer quelqu’un cela équivaut à de la torture? Alors, la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Gäfgen contre Allemagne justement a dit que effectivement c’est, ça rentre dans l’article trois de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Mais juste pour signaler que même les termes les plus clairs sont parfois soumis à interprétation bienveillante ou malveillante dans un but d’instrumentalisation ou non mais ce n’est pas toujours aussi facile à, à départir, à départager les différents droits fondamentaux. Euh. Donc, ça c’était mon premier point.

Maintenant, est-ce qu’il y a des différences dans le degré de justiciabilité? Alors, et j’ai longtemps hésité, à mon avis, il en existe, alors, pas justement, le Professeur, je rejoins entièrement le Professeur Soma sur ce point, pas parce qu’on aurait catégorisé un droit dans la catégorie des droits de la première génération ou bien de la deuxième ou de la troisième, mais au niveau des obligations que un droit générerait. Donc, c’est, je me réfère bien entendu à la théorie, au modèle des trois types d’obligations principales qui a été forgé notamment par le Comité des, Comité onusien à des droits économiques, sociaux et culturels l’obligation de respecter un droit, donc une abstention, l’obligation de protéger un droit, donc une intervention législative ou bien aussi factuelle de l’État, notamment lorsqu’une personne est, est en danger concret, une personne essaie d’attenter à son, sa vie, la police doit prendre des mesures et ensuite la, la, l’obligation de mise en œuvre d’un droit qui nécessite une coordination beaucoup plus large. En fonction de l’obligation euh, ou du, de la prétention qu’un individu fera valoir dans ses conclusions devant un juge, devant une autorité, c’est là  qu’on verra à mon avis surtout si un droit ou cet aspect du droit est ou non justiciable. Si donc, on devra faire une pesée des intérêts, quel est l’intérêts de la collectivité, quel est l’intérêts de l’individu, qu’est-ce qui est prépondérant, et surtout, lorsqu’on se situe dans des obligations qui sont lourdes, en termes de coordination ou bien de prestations positives de l’État, est-ce que l’État, jusqu’à quel point l’État doit-il raisonnablement prendre des mesures pour venir en aide à cet individu dans le cadre, dans la circonstance particulière. Donc, c’est plutôt là  que je vois une différence de degré dans la justiciabilité mais qui touche les différentes catégories des droits de l’homme. Cela étant, peut-être, il se peut, mais je ne peux pas l’exclure, mais je ne peux pas non plus le prouver, que, au niveau, notamment, de la deuxième génération des droits Économiques, sociaux et culturels, il arrive plus souvent qu’un individu demandera des prestations positives de l’État, donc la justiciabilité se posera un peu plus souvent qu’au niveau des droits civils et politiques. Mais c’est vraiment une question de nuance et c’est une question de prétention. Et l’on voit bien dans la jurisprudence actuelle, que même lorsqu’on parle de prestations, par exemple aux personnes les plus vulnérables, il y a tout à fait justiciabilité de ces droits. On arrive, quand on voit une personne pauvre devant soi, qui n’a pas à manger ou qui n’a pas de quoi se loger, ou vêtir, on sait très bien quel est son besoin fondamental. Donc, son besoin fondamental rend aussi ce droit justiciable au regard du juge. Je me réfère, notamment, à une jurisprudence déjà  un peu plus ancienne, du tribunal Fédéral suisse, qui avait créé, ex nihilo, un droit à des conditions minimales d’existence, qui a ensuite été, d’ailleurs, consacré par la nouvelle Constitution Fédérale suisse. Donc, juste pour dire que, quand on voit un besoin, on peut aussi voir quel est, quels sont les termes au niveau de la justiciabilité.

>> Deux points. D’abord j’aimerais qu’on fasse la différence entre la justiciabilité d’un droit et l’interprétation du droit. Alors, comme le disait Favoreu, à la suite de Kelsen, l’interprétation est un processus, est une opération indissociable de l’application du droit, c’est-à-dire de n’importe quelle règle de droit, quel que soit le degré de précision logistique de la règle de droit. Donc, un juge, un juge a pour office d’interpréter toute règle de droit. Alors que la justiciabilité, ici, c’est l’aptitude du côté de la norme elle-même à être invoquée en justice. Donc, ici, il y a un processus objectif, une détermination objective à faire au niveau de la norme, de la qualité de la norme, pour voir si elle peut, elle est susceptible de faire l’objet d’une mise en œuvre juridictionnelle, en tant que telle. Et donc, quand on parle de justiciabilité, il y a une prise, une prise, une analyse à faire au niveau de chaque norme pour voir quel est l’ancrage juridique de la norme concernée, quel est son degré de précision, quel est son aptitude à faire l’objet d’une discussion en justice. Vous voyez. Et donc, c’est pourquoi on parle que, on dit que de ce point de vue, les droits de deuxième génération, parce que, ont été consacrés quelquefois en des termes vagues, sont moins justiciables que les droits de première génération. Ça c’était la caricature. Mais ce que l’on a entendu à dire, c’est que le caractère vague d’une norme est indépendant, en fait, de sa catégorisation, de sa classification dans telle ou telle catégorie. Donc, et souvent c’est sciemment fait qu’une norme soit consacrée  en tant que telle dans un instrument juridique en des termes vagues pour laisser la place, justement, soit à la marge d’appréciation des États, soit au pouvoir d’interprétation du juge.

Deuxième point des choses que je voulais compléter, c’est justement par rapport aux degrés, aux différentes strates d’obligations qu’impliquent les différents droits de l’homme. Évidemment, comme l’a rappelé le docteur Chatton, tous les droits de l’homme impliquent ces trois niveaux d’obligations : de respecter, de protéger et de donner effet. Évidemment, les deux premiers, les deux premiers niveaux d’obligations ne sont pas vraiment sujets à discussion parce que l’acte qui donne naissance ou qui viole cette obligation est très ostensible. L’obligation de respecter qui est juste une obligation d’abstention, il suffit qu’on regarde que l’État a agi pour qu’on puisse discuter de cette obligation. L’obligation de protéger, qui est en fait une obligation d’action de l’État pour protéger contre une violation, est Également  facilement évaluable en justice.

Par contre, par rapport à l’obligation de mettre en œuvre, de donner effet aux droits fondamentaux, évidemment, là, il y a beaucoup de discussions parce que c’est une notion, qu’est-ce que c’est la mise en œuvre? Et par rapport à un cas concret, est-ce que, on peut dire, en fonction du niveau d’action de l’État, est-ce qu’il a eu une mise en œuvre pas? Alors, ces types de notions, évidemment, ce dernier niveau d’obligations peut donner lieu à beaucoup de discussions. Mais on a vu aussi que, en fonction d’un vécu de l’interprétation, que le Comité des Droits Économiques, Sociaux et Culturels a donné à cette notion, il y a plusieurs degrés à ce niveau, en fait, la charge de la preuve revient maintenant à l’État. Donc, on a un changement de la charge de la preuve, l’État qui doit, maintenant, démontrer qu’il a tout fait, et que l’action qu’il a entreprise était le maximum qu’il aurait pu faire et qu’il a pu faire dans la situation concrète déterminée. Voyez.

>> Je vous remercie beaucoup. Vous avez déjà évoqué les différentes obligations qui découlent des droits de l’homme et c’est une problématique que nous allons étudier dans le prochain module. Donc, merci beaucoup.

>> Merci.

>> Merci.

[1] « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle que soit capable d’atteindre » (Art. 12 par. 1 du du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte ONU I) du 16 décembre 1966).

[2] Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Centre for Minority Rights Development (Kenya) and Minority Rights Group (on behalf of Endorois Welfare Council) c. Kenya du 25 novembre 2009 (extraits)

[3] ATF 120 Ia 1 Hürst = JT 1996 I 627

[4] Déclaration de Bangkok

[5] Déclaration et Programme d’action de Vienne

[6] AMARTYA Sen, Pas de bonne économie sans vraie démocratie, Tribune dans Le Monde, 28 octobre 1998

1 comentario

Archivado bajo Lex