Archivo mensual: agosto 2016

Why Fiji?

Marlon: Where the hell’s Fiji? Near Florida?
Truman: [pointing to golf ball] See here?
Marlon: Yeah.
Truman: This is us…
[guides finger halfway around ball]
Truman: and all the way around here… FIJI. You can’t get any further away before you start coming back.


Truman: Can you tell her I had to go to Fiji and that I’ll call her when I get there?

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Haiku Stolen From Fight Club

Random Haiku

worker bees can leave
even drones can fly away
the queen is their slave

I love this haiku. It is the poem that got me interested in crafting haikus in the first place. The way it conveys its message is both striking and elegant, which is everything I would want from haikus that I would craft. I may not send them to everyone at my company (that would be a LOT of people!), but sharing them on the internet would certainly be enough. If you haven’t seen Fight Club, I definitely recommend it. There are so many memorable quotes in that film it isn’t even funny.

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Semaine 8 : Les mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme (deuxième partie)

Ce Cours abordera la présentation des divers mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme. La mise en œuvre des droits de l’homme étant un sujet très évolutif, l’exposé comprendra également une partie consacrée aux nouvelles perspectives qui se dessinent en ce domaine. Le Cours des semaines 7 et 8 poursuit trois objectifs : (1) exposer les mécanismes internationaux de mise en œuvre des droits de l’homme ; (2) évoquer leurs rapports, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs ; (3) tracer quelques perspectives d’évolution.

Lecture préalable :

Pour en savoir plus :

  • LAMBERT ABDELGAWAD Elisabeth, L’exécution des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 2ème édition, Strasbourg 2008
  • MUBIALA Mutoy, Vers la création d’une Cour mondiale des droits de l’homme ?, Revue trimestrielle des droits de l’homme 2013, pp. 795-810
  • WILSON Barbara, Quelques réflexions sur l’adoption du Protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels des Nations Unies, in Revue trimestrielle des droits de l’homme 2009, pp. 295-317
  • Site internet des Nations Unies
  • Vidéo sur les conditions de recevabilité disponible sur le site du Conseil de l’Europe

 

INTRODUCTION

Bonjour, la semaine dernière, nous avons commencé à dessiner les contours des mécanismes internationaux qui entourent la mise en œuvre des droits de l’homme. Nous allons à  présent continuer notre approche en abordant l’étude des contrôles de type contentieux et non-contentieux. À l’issu de ces deux semaines de présentation, vous devriez ainsi avoir une vue d’ensemble du sujet, dans toute sa diversité. Cette approche devrait faciliter l’étude et la compréhension des procédures qui sont présentes dans la plupart des instruments contemporains de protection des droits de l’homme. Notre exposé se conclura avec l’ébauche de quelques perspectives d’évolution dans le domaine de la protection des droits de l’homme, car vous allez le voir, le sujet n’est et de loin pas encore achevé et ni abouti.

 

LE CONTROLE CONTENTIEUX ET NON CONTENTIEUX

Abordons à présent les mécanismes de type contentieux et non contentieux. Le contrôle contentieux ou non contentieux du respect des droits de l’homme se confond assez largement avec le contrôle préventif et avec le contrôle successif c’est-à-dire avec les deux contrôles que nous avons déjà examinés ensemble la semaine dernière. Ainsi, le contrôle de type successif ou a posteriori est le plus souvent un contrôle de nature contentieuse, lors duquel l’instance internationale chargée de veiller au respect des droits de l’homme est amenée à trancher un litige en disant si les droits de l’homme en l’occurrence sont respectés ou s’ils ne le sont pas.

Le contrôle de type préventif est quant à lui très fréquemment non contentieux. Et il correspond au fond assez bien à  la procédure des rapports à l’occasion desquels, nous l’avons vu l’Etat expose et dépeint de façon très générale la situation des droits de l’homme telle que’lle se présente au niveau national.

Bien. La réalité moderne des droits de l’homme est toutefois plus vaste et plus complexe aussi. En effet, outre les principaux mécanismes que nous avons examinés il existe encore d’autres types de procédures qui sont tout à fait originales et très intéressantes.

Parmi celles-ci compte un mécanisme, vous allez le voir, qui s’est pas simplement développé ces dernières années. Il s’agit de la procédure dite de l’enquête ou de la visite. Si cette procédure s’inscrit dans un contexte qui n’est pas à proprement parler un contexte contentieux ni successif, elle se distingue aussi de la procédure traditionnelle qui caractérise la présentation d’un rapport. L’enquête ou la visite ne voit pas en effet un Etat déterminé venir présenter lui-même un rapport sur la situation des droits de l’homme, telle qu’elle se présente au niveau national à l’intérieur de ses frontières. Avec cette procédure, certes, on pourrait dire au contraire, en sens inverse, un organe international qui se déplace de lui-même vers l’Etat afin d’y conduire sur place des investigations afin de déterminer si les droits de l’homme sont respectés. La procédure d’enquête a été mise au point et spécialement développée dans le domaine des droits de l’homme en particulier, il s’agit de la lutte contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Ainsi, au sein du Conseil de l’Europe, nous le savons la lutte contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants résulte déjà depuis 1950 de la Convention européenne des droits de l’homme avec la garantie qui figure à l’article trois de cet instrument et qui prohibe nous l’avons vu en termes absolus toute infraction ou toute violation, toute atteinte aux valeurs qui intègrent la disposition. Nous avons vu aussi que la jurisprudence a considérablement développé le champ d’application de cette garantie au Cours de nombreuses affaires dont la Cour de Strasbourg a eu à connaître. Ce n’est que d’ailleurs une manière d’illustrer aussi à nouveau l’importance que révèle le contrôle de type juridictionnel pour des garanties comme celles-ci. Ce contrôle de type successif ou contentieux par définition, il a été complété en 1987, c’est-à-dire près de 40 ans après l’adoption de la Convention de 1950, par un instrument tout à  fait original, la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines, des traitements inhumains ou dégradants. Le système européen de protection des droits de l’homme s’est enrichi d’un mécanisme, vous allez le voir, assez original.

La Convention de 1987 n’apporte pas vraiment de nouveautés révolutionnaires dans la définition juridique de la torture puisque son préambule et le corps de son texte se réfèrent sur ce point précisément à l’article trois de la Convention européenne des droits de l’homme. Or l’originalité de la Convention de 1987 elle, ne figure pas dans une nouvelle approche conceptuelle ou normative de la notion de torture, mais bien dans la création d’un organe international indépendant qui œuvre parallèlement à la Cour européenne des droits de l’homme, j’ai nommé le Comité européen pour la prévention de la torture. Cet organe tout à fait original, est en effet chargé d’enquêter, sur cette garantie précise, l’interdiction de la torture et des peines, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’enquêter au sein des Etats parties. Le Comité pour la prévention de la torture n’est pas composé que des juristes. C’est aussi une originalité, puisque cet organe compte, parmi une formation plus vaste, il compte également parmi ses rangs des spécialistes, des personnalités spécialisées dans divers domaines, notamment dans la médecine et plus particulièrement encore, dans la médecine pénitentiaire ou la psychiatrie.

Le Comité dispose à  teneur de la Convention de 1987 de la faculté d’organiser en tout temps, spontanément des visites sur le territoire des Etats parties aux fins d’y mener des investigations qui visent à déterminer si des pratiques de torture ou plus largement des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants y ont Cours.

Par l’article deux de la Convention, chaque Etat Partie autorise la visite de tout lieu relevant de sa juridiction, tout lieu où des personnes sont privées de liberté par une autorité publique.

Dans ce contexte, le Comité pour la prévention de la torture peut, comme le prévoit l’article huit de la Convention, entrer librement en contact avec toute personne dont il pense qu’elle peut lui fournir des informations utiles.

Les lieux qui sont ainsi visités sont des lieux abritant des personnes privées de liberté tels que ces centres de requérants d’asile, des établissement hospitaliers, des établissements pénitentiaires ou encore, des commissariats de police. L’originalité de ce mécanisme c’est que l’idée ici n’est pas d’accuser ou de condamner les Etats mais bien plus, de tenter de nouer un dialogue sur le terrain et de tenter de proposer également des, des solutions ou de dégager des recommandations concrètes littéralement sur le terrain. Je vous propose pour avoir une vision plus, plus complète et aussi plus vivante de ce mécanisme de visionner à  présent ensemble l’interview de Monsieur Jean-Pierre Restellini qui a été pendant de nombreuses années membre du Comité européen pour la prévention de la torture et qui est à présent membre de la Commission nationale suisse pour la prévention de la torture.

 

ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE RESTELLINI

Nous avons le plaisir d’accueillir Monsieur Jean-Pierre Restellini, Monsieur Restellini, vous êtes membre du comité pour la prévention de la torture, vous y siégez depuis bientôt 12 ans en qualité de membre titulaire. Auparavant vous avez travaillé pour le compte de ce comité en qualité d’expert, sur des missions ponctuelles, vous êtes également membre de la Commission nationale suisse pour la prévention de la torture, ma première question portera sur la composition et le mode de désignation des membres de ce comité. Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment les membres du comité pour la prévention de la torture sont désignés, et selon quelle procédure?

>> Alors la composition, elle est relativement simple, puisque la Convention prévoit que chaque État membre du Conseil de l’Europe, c’est-a-dire les 47 États, doivent désigner une personne au sein du comité, donc vous avez 47 personnes qui composent cette Commission.

En ce qui concerne le mode de désignation, alors les choses sont un peu plus compliquées puisqu’il s’agit tout d’abord, pour chaque État partie, de faire une liste avec trois noms, laquelle liste est établie par le Parlement National, puis cette liste est transmise à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, laquelle assemblée, à  travers une Commission ad’hoc, peut le cas échéant dans certains cas, refuser la liste en bloc si elle estime qu’elle n’est pas adéquate. Et ça n’est que lors du dernier tout de piste, si j’ose dire, c’est-à-dire lorsque la liste est présentée au comité des ministres que ce dernier va désigner le membre qui fera dorénavant partie du comité européen pour la prévention contre la torture.

>> La Convention sur la prévention de la torture comprend deux mécanismes, le contrôle préventif et l’enquête. Quels sont leurs avantages et leurs inconvénients respectifs?

>> Alors, en ce qui concerne l’enquête, il faut peut-être préciser, rappeler, que le comité contre la torture ne prend en principe pas en considération des cas particulier, n’est-ce pas. Puisque nous nous intéressons aux conditions globales de privation de liberté, aux conditions globales d’interrogatoires, donc, en théorie, je dis bien en théorie, ce devrait être plutôt des enquêtes qui concernent différentes personnes, n’est-ce pas, en fin un groupe. Maintenant il faut aussi rappeler que la durée des missions sur le terrain est très Courte, puisqu’elle varie de quelques jours à au maximum deux à trois semaines, et qu’il est par conséquent clair que dans ces conditions, il est difficile de faire une véritable enquête à  proprement parler. Donc pratiquement, ce qui va se passer, c’est que lorsque on décide, lorsque notre comité, notamment la délégation sur place décide de s’intéresser dans le détail à  certains faits, soit l’État en question a déjà procédé à une enquête pénale ou administrative, auquel cas nous demandons à pouvoir voir les pièces, et le cas échéant réfléchir, de manière à s’assurer que l’enquête a été conduite de manière adéquate, ou alors, lorsque tel n’a pas été le cas, et compte tenu de nouveau malheureusement de la brièveté des missions, nous allons en fin de mission demander formellement au ministère concerné d’engager une enquête, alors pénale ou administrative selon ce qui convient.

>> Est-ce l’enquête est une procédure fréquemment utilisée?

>> Voilà , alors absolument. Le contrôle préventif, c’est celui qui consiste à  aller sur place, s’entretenir avec les personnes privées de liberté, avant toute chose, puisque c’est vraiment eux qui seront la source principale des informations dont on va ensuite disposer et puis ensuite, on va confronter ces allégations, aux dossiers qui nous sont ouverts, selon la base, de nouveau de la Convention, puisqu’on va éventuellement voir si lorsque la personne rentre en prison, l’examen médical qui est fait à l’entrée permet de penser qu’il était victime de violence policière compte tenu de traces qu’on peut encore relever. Et puis on va s’entretenir avec toute une série de personnes qui nous semblent pouvoir être intéressantes dans leur témoignage, pour que le mécanisme de prévention puisse véritablement servir à  quelque chose.

En ce qui concerne les visites, la politique progressivement adoptée par le Comité européen pour la prévention de la torture débute par un entretien avec le responsable de l’établissement visité de manière à obtenir un point de vue officiel.

>> S’agissant du contrôle préventif, pouvez-vous nous dire comment les États sont choisis, et de quelle manière les institutions que le comité entend visiter sont sélectionnés?

>> Alors rappeler tout d’abord que nous avons deux types de visites, n’est-ce pas. Les visites dites périodiques, dont la périodicité hélas aujourd’hui est de l’ordre de quatre ans, ce qui est extraordinairement peu mais le budget actuel à  notre disposition ne nous permet pas de faire mieux, et nous avons à côté de cela ce qu’on appelle les visites ad’hoc, c’est-à-dire justifiées par les circonstances. Qu’est-ce que ça veut dire? Ça veut dire que lorsque nous avons des informations suffisamment préoccupantes qui nous permettent de penser qu’il faut qu’on aille d’urgence sur place, bien entendu nous allons organiser une visite ad’hoc sur la base, de nouveau de je dirais, de, d’alertes qui nous sont amenées ici et là  par la presse, par les médias, par le, que sais-je, les ONG, ou les parents le cas échéant même de détenus ou même de détenue eux-mêmes. Donc ça c’est les deux, les deux modes de visites, qui aujourd’hui à  mon avis constituent à  peu près à  50% la totalité des visites. En d’autres termes on a 50% de visites ad’hoc, et 50% de visites périodiques. Donc ces visites périodiques, comme je viens d’essayer de vous le dire, comme les visites ad’hoc, vont se baser sur les informations qui parviennent jusqu’à  Strasbourg, qu’elles émanent de nouveau de familles, qu’elles émanent de coupures de presse, qu’elles émanent de différents observateurs que nous avons sur le terrain. Une fois que, j’entends le, le pays est désigné, compte tenu de nouveau de cette périodicité, eh bien on va à  ce moment-là  essayer de cibler au mieux les établissements, les institutions, les hôpitaux psychiatriques qui doivent prioritairement être visités par notre Commission. Et à nouveau, bien entendu, on va faire le choix sur la base d’étude des différents documents qui sont à  notre disposition.

>> Et que se passe-t-il si un État refuse d’accueillir le comité pour la prévention de la torture, ou refuse d’ouvrir les portes d’une institution que celui-ci souhaiterait visiter?

>> Alors, ça, vous faites allusion à l’article neuf. L’article neuf de la Convention, qui permet à  un État, le cas échéant, de s’opposer à une visite mais vous avez certainement à l’esprit que les conditions dans lesquelles l’État peut nous opposer l’article neuf sont très précisément définies, puisqu’il s’agit vraiment de problèmes de sécurité publique, et à ce jour, si ma mémoire est bonne, on nous a opposé à  trois-quatre reprises l’article neuf au Cours des 22-23 années d’activité, donc ce qui montre que heureusement c’est très rare. Parce que c’est clair que, lorsque la Convention est entrée en vigueur, beaucoup craignaient que plusieurs États agitent cet article neuf pour nous empêcher de venir justement voir ce qui méritait de l’être. Eh bien, étonnamment pas, puisque les quelques fois où l’article neuf nous a été opposé, c’était à mon avis véritablement nécessaire. Puisque la première opposition émanait du, des Russes, n’est-ce pas, les autorités russes. Nous avions décidé à  l’époque d’aller en Tchétchénie, c’était en 1999, et lorsqu’on voulait y aller, les combats faisaient encore rage à Grosny. Donc il était clair qu’on n’aurait pas pu travailler correctement, sans tenir compte bien entendu des dangers majeurs auxquels on s’exposait.

>> Sur un plan pratique, pouvez-vous nous indiquer comment les visites se déroulent sur place?

>> Alors progressivement, effectivement on a adopté une stratégie qu’on va essayer de suivre dans la majorité des cas. La politique qui est la nôtre consiste tout d’abord à  avoir un entretien avec le responsable d’établissement. Que ce soit une prison, que ce soit un poste de Police, un hôpital psychiatrique, un centre pour requérants, bref, on va par politesse aussi, il faut bien le dire, essayer d’avoir la version officielle. On va lui demander d’abord quelques mots sur l’historique de l’établissement, lui demander quelques mots sur sa population actuelle de détenus ou de malades mentaux, s’il s’agit d’hôpitaux psychiatriques, et puis ensuite in va cibler un peu plus les questions sur les conditions matérielles, notamment sur l’accès aux avocats, sur l’accès à des chose comme la promenade, les douches, pour terminer ensuite sur finalement, un sujet qui est bien entendu extrêmement important, quelles sont, Monsieur le Directeur, vos préoccupations les plus importantes, n’est-ce pas. Et ça permet donc déjà  d’avoir une idée de, je dirais de la température de l’établissement. En ce qui concerne les visites, la politique progressivement adoptée par le Comité européen pour la prévention de la torture débute par un entretien avec le responsable de l’établissement visité de manière à obtenir un point de vue officiel.

Ensuite ce qu’on va faire, c’est que la délégation, qui est composée la plupart du temps, ça dépend, mais entre trois à cinq-six personnes, en elle-même, va souvent se séparer en deux sous-délégations, on va d’emblée se diviser en différents groupes, et puis l’un des groupes va par exemple tomber si j’ose dire, parce que c’est vraiment le terme approprié, sur les nouveaux arrivants. Et notamment les personnes qui sont arrivées dans l’établissement dans les 15 jours qui précèdent, notre visite. Puisque, le médecin légiste que je suis vous rappelle que les hématomes notamment, après 15 jours, il y a peu de chances de les voir. Donc si on peut nous-mêmes constater la présence d’hématomes, c’est bien entendu extrêmement précieux, et il faut vite y aller, compte tenu que certaines visites peuvent durer plusieurs jours et qu’en plusieurs jours les traces peuvent disparaître. Donc, on va faire ça. Moi, en qualité de médecin, je vais alors plutôt porter mon attention sur le fonctionnement du service médical, et notamment essayer de savoir dans le détail comment mon collègue médecin pénitenciaire procède à  l’examen médical d’entrée et notamment s’il a prévu de manière tout à  fait concrète, je dirais à  un moment où le cas échéant le détenu peut librement et c’est pas toujours facile bien entendu dire qu’il a été victime de mauvais traitements traite pour un cas échéant de torture, et puis bien entendu, si oui ou non, ces allégations sont suivies d’un véritable examen physique, n’est-ce pas. Là il y a un détail qui fait chaque fois problème, c’est que bien souvent ces examens médicaux d’entrée, sont conduits en présence des gardiens et/ou de la police, n’est-ce pas. Vous imaginez rapidement quelle en est la conséquence. Le détenu est terrorisé à  l’idée de dire qu’il a été maltraité par les policiers qui l’accompagnent, et il va rien dire du tout, au contraire. Il va dire je suis tombé dans l’escalier, j’ai fait une chute de vélo. Il s’agit bien entendu pour moi de m’assurer que les conditions dans lesquelles se déroule cet examen médical, qui est essentiel pour la suite des opérations, se déroule correctement. Après quoi, je vais aussi, avec mes collègues, continuer les interviews de l’ensemble des détenus. Et puis on va aussi discuter avec les services sociaux, avec l’aumônerie, quand il y en a une, bref, pour ensuite vraiment faire une visite des locaux. Et c’est un moment qui est toujours important parce que selon la Convention, pas une seule des pièces ne peut échapper à  notre attention. En d’autres termes on ne peut pas nous dire, non, vous n’allez pas là , parce que là  c’est où on range les dossiers, là c’est là  où on range les balais. C’est bien entendu extrêmement précieux, parce que laissez-moi vous donner un exemple que j’ai vécu, je ne vous dirai pas où, mais ça remonte à  quelques mois. On rentre dans le quartier disciplinaire d’une prison, et à  ma droite, je vois un escalier qui passe à l’étage supérieur, et puis il y a une espèce de, sous l’escalier, une espèce de petit local en bois, et je demande au directeur de l’établissement de quoi il s’agit, il me dit c’est là  qu’on range les balais. Je lui dis écoutez, bon, je suis ravi de l’apprendre, est-ce que je peux jeter un coup d’œil? Et on ouvre la porte de ce local qui devait mesurer à  peu près 1,20 mètres de hauteur sur 1,80 mètres, c’était une cellule. OÙ un détenu pédophile, il faut bien le dire, parce que l’idée était de le protéger des autres détenus, était incarcéré de puis deux ans. N’est-ce pas. D’où l’importance essentielle d’aller fouiller partout, parce qu’il est clair qu’on va certainement éviter de vous montrer ce genre de cellules, qui ne sont certainement pas à  la gloire de l’établissement en question. Donc farfouiller partout, il n’y a aucun local qui doit échapper à notre vigilance, et il se peut même que dans certains cas, nous exigeons l’ouverture d’une armoire ou d’un tiroir qui est cadenassé. Lorsque par exemple nous avons des allégations d’utilisation d’instruments de torture tels que appareils à  infliger des électrochocs, qui sont planqués, passez-moi l’expression, dans les armoires des policiers qui s’en servent. Alors bien souvent ce qui se passe, c’est que, on va nous dire, écoutez, on est désolé, mais le policier en question, c’est son tiroir personnel, il est parti en vacances, comme par hasard, avec les clés. Alors il faut savoir que dans ce genre de circonstances, nous avons déjà à plusieurs reprises exigé de faire sauter les cadenas, quitte à ce que les cadenas soient remboursés, qu’on fasse chou-blanc ou pas. Il se trouve que malheureusement dans de nombreux cas, on trouve justement ce qu’on recherchait, c’est-à-dire bien souvent des appareils à  infliger de, de la torture.

>> Quel est l’apport majeur du mécanisme de la prévention de la torture à  votre sens?

>> Alors, j’aurais presque un peu envie de vous répondre par une boutade, c’est la prévention de la torture, n’est-ce pas. Ce que je peux vous dire, vraiment, et de manière tout à  fait authentique, c’est que ça fait, si je cumule donc mes années d’expert avec mes années de membre au nom de la Suisse, de 23 ans, si je n’avais pas l’intime conviction que ça ne serve pas à  quelque chose, je n’en serais plus, n’est-ce pas. Donc je peux vous dire vraiment en toute franchise que ça sert à  quelque chose, et je dirais non seulement dans les pays qui ont une tradition un peu plus musclée dans les interrogatoires, mais y compris dans les pays de la vieille Europe dits civilisés. Puisque malheureusement même dans un pays comme le nôtre, la Suisse, il y a encore certainement beaucoup de choses à  faire.

>> Une question que je me pose est de savoir comment vous déterminer où se trouve les lieux de détention dans un État que vous visitez? Et une autre, comment assurer au fond, que les personnes qui ont été torturées se trouvent effectivement dans le lieu de détention?

>> Alors c’est une excellente question. La Convention prévoit que chaque État visité doit nous fournir en début de visite l’ensemble des lieux de privation de liberté, que ces lieux soient pénaux, administratifs ou civils, c’est-à-dire notamment les hôpitaux psychiatriques. Et il est clair que lorsque la Convention est rentrée en vigueur, en 89, plusieurs États ont pensé jouer les plus malins en éliminant de la liste les établissements qu’ils voulaient justement ne pas nous voir visiter. Ce qu’ils avaient oubliés, c’est que bien entendu à  travers les entretiens confidentiels qu’on avait, et qu’on a avec les détenus, ces derniers étaient très à l’aise pour nous dire, mais est-ce que vous êtes allés dans l’établissement qui se trouve ici, dans cette partie x ou y du pays, et lorsqu’on leur disait, mais écoutez non, ça ne figure pas sur la liste, eh bien, bien souvent ils éclataient de rire, en disant ben, c’est pas pour des prunes parce que c’est justement là -bas qu’on est torturé.

Donc grâce à  ce recoupement qu’on a pu obtenir de la part d’un bon nombre de détenus, et dans certains cas je, j’ai le cœur à  vous le préciser, ce n’était pas toujours facile, parce que les détenus bien souvent étaient conduits dans des lieux de privation de liberté où ils étaient torturés les yeux bandés, donc c’était extrêmement difficile pour eux de dire où ils allaient, donc on les interrogeait de manière extrêmement policière, on disait écoutez, vous avez quitté l’établissement originel où vous étiez les yeux bandés, est-ce que vous pouvez me dire à  peu près dans quelle direction vous êtes partis avec la voiture? Et la personne dit, oui, je sais, parce qu’on est passé devant la gare, j’ai entendu les trains. Donc on est parti au Nord, on a roulé à peu près une heure, donc, une heure ça fait à peu près en situation urbaine, 60 kilomètres au grand maximum, donc on peut déjà  avec un compas savoir à  peu près dans quelle direction on va. Et puis ensuite il nous dit voilà , j’ai été conduit dans un établissement où on a d’abord dû grimper un certain nombres de marches, et les détenus, notamment qui appartiennent à  des organisations politiques, savent très bien qu’il faut compter le nombre de marches, ensuite on est descendu sur deux niveaux, il y avait 48 marches, j’ai senti une odeur de café. Donc la cafétéria, ou quelque chose comme un bistrot, ne devait pas être bien loin, et puis ensuite on est arrivé c’est là que ça se passe, n’est-ce pas. Et pour vous livrer de nouveau une expérience qui est assez illustrative, on avait réussi, dans un pays dont je tairait le nom, à  localiser exactement l’endroit où se trouvait le lieu de torture, et lorsque l’on est arrivé, en comptant et recomptant les pas, on débarque sur un couloir où il n’y avait rien, hormis une énorme armoire qui devait peser à  peu près 600 kilos. Et on se disait, c’est pas possible, c’est là  que ça doit se passer. On a appelé le chef de police, le gros poste de police central, et on a dit écoutez, on voudrait que vous déplaciez ce meuble. Il a commencé à  se fâcher, en disant c’est une véritable insulte à mon pays, vous ne me faites pas confiance! On a déplacé le meuble, il y avait une porte, il y avait 70 détenus qui avaient été tous gravement torturés. Donc pour vous montrer combien c’est essentiel de pouvoir faire ce genre de travail-là . Maintenant, bien entendu, ce qui peut se passer aussi, c’est que quand bien même nous avons je dirais, l’adresse précise du lieu où les choses peuvent se passer, malheureusement assez souvent les forces de police ou bien les services secrets qui nous écoutent, on est sur écoute permanente sur nos mobiles, au téléphone, donc il faut utiliser toute une stratégie pour essayer d’être le moins suivi, mais ils arrivent de temps en temps à  savoir qu’on va le lendemain, le surlendemain, aller là. Donc pour eux, ce qu’ils font de temps en temps, c’est que ils vont, je dirais faire sortir les détenus qu’ils n’ont pas envie de nous montrer, et il nous est arrivé à plusieurs reprises de devoir faire des fois des kilomètres, ou des dizaines, pour ne pas dire des centaines de kilomètres, pour retrouver les détenus qu’on avait placés dans des camions la nuit, et pour les mettre à 500 kilomètres, n’est-ce pas. Donc ce qu’on fait, c’est que on va examiner le registre d’écrou, n’est-ce pas, on peut faire une situation assez cocasse, où dans la prison où on avait, selon le registre d’écrou, 350 personnes, et on les compte les uns après les autres, il en manque 75, n’est-ce pas. On va voir le directeur, on lui dit,

Monsieur le Directeur, c’est quand même un peu curieux, il manque 75 détenus. OÙ sont-ils? Alors au début, le directeur était un peu bébête dans la réponse, et il a dit, non, je sais pas. De la part d’un directeur de prison, ne pas savoir où se trouve à  peu près le quart de ses effectifs, c’est déjà un peu curieux, et la réaction qui était la nôtre et qui l’est souvent, encore aujourd’hui, c’est de dire, écoutez, c’est très simple, si vous ne retrouvez pas ces 75 personnes dans un délai de deux heures, on partira du postulat que vous les avez tous exécutés de manière extra judiciaire. Donc tout d’un coup on se souvient, mais oui peut-être que, et on réussit à  les retrouver, et comme vous pouvez vous imaginer, quand on es retrouve, c’est bien entendu ceux qui ont été le plus sérieusement maltraités.

>> Il nous intéresserait de savoir au fond in fine, à  la fin du travail d’enquête sur place, comment, quelle est la réaction, comment réagissent les directeurs d’établissement ou les autorités qui ont pu être méfiantes dans un premier temps, et qui finalement reçoivent le rapport fruit de vos investigations? Alors comme on peut facilement se l’imaginer, les réactions sont, sont, sont variées. Vous avez la solution, la situation qui est la pire, dans laquelle le responsable d’établissement, le responsable de la Police Nationale, voire le Ministre, nous dit c’est pas vrai. C’est faux, vous exagérez. Heureusement c’est rare, n’est-ce pas, parce qu’aujourd’hui quand même, on se rend compte qu’on ne peut plus opposer, je dirais ce genre de gesticulation à  l’expérience d’une commission comme la nôtre, qui a plus de 20 ans d’expérience et quand même reconnue pour avoir une certaine autorité. Non, ce qui se passe assez souvent, c’est plutôt une réaction contraire, c’est-à  dire certains ministres, je me souviens notamment du ministre des forces armées roumaine, lorsqu’on est allé le voir pour la première fois et qu’on avait inspecté des quartiers disciplinaires pour les jeunes militaires roumains, il était stupéfait, en disant, et il était de bonne foi, je ne savais pas que ça se passait comme ça dans mon pays, dans mon propre ministère. Et il était très content qu’on puisse lui rapporter des informations de ce type-là , qui étaient de tout évidence tout à  fait concrète, parce que, je dirais, sa hiérarchie, se gardait bien, bien entendu, de lui signaler ce genre de choses-là . Et puis vous avez aussi, et alors là c’est assez amusant que je puisse parler pour la Suisse, vous avez pas mal de responsables d’établissements qui se rendent compte que ce genre de visites de la part de notre comité, véritablement leur rendent service. C’est-à -dire, lorsqu’on va voir une prison dont l’état est complètement délabrée, donc des conditions matérielles inacceptables, et que le directeur lui-même en souffre. Parce que je peux vous garantir que la plupart des directeurs de prison, ce n’est pas du tout et de loin des tortionnaires, au contraire, c’est des gens qui ont à l’esprit d’essayer de faire en sorte que leurs clients, entre guillemets, soient le mieux traités possible. Donc, ils sont ravis qu’on mette dans le rapport que la manière dont les gens sont privés de liberté dans tel ou tel établissement, l’accès aux douches, la nourriture, bref, le chauffage, est tout simplement inacceptable. Parce que, lorsque le rapport arrive ensuite au niveau ministériel, eh bien ils sont assez à  l’aise pour dire voyez, même les experts internationaux considèrent que la situation n’est pas acceptable.

 

LE CONTROLE CONTENTIEUX ET NON CONTENTIEUX (SUITE)

L’idée de visite périodique ou régulière accomplie par un organe officiel mais indépendant aux fins de déterminer si l’interdiction de la torture est effective, a gagné en importance, ces dernières années, de façon assez impressionnante. Elle s’est en effet développée dans deux directions majeures. Elle a d’abord été intégrée, c’est intéressant de le constater, au niveau universel. Dans le cadre de la Convention des Nations Unies contre la torture et les peines, ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du 10 décembre 1984.

Un protocole, adopté le 18 décembre 2002, a en effet transposé à  l’échelon mondial, l’établissement d’un système de visites régulières, sur les lieux où se trouvent des personnes qui sont privées de liberté, afin précisément de prévenir la torture, et les autres peines ou traitements prohibés par cette Convention. Pour se faire, le protocole de 2002 a mis en place, il a créé un sous-comité, pour la prévention de la torture. Les activités qui sont menées par cet organe sont appelées à  compléter et à  renforcer, vous l’aurez compris, le travail qu’effectue déjà  le comité des Nations Unies contre la torture, c’est-à-dire celui qui a été mis sur pied par la Convention du 10 décembre 1984. Comme c’est la cas au niveau européen, chaque État partie est tenu d’autoriser les membres du sous-comité à  accomplir des visites sur son sol, dans les lieux où se trouvent, ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté. Plus encore, le protocole de 2002, prévoit que chaque État partie mette en place à  son niveau propre, un mécanisme national de prévention chargé de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La Suisse a par exemple, en application de cette clause, créé en 2009, une commission nationale pour la prévention de la torture. Cet organe indépendant est composé de 12 membres, dans la logique de la subsidiarité qui caractérise, nous le savons, le contrôle de la mise en œuvre des droits de l’homme. Il a pour mission d’assurer la prévention d’actes de torture en Suisse. À cet effet, cette commission nationale visite régulièrement des lieux abritant des personnes privées de liberté, tels que des prisons. Qu’il s’agisse d’ailleurs d’établissements hébergeant des personne en détention provisoire, c’est-à-dire des personnes qui attendent d’être jugées au pénal, ou alors des personnes en exécution de peine. La commission formule des recommandations à  l’intention des autorités compétentes afin d’améliorer le traitement et la situation des personnes privées de liberté et ainsi de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

LE CONTRÔLE DU SUIVI DU RESPECT DES DROITS DE L’HOMME

Disons quelques mots, à présent, sur le contrôle du suivi du respect des droits de l’homme. Comme nous l’avons vu, le contrôle international représente un aspect essentiel de la mise en œuvre des droits de la personne humaine. Ce contrôle s’inscrit, du reste, comme nous l’avons vu également dans la partie historique du Cours, dans une perspective continue et concomitante à la reconnaissance de ces droits par des instruments internationaux que sont les traités de garantie des droits de l’homme. Chacun aura compris, pourtant que pour être, certes, nécessaire à  leur protection, le contrôle international du respect des droits de l’homme n’est, bien souvent, pas suffisant à  lui seul. C’est dire que le volet international du contrôle appelle, bien souvent, et j’allais dire presque inévitablement, l’adoption de mesures au niveau national afin de mettre en application les mesures qui résultent du droit de regard exercé par les organes internationaux. Par exemple, lorsque, à  la faveur d’un rapport qui est présenté par un État devant un comité des Nations Unies chargé de veiller à  la mise en œuvre d’une Convention internationale en matière de droits de l’homme, si un constat de manquement vient à être opposé, face à  des pratiques nationales qui démontrent des carences majeures, eh bien, ce constat ne suffit pas à  rétablir, à  lui seul, une situation conforme aux obligations internationales auxquelles l’État en cause a souscrit.

Les constats, les rapports et les recommandations des organes internationaux impliquent que les autorités nationales adoptent, à leur tour, toutes les mesures nécessaires et utiles en vue d’assurer un respect effectif des engagements auxquels elles ont souscrit. Par exemple, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme constate, à la faveur d’une requête individuelle, qu’un État n’a pas respecté la Convention européenne des droits de l’homme, ce seul constat ne suffit pas nécessairement à donner raison au requérant. Ce type de contrôle, juridictionnel par nature, impose qu’un suivi soit assuré, exercé, au niveau des États partis, afin de veiller, comme le dit très bien la Cour de Strasbourg, à ce que l’exercice du droit ne soit pas simplement théorique ou illusoire, mais bien concret et effectif. Le suivi du respect des droits de l’homme, au niveau national, ultérieurement ou postérieurement au contrôle pratiqué sur la scène internationale, constitue de nos jours l’un des aspects les plus complexes, mais aussi les plus porteurs, en matière d’évolution des droits de l’homme. Le constat d’une violation des droits de l’homme au sein d’un État par un organisme international de contrôle appelle la prise de mesures par ledit État afin d’assurer un respect effectif de ses engagements en la matière.

Il faut toutefois reconnaître que bien des progrès restent encore à accomplir dans ce domaine. Parmi les divers types de mécanismes, le contrôle juridictionnel des droits de l’homme fournit actuellement l’exemple le plus achevé des solutions qui sont envisageables en matière de suivi du respect de ces droits, comme nous l’avons vu. Au niveau européen, par exemple, les arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme présentent un caractère obligatoire pour les États, conformément à l’article 46 de la Convention de 1950. Ces décisions de justice sont dotées de force de choses jugées et aussi de force de choses interprétées, comme nous l’avons vu la semaine dernière.

Le caractère obligatoire, qui leur est attaché, impose par conséquent aux États parties, eh bien, d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue du rétablissement d’une situation conforme au droit. Les États assument, selon la jurisprudence de la Cour, ils assument, ici, une obligation de résultat de respect des droits de l’homme, les moyens mis en application à cet effet ressortissants encore à leur souveraineté. C’est ce qu’on appelle le rétablissement du statu quo ante, le rétablissement d’une situation antérieure au constat de violation des droits de la personne humaine. Ce rétablissement, eh bien, il peut passer par l’adoption de diverses mesures, de caractère général ou individuelles, à l’image de mesures de type législatif, de mesures administratives ou judiciaires, en vue d’éviter que des violations de la Convention européenne des droits de l’homme ne se reproduisent.

Une des procédures particulièrement intéressante, dans ce contexte, peut aussi consister en la réouverture à l’échelon national de la procédure qui a conduit à  la saisine de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est dire que la satisfaction équitable que la Cour peut allouer au requérant, en application de l’article 41 de la Convention européenne des droits de l’homme, eh bien, ne suffit pas toujours à compenser le dommage que le requérant a éprouvé. Exemple, si la Cour de Strasbourg constate une violation du droit au respect de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison, par exemple, de l’expulsion injustifiée de celle-ci à l’étranger, eh bien, on comprend facilement que l’allocation d’une somme, fût-elle symbolique, ne suffit pas à purger, en quelque sorte, le vice dont la mesure d’expulsion est entachée. Pareille mesure peut tout au plus constituer une manière de compenser un éventuel dommage matériel ou bien moral. Mais ce qui intéresse au premier chef l’auteur de la requête, dans une affaire comme celle-ci, eh bien, c’est d’obtenir le droit de rester dans le pays en cause, c’est-à-dire d’obtenir l’abrogation de la mesure qui visait à  l’en expulser. Or, la Cour européenne des droits de l’homme ne dispose pas du pouvoir d’annuler une mesure administrative ou pénale, comme l’expulsion d’un étranger. Le dépôt d’une plainte individuelle devant la Cour, à  Strasbourg, n’est en effet que l’exercice d’une action en constatation de droit qui ne déploie, en tant que telle, aucun effet cassatoire ou réformatoire dans un cas comme celui de l’expulsion injustifiée d’un étranger. Le dispositif issu d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme doit donc nécessairement, dans un cas comme celui-ci, être complété par un autre dispositif de rang national, celui-ci.

La Suisse est un exemple intéressant, à cet égard. La Suisse est, en effet, l’un des États qui s’est doté qui s’est dotée d’un arsenal législatif relativement complet à  cet égard. Lorsque la Suisse, par hypothèse, essuie une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire, eh bien, la législation nationale permet, à certaines conditions, de rouvrir le dossier au niveau de la dernière instance nationale, en vue de réviser, c’est-à-dire, de reprendre, pour la juger à  nouveau l’affaire qui a conduit au constat de violation de la Convention européenne des droits de l’homme. La procédure de révision a été introduite dans la loi suisse, à la fin du 20ème siècle, il y a plus de 20 ans, suite à toute une série de condamnations prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme, condamnations à propos desquelles, d’ailleurs, la question s’est posée de savoir précisément quel suivi pouvait ou devait leur être réservé au niveau national. De nos jours, comme le droit Fédéral le permet, eh bien, il n’est ainsi pas rare que lorsque la Cour européenne parvient à la conclusion que la Convention n’a pas été respectée par les autorités suisses, le requérant puisse solliciter la réouverture de la procédure devant le Tribunal Fédéral, en principe dernier instance nationale compétente, pour y faire précisément réexaminer son dossier.

Un exemple est particulièrement intéressant et illustratif, à cet égard. Il s’agit d’un arrêt qui a été rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le 13 décembre 2007. Dans cette affaire qui portait sur le droit au respect de la vie familiale, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’adoption par un concubin de la fille majeure de sa partenaire avait eu pour effet, conformément au Code civil suisse, de rompre le lien de filiation entre la mère et son enfant. Cette situation pour le moins singulière s’expliquait par le fait que les deux partenaires vivaient ensemble mais sans être mariés. Les dispositions du Code civil suisse relatifs aux effets de la filiation prévoient qu’en cas d’adoption, les liens de filiation antérieure sont rompus sauf à l’égard du conjoint de l’adoptant. Or, l’interprétation traditionnelle, historique, du terme conjoint, réservé à  cette appellation dans la loi suisse, eh bien, la réservait aux seules personnes mariées, à  l’exclusion de celles qui entretiennent une relation de concubinage. En l’espèce, pour avoir, certes, gagné par adoption un lien de filiation paternelle avec le partenaire de sa mère, eh bien, la jeune femme avait perdu le lien de filiation qui l’unissait à sa mère. Après avoir relevé qu’une relation de concubinage fait partie de la notion de vie familiale, protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a constaté, ici, une violation de cette garantie protégée par la Convention, précisément. De l’avis unanime des juges de la Cour, le respect de la vie familiale exigeait, en l’occurrence, la prise en compte des réalités tant biologiques que sociales pour éviter, je cite, une « application mécanique et aveugle des dispositions de la loi suisse à cette situation particulière », pour laquelle, de toute évidence, elle n’était manifestement pas prévue. La Cour a par conséquent conclut à l’absence de cette prise en compte qui avait heurté de front les vœux des personnes concernées, sans réellement profiter à  personne. On se doute toutefois bien qu’un verdict tel que celui-ci est clairement insuffisant à assurer le rétablissement d’une situation conforme au respect des droits de l’homme. En effet, ce qui compte dans un cas de ce genre, c’est bien le rétablissement du lien de filiation entre la mère et sa fille. Or, une Cour internationale de justice, comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg, eh bien, précisément, ne dispose pas de la compétence nécessaire pour instituer de son propre chef une mesure de ce genre. C’est pourquoi, suite à  cet arrêt de principe, de la Cour européenne des droits de l’homme, eh bien, les requérants, qui avaient obtenu gain de cause devant la Cour de Strasbourg, ont sollicité du Tribunal Fédéral la révision de l’arrêt par lequel celui-ci avait dans un premier temps constaté que perdre un lien de filiation dans l’hypothèse d’une adoption hors mariage ne contrevenait ni au droit civil suisse, ni à la Convention européenne des droits de l’homme.

Conséquence logique, par un nouvel arrêt, rendu le 18 juillet 2008, donc vous le voyez, très rapidement après l’arrêt de la Cour qui datait de décembre de l’année précédente, le Tribunal Fédéral a admis la demande de révision qui avait été introduite devant lui. Il a formellement annulé son arrêt antérieur, celui qui avait conduit à  la saisine de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et logiquement donné raison aux intéressés, après avoir constaté que seul le rétablissement du lien de filiation entre la mère et sa fille, suite à l’adoption, était de nature à  permettre d’assurer le respect concret et effectif au sens de la jurisprudence européenne de la vie familiale, prévu par l’article 8 de la Convention.

 

LES PERSPECTIVES D’EVOLUTION

Vous l’avez constaté, le contrôle international du respect des droits de l’homme est un monde en soi, un monde à la fois passionnant et assez complexe. Nous n’aimerions pas achever cette introduction sans évoquer quelques-unes des perspectives d’évolution qui sont actuellement discutées et qui pourraient, nous l’espérons, susciter aussi votre intérêts. Nous en avons retenu deux : celle de la coordination et de la multiplication des mécanismes internationaux de contrôle, d’une part, et celle du suivi au niveau national du droit de regard exercé par les organisations internationales, d’autre part.

Commençons par la multiplication des mécanismes internationaux de contrôle. Comme nous l’avons vu tout au long de nos travaux, les droits de l’homme n’ont cessé de se développer et de gagner en importance depuis leurs proclamations au niveau universel, il y a maintenant une soixantaine d’années. Il s’agit assurément d’un domaine qui a profondément marqué et transformé tout à la fois le droit international et le droit national, de même que la communauté des États dans son ensemble.

Aujourd’hui, les droits de l’homme sont quasiment partout. Ils imprègnent sur le plan universel, comme sur le plan régional, jusqu’aux organisations internationales elles-mêmes, qui non seulement les ont créés, leur ont donné vie, mais qui, de plus en plus, se soumettent aux droits de l’homme dans l’exercice de leurs propres activités.

Cette multiplication est cependant préoccupante en raison de son caractère, on peut le dire, largement désordonnée. Si elle témoigne de la vitalité qui caractérise les droits de l’homme, cette multiplication interpelle, sous l’angle d’un manque assez évident, il faut bien le dire, de coordination dans le développement des instruments normatifs, non seulement en ce qui concerne la multiplication des garanties elles-mêmes, mais plus particulièrement en ce qui concerne les divers mécanismes de protection appelés à  coexister à l’échelon international. Rien qu’au niveau des Nations Unies, par exemple, le nombre de treaty bodies voit, de nos jours, plusieurs comités travailler en parallèle dans le domaine de la protection des droits de la personne humaine. Ainsi, pour le même droit, des organes tels que le Comité des droits de l’homme, le Comité contre la torture, ou encore le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale sont susceptibles d’être activés. La multiplication des mécanismes internationaux de contrôle, bien que témoignant d’une certaine vitalité des droits de l’homme, interpelle sur les problèmes générés par l’existence d’une pluralité non coordonnée de droits et d’acteurs institutionnels.

Cette pluralité des organes et des mécanismes de contrôle est-elle vraiment nécessaire? Ne risque-t-elle pas même de générer, à terme, des contradictions ou des incompatibilités dans le traitement des questions qui sont posées à  ces organes? Depuis un certain temps, des discussions ont Cours au sein de l’organisation des Nations Unies, en vue précisément de tenter de rationaliser, de regrouper ou même de centraliser le travail des organes internationaux chargés de contrôler la mise en œuvre des instruments de protection des droits de l’homme. J’en viens à  la question essentielle, qui est sans doute une question qui mériterait d’être clairement approfondie : à  terme, est-ce que la création d’une Cour universelle des droits de l’homme n’est pas une perspective séduisante? Ne serait-il pas judicieux de concevoir un organe unique chargé de veiller au contrôle du respect des droits de l’homme dans leur ensemble, dans le monde? Cette perspective présente à  la fois des avantages et des inconvénients, j’en suis conscient. Elle interpelle, toutefois, avec pertinence, sur les problèmes qui sont générés par l’existence d’une pluralité de droit, une pluralité d’acteurs institutionnels, et tous les risques de confusions ou de contradictions qui sont susceptibles de découler de cette situation. Ici, nous ne faisons que poser la question et vous renvoyons, pour plus de détails, à la documentation jointe au Cours, dont une étude récemment parue, approfondie, avec beaucoup d’intérêts et de pertinence, cette question.

Une autre piste intéressante consiste à aborder le suivi au niveau des États, cette fois, des constats, des décisions, ou des jugements susceptibles d’émaner d’organes internationaux chargés de veiller au respect des droits de l’homme. Comme nous venons de le voir, le mécanisme le plus abouti, à cet égard, voit, dans le cadre du contrôle juridictionnel, certains États se doter de procédures permettant de rouvrir à leur niveau le jugement de dossier, lorsque un constat de violation des droits de l’homme est posé par un organe international de contrôle.

Si dans cette perspective, des mécanismes, tels que la procédure de révision, commencent à se développer, en Europe en particulier, eh bien, il faut observer que ces procédures restent, pour l’heure, cantonnées aux seuls arrêts que rend la Cour européenne des droits de l’homme. Qu’en est-il, par exemple, des constatations émanants d’autres organes internationaux de contrôle, dans le cadre d’un examen de nature juridictionnel. Bien souvent, ceux-ci sont considérés comme dépourvus de force contraignante, pour ne recevoir, au mieux, au niveau national qu’un accueil timoré ou peu considéré, alors même qu’il porte sur des garanties aussi centrales et importantes que la lutte contre la torture, contre la discrimination, ou encore en faveur de la protection des personnes les plus vulnérables. À notre sens, et nous aimerions vous interpeller sur cette question-là , le caractère juridiquement obligatoire des constats émanant des organes internationaux chargés de contrôler le respect des droits de l’homme devrait être largement reconnu afin de permettre leur meilleure prise en compte sur le plan national.

La lutte contre la torture, pour prendre un exemple concret, ne devrait pas être mieux assurée lorsque son contrôle émane d’un arrêt juridiquement obligatoire de la Cour européenne des droits de l’homme ou d’une constatation émanant du Comité des Nations Unies contre la torture. Rien ne justifie que dans un cas la décision européenne lie juridiquement l’État et que tel ne soit pas le cas, au contraire, lorsque un constat identique émane d’un organe de protection des droits de l’homme, comme le Comité des Nations Unies contre la torture.

Les droits de l’homme, nous l’avons vu tout au long de cet enseignement, sont une avancée majeure. Ce sont des droits. Ce sont des droits qui sont dotés de force obligatoire. Et il nous paraît pour le moins confus ou contradictoire de dire que, in fine, à l’issue du contrôle international chargé de veiller à leur respect, certaines décisions sont obligatoires pour les États et d’autres, en quelque sorte, ne le seraient pas. Il y a là  une situation incohérente et insatisfaisante qui mériterait d’être clarifiée et d’être améliorée pour, précisément, conférer jusqu’au bout un caractère juridiquement obligatoire aux droits de la personne humaine.

 

CONCLUSION

[MUSIQUE] Il est temps de conclure. En dépit du caractère, assuréement passionnant, de toutes les questions que nous avons évoquées.

La pluralité des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme, ne présente certainement pas que des inconvénients, en dépit de l’incohérence à laquelle elle peut prêter le flanc. Cette pluralité, elle exprime aussi le souci de porter des regards pluriels et complémentaires, sur le respect des obligations auxquelles les États souscrivent lorsqu’ils prennent, souverainement, la décision de ratifier des traités en matière de protection des droits de la personne humaine. Chacun des divers mécanismes que nous avons passés en revue, durant ces deux semaines de Cours, présente tout à la fois, vous l’aurez compris et constaté, un certain nombre d’avantages, et aussi un certain nombre d’inconvénients.

C’est pourquoi, les instruments contemporains de protection des droits de l’homme, cherchent bien souvent à les intégrer de manière complémentaire, en permettant l’exercice d’un droit de regard international combinant mécanismes juridictionnels et non juridictionnels, contrôles préventifs et contrôles successifs, contrôles contentieux, et contrôles non contentieux.

Cette tendance, elle s’observe dans des domaines spécifiques telles que la lutte contre la torture ou le respect des droits de l’enfant, comme nous l’avons vu. On l’observe toutefois à propos d’instruments protégeant des garanties plus générales. À l’image du pacte international, relatif aux droits économiques sociaux et culturels. Cet instrument, en effet, s’est récemment enrichi avec l’adoption et l’entrée en vigueur d’un protocole facultatif complétant de manière extrêmement significative, la palette des procédures de contrôle sur le plan universel. Cet instrument protocolaire, original, prévoit notamment à présent le droit de communication individuelle auprès du comité des droits économiques, sociaux, et culturels des Nations Unies. Cette avancée est importante, et elle confirme l’un des constats que nous avons faits à plusieurs reprises tout au long de ce cours, celui du caractère juridiquement obligatoire, contraignant, des droits de l’homme, donc sujets à contrôle quelle que soit la famille ou la catégorie à laquelle ces droits appartiennent. [AUDIO_VIDE]

 

CONSIDÉRATIONS FINALES

Voilà . Nous arrivons au terme de cet enseignement introductif et il est donc temps de conclure. Notre cheminement dans le monde des droits de l’homme a commencé sur le site, puis dans les locaux de l’Organisation des Nations Unies. Il s’achève aujourd’hui dans une salle d’audience du Palais de Justice ici, à Genève. Le choix de ces lieux ne doit rien au hasard. Il est, au contraire, délibéré et directement lié au planning, à la conception, au contenu de l’enseignement que vous avez suivi.

>> La vision contemporaines des droits de l’homme est en effet issue du droit international. C’est au sein de l’ONU qu’elle a, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité trouvé une Proclamation solennelle avec la Déclaration Universelle des droits de l’homme.

L’adoption des multiples instruments normatifs a suivi. Ces instruments ont donné corps et ont contribué à l’émancipation et à  l’autonomie de la protection internationale des droits de l’homme.

Si notre cheminement s’achève au Palais de Justice de Genève, ici donc, c’est pour marquer que les droits de l’homme trouvent prioritairement matière à s’appliquer à l’échelon des Etats. C’est sur le terrain local que les obligations de respect, de protection, de réalisation et même de promotion sont appelées à déployer leurs effets.

C’est aussi à travers des mécanismes nationaux de mise en œuvre tels que les procédures juridictionnelles, que les droits de l’homme déploient leur effet utile. Contrairement à une idée communément répandue, les multiples mécanismes internationaux n’ont pas vocation à  déposséder les Etats de leurs responsabilités en la matière.

>> Même si nos travaux se sont étendus sur plusieurs semaines, nous sommes tout à fait conscients que l’approche que nous avons privilégiée et partagée avec vous se limite à  une vision fondamentalement introductive des droits de l’homme. Certes, il est vrai que la plupart des questions que nous avons abordées et traitées ensemble pourraient appeler de très nombreux développements, beaucoup plus approfondis. C’est pourquoi la documentation qui est jointe à l’appui des séances du Cours que vous avez suivi vise à fournir des jalons en vue de vous permettre de pousser, de procéder à  des études plus approfondies si tel est votre vœux.

>> Si l’approche académique des droits de l’homme vous a plu et vous souhaitez précisément pousser plus loin, nous vous signalons que la Faculté de Droit de l’Université de Genève dispense, en principe chaque année, un programme de certificat de formation continue en droits de l’homme. Placé sur notre direction, ce programme accueille chaque année de nombreux étudiants provenant des cultures et des formations différentes. La plupart des intervenants externes dont vous avez fait connaissance dans le cadre de ce Cours, font partie du corps enseignant de la formation continue. Des indications plus précises sur le contenu et le déroulement de ce programme figure sur le site de la Faculté. Nous espérons que ce programme a su capter et retenir votre intérêts.

Nous vous remercions de votre participation et formons tous nos vœux pour la suite de vos travaux. Quant à nous, nous allons sans doute continuer notre cheminement dans le domaine des droits de l’homme, domaine passionnant et toujours en marche.

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Semaine 7 : Les mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme (première partie)

Ce cours abordera la présentation des divers mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme. La mise en œuvre des droits de l’homme étant un sujet très évolutif, l’exposé comprendra également   une partie consacrée aux nouvelles perspectives qui se dessinent en ce domaine. Le cours des semaines 7 et 8 poursuit trois objectifs : (1) exposer les mécanismes internationaux de mise en œuvre des droits de l’homme ; (2) évoquer leurs rapports, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs ; (3) tracer quelques perspectives d’évolution.

Lecture préalable :

Pour en savoir plus :

  • LAMBERT ABDELGAWAD Elisabeth, L’exécution des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 2ème édition, Strasbourg 2008
  • MUBIALA Mutoy, Vers la création d’une Cour mondiale des droits de l’homme ?, in Revue trimestrielle des droits de l’homme 2013, pp. 795-810
  • WILSON Barbara, Quelques réflexions sur l’adoption du Protocole facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux Droits Économiques, Sociaux et Culturels des Nations Unies, Revue trimestrielle des droits de l’homme 2009, pp. 295-317
  • Site internet des Nations Unies
  • Vidéo sur les conditions de recevabilité disponible sur le site du Conseil de l’Europe

 

INTRODUCTION

Bonjour, après l’étude des obligations et des limites opposables aux droits de l’homme, nous allons aborder, dans cette dernière partie du cours, la question des mécanismes de mise en œuvre de ces garanties. Comme cadre, pour illustrer nos travaux, nous avons choisi d’aborder cette question dans cette magnifique salle d’audience du Palais de Justice de Genève. C’est une manière de souligner que, contrairement à une opinion communément répandue, eh bien la garantie des droits de l’homme ne s’effectue pas qu’au niveau international, mais qu’elle commence véritablement sur le terrain, à l’échelon local, devant les instances nationales, et bien souvent, mais pas uniquement, devant le juge.

Nous voyons déjà que le juge, dans ce contexte, assume une fonction importante, celle généralement, c’est vrai, d’être la voix de la justice et la voix de la loi, celle qui consiste à dire le droit, mais aussi plus précisément pour notre propos, dans le cadre de cet examen du droit, eh bien d’assurer le respect des droits de l’homme. Et avant de parler des mécanismes internationaux, eh bien, ce type de débat, a cours prioritairement devant les instances nationales.

La mise en œuvre des droits de l’homme représente un élément cardinal, central, au moins aussi important que leur reconnaissance sur le terrain philosophique et leur consécration sur le plan juridique par des traités internationaux comme nous l’avons vu lors des sessions précédentes.

On peut d’ailleurs faire le même constat sur le plan des constitutions nationales, au niveau donc des États, la proclamation des droits fondamentaux, nous l’avons vu, reste en effet bien souvent lettre morte, en l’absence précisément de mécanismes institutionnels, permettant de contrôler leur exercice, et d’assurer leur respect. Le but de cette session, de cette partie du cours, qui reste un cours introductif, eh bien, c’est d’apprendre à  connaître ensemble quels sont ces mécanismes internationaux de mises en œuvre des droits de l’homme. Pour ce faire, plusieurs perspectives pourraient être suivies. On pourrait étudier ces mécanismes en fonction de la nature des droits qu’ils ont vocation à servir. On pourrait les étudier par instrument. Par cadre géographique, en fonction du contexte historique. La démarche serait certainement intéressante, mais elle présenterait l’inconvénient de devenir assez rapidement fastidieuse, et même lassante. La perspective que nous avons choisie, dans le cadre de ce cours, eh bien, c’est d’essayer de comprendre ensemble ces mécanismes internationaux, sur une base générale et logique. Autant le dire tout de suite, il existe en effet plusieurs types distincts de mécanismes. L’idée, dès lors, pour nous, eh bien, c’est d’essayer de mettre en relief leurs caractéristiques propres, et leurs modes de fonctionnement respectifs. En raison de son importance, l’exposé relatif aux mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme s’étendra sur deux semaines. Durant cette semaine, nous allons commencer notre examen par exposer de manière très générale, le contexte et les spécificités du respect des droits de l’homme, tel qu’il est assuré au sein des organisations internationales qui les ont générés.

Nous commencerons cette semaine déjà, l’examen des principaux modes de contrôle, nous poursuivrons notre analyse la semaine prochaine, en abordant notamment la question du suivi au niveau national, de la mise en œuvre des droits de l’homme, avant d’évoquer, ce sera la conclusion de nos travaux, quelques unes des perspectives d’évolution qui sont en cours dans ce domaine.

Un mot encore pour vous dire que, pour illustrer notre propos, et encadrer nos travaux tout au long de ces deux semaines, l’exposé sera accompagné de la diffusion d’interviews que nous avons réalisées avec d’éminents experts internationaux qui ainsi pourront partager avec nous certaines facettes de leur expérience.

 

LES CARACTERISTIQUES DE LA MISE EN ŒUVRE DES DROITS DE L’HOMME

Nous allons commencer notre examen par l’étude des caractéristiques de la mise en œuvre internationale des droits de l’homme. Le contrôle international du respect des droits de l’homme présente, en effet, plusieurs caractéristiques. À vrai dire, vous trouverez de nombreuses manières de présenter, d’exposer, ces caractéristiques en fonction des auteurs qui les évoquent. Dans le cadre d’un cours introductif, comme le nôtre, ces caractéristiques, pour l’essentiel, nous les avons résumées au nombre de deux : la subsidiarité et la diversité. Commençons par la subsidiarité.

La subsidiarité se présente véritablement comme la caractéristique centrale de la philosophie et de l’architecture contemporaine des droits de l’homme. Elle signifie que la mise en œuvre internationale des droits de l’homme n’intervient, en principe, qu’en dernier recours, après qu’un contrôle ait, préalablement, pu être exercé au niveau national. Pour mieux la comprendre, cette caractéristique, il ne faut pas oublier un élément central. Les droits de l’homme sont, en effet, la création de l’ordre juridique international, ils sont issus de la société internationale, par la voie de traités, de Conventions ou de pactes.

Les destinataires de ces traités sont les États. Dès lors, les États occupent une position ambiguë par rapport aux traités de protection des droits de l’homme. Ce sont en effet eux qui bien souvent les élaborent, qui réfléchissent à leur contenus, avant de les signer, de les approuver, et, finalement, de les ratifier. Mais, en même temps, les États sont les destinataires prioritaires des droits de l’homme qu’ils ont, ainsi, créé. Logiquement, c’est donc à eux qu’incombe, en tout premier lieu, la mise en œuvre et le contrôle du respect des droits de la personne humaine.

Non moins logiquement, le contrôle du respect des droits de l’homme sur la scène internationale n’intervient que de manière subsidiaire, ou plutôt complémentaire, après que l’État a eu l’occasion d’appliquer lui-même, et au besoin, d’interpréter, de corriger, de mettre en œuvre, voire de sanctionner, à son niveau propre, d’éventuelles défaillances dans ce domaine. Par exemple, si l’État se charge lui-même, par la voie des organes qui lui sont propres, de rectifier une situation contraire aux droits de l’homme, eh bien, alors, la protection internationale, selon ce principe de subsidiarité, n’entre, normalement, pas un jeu.

Nous allons voir qu’il existe plusieurs types de mécanismes de protection des droits de l’homme. En particulier, parmi ceux-ci, les mécanismes de type juridictionnel permettent à des individus d’agir sur la scène internationale, devant des organes spécialisés, indépendants des états, pour se plaindre d’une violation de leurs droits.

Lorsque tel est le cas, nous le verrons plus en détail dans quelques instants, l’une des règles fondamentales qui précède la saisine de l’organisme international, eh bien, c’est l’obligation faite, aux bénéficiaires des droits en question, d’épuiser au préalable, comme on dit, les voies de droit, les voies de recours qui sont à sa disposition au niveau de l’État mis en cause. Cette obligation est tout à fait centrale. Elle signifie, en d’autres termes, qu’il faut gravir les divers échelons institutionnels qui permettent d’assurer le respect des droits de l’homme au niveau national, avant d’envisager une sanction supranationale, internationale. La règle d’épuisement signifie aussi qu’il ne suffit pas d’épuiser, comme on dit, verticalement ces instances, en présentant le litige devant l’une après l’autre, jusqu’à la dernière disponible au niveau national, il faut aussi faire valoir, devant chacune d’elles, lorsque cela est possible, la violation des droits que l’on envisage, ensuite, eh bien, subsidiairement, d’invoquer sur la scène internationale.

C’est d’ailleurs un principe qui est plus généralement reconnu en droit international. Les instruments internationaux de contrôle du respect du droit ne peuvent, en principe, intervenir qu’après que les États ont, eux-mêmes, tout entrepris, tout mis en œuvre, à  leurs échelons, pour tenter d’assurer le respect du droit en cause. Dans le domaine des droits de l’homme, prenons un exemple historique, intéressant. Dans le cadre de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui est un des instruments parmi les plus anciens au niveau des Nations unies, en matière de droits de l’homme, puisque ce traité, très important, a été adopté le 21 décembre 1965, eh bien, cette Convention de 1965 prévoit en son article 14 que le comité des Nations Unies contre la discrimination raciale ne peut être saisi si l’État accepte sa compétence en la matière pour statuer sur des communications individuelles qu’après que les auteurs de ces communications aient épuisé, je cite, « tous les recours internes disponibles ».

En d’autres termes, il est en principe impossible de faire valoir, devant l’organe international de contrôle institué par un traité, en matière de protection des droits de l’homme, des moyens ou des griefs qui n’ont pas été préalablement allégués, présentés, et traités, au niveau national devant les instances compétentes de chacun des États en cause. L’épuisement des voies au niveau national implique la nécessité de faire valoir la violation des droits de l’homme à chacune des étapes précédant la saisine de l’instance internationale compétente.

Abordons, à  présent, la question de la diversité des mécanismes internationaux de mise en œuvre des droits de l’homme. C’est la seconde caractéristique. Cette caractéristique procède d’un simple constat, que vous avez sans doute fait vous-même, en consultant les multiples traités de protection des droits de l’homme qui sont disponibles, actuellement, à l’échelon aussi bien universel que régional, eh bien, c’est le constat lié au nombre et à la très grande variété des instruments internationaux de protection qui existent en matière de droits de l’homme, en droit contemporain.

La diversité des mécanismes signifie que la mise en œuvre et le contrôle du respect des droits de l’homme n’obéissent pas à un mécanisme ou à une procédure unique, invariablement uniforme. La diversité et la multiplicité des instruments de protection des droits de l’homme, eux-mêmes, impliquent, au contraire, que ces droits sont tributaires de procédures de contrôle qui peuvent être d’une nature très différente, sans d’ailleurs être pour autant exclusives, les unes par rapport aux autres. En d’autres termes, les mêmes droits peuvent, en fonction des instruments juridiques qui les consacrent, donner lieu à des formes d’examen, de contrôle, de mise en œuvre, qui sont très différentes sur le plan international. Dès lors, deux questions se posent : comment ces mécanismes se présentent-ils et en quoi consistent-ils, et quelles sont leurs particularités?

Pour répondre à  cette question, il faut évoquer, de façon très générale, la structure et les critères qui sont susceptibles de fonder un droit de regard de la société internationale sur les pratiques nationales, en matière de droits de l’homme. On peut, sur cette base très empirique, concevoir une sorte, oui, de cartographie des mécanismes de contrôle. Il existe, certainement, plusieurs manières d’apprécier cette problématique. Là, aussi, les approches sont multiples. Pour notre part, et toujours dans la perspective introductive qui est celle de cet enseignement, eh bien, nous retiendrons deux critères principaux.

D’abord, le critère chronologique. À quel moment le contrôle international est-il susceptible d’intervenir? Je m’explique : si l’organe chargé d’effectuer le contrôle intervient avant qu’une violation des droits de l’homme se produise, ou indépendamment d’un litige particulier, alors nous parlerons, dans ce cas, d’un contrôle de nature préventive ou d’un contrôle a priori.

Maintenant si, en revanche, le contrôle susceptible d’être pratiqué intervient après qu’une violation se soit produite ou ait été dénoncée, en pareille hypothèse, nous parlerons d’un contrôle de type successif ou d’un contrôle a posteriori. C’est le premier critère.

Le deuxième critère concerne le contexte dans lequel le contrôle s’opère. Le contrôle est-il effectué sur la base d’un litige concret ou s’inscrit-il, au contraire, dans un contexte beaucoup plus général et moins déterminé?

Si le contrôle s’exerce dans le cadre d’un litige particulier alors nous avons affaire à un contrôle de nature contentieuse.

S’il se déroule, par contre en dehors d’un litige spécifique, l’examen auquel se livrera l’organe en cause sera non contentieux. Nous allons, à présent, détailler chacune de ces caractéristiques.

 

LE CONTRÔLE PRÉVENTIF

Après avoir énoncé, de façon très générale, les principales caractéristiques des mécanismes de mise en œuvre des droits de l’homme, attardons-nous plus en détail sur le mécanisme de type préventif. Le contrôle préventif intervient dans un contexte général qui ne pousse pas l’organe international saisi à se prononcer sur le statut ou sur la situation individuelle et concrète d’une personne ou d’un groupe de personnes déterminées. Non, le regard qui est ainsi pratiqué porte sur une perspective, généralement, beaucoup plus globale du respect des droits de l’homme. Cette forme de contrôle est très répandue à l’échelon universel. Ainsi, dans le cadre du contrôle du respect des droits de l’homme qui s’effectue à l’ONU, le contrôle préventif permet d’entamer un dialogue avec les États sur la base de rapports que ceux-ci sont invités à présenter périodiquement au sujet de la situation du respect des droits de l’homme durant un laps de temps déterminé.

Ce mécanisme est prévu par les Conventions et les pactes que l’ONU a institué en matière de droits de l’homme. On le rencontre aussi bien dans les Conventions dotées d’une vocation très générale, comme c’est le cas du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que dans les instruments voués au respect, plus spécifique, de certains droits, je pense, ici, par exemple, à la Convention contre la torture, ou bien à la protection de certains groupes de la population particulièrement vulnérables, je pense ici à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes ou encore à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Sur la base de ce mécanisme, l’État partie, comme je le disais, est invité à venir présenter la situation nationale relative à l’application du traité en cause et au respect des droits que celui-ci contient sur la base d’un rapport, qui est d’abord un rapport initial. Le dépôt du premier rapport, par l’État signataire, intervient, en effet, quelque temps après que celui-ci a ratifié le traité en cause. Ensuite, l’État est à nouveau invité à exposer de manière périodique la situation relative à la mise en œuvre de l’instrument lors d’intervalles, donc, réguliers, de l’ordre de quatre à cinq ans environ. Un certain suivi du respect des droits de l’homme peut ainsi être assuré, d’une période à l’autre. Prenons l’exemple de l’article 16, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à teneur de cette disposition, je cite : « Les États parties au présent Pacte s’engagent à présenter, conformément aux dispositions de la présente partie du Pacte, des rapports sur les mesures qu’ils auront adoptées et sur les progrès accomplis en vue d’assurer le respect des droits reconnus dans le Pacte ».

La présentation des rapports a généralement lieu lors de sessions organisées de manière officielle et contradictoire. À l’occasion de ces présentations, l’État se voit poser des questions et il a la possibilité de présenter des explications complémentaires, d’ajouter d’autres éléments à son rapport, et plus généralement de répondre à toutes les interrogations qui sont susceptibles de lui être soumises par les membres du comité en cause. Je prends une nouvelle disposition pour illustrer mon propos, il s’agit de l’article 17, paragraphe 2, toujours du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à teneur de cette disposition, « les rapports peuvent faire connaître les facteurs et les difficultés des États de s’acquitter pleinement des obligations prévues par le présent Pacte ». Les Pactes I et II de l’ONU prévoient un mécanisme de contrôle basé sur la remise périodique d’un rapport de la part des États parties.

Les comités des Nations Unies, en matière de droits de l’homme, qui ont vocation à recevoir, à examiner, à traiter les rapports présentés par les États parties, sont composés de personnalités hautement compétentes dans le domaine considéré. Et ils sont en général institués par les traités eux-mêmes, qui énoncent les droits en cause. C’est pourquoi on parle, à leurs propos, de treaty bodies ou de mécanismes Conventionnels, c’est une terminologie que l’on utilise très couramment dans le domaine des droits de l’homme aux Nations unies. Par exemple, le comité institué par la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes est, selon l’article 17 de cet instrument, composé de 23 experts, d’une haute autorité morale, et d’après cette disposition, éminemment compétents. Ces experts sont élus par les États parties, parmi leurs ressortissants, ils siègent au sein du comité, à titre personnel, compte tenu du principe d’une répartition géographique équitable et de la représentation, bien sûr, les différentes formes de civilisation, ainsi que des principaux systèmes juridiques toujours à teneur de la disposition que je viens d’énoncer.

Après la présentation et l’examen du rapport, l’organe international rédige une prise de position assortie de conclusions et de recommandations à l’égard de l’État concerné, dans la perspective, bien entendu, d’indiquer à celui-ci les mesures à prendre, et de l’inviter à les prendre pour assurer un meilleur respect des droits de l’homme. Plus généralement, il faut, d’ailleurs, relever, ici, malheureusement trop brièvement, que les comités des Nations Unies, issus des treaty bodies, assument aussi une autre fonction extrêmement importante, indépendamment des rapports périodiques qui leurs sont présentés par les États parties, c’est la possibilité de rédiger ce que l’on appelle des observations générales. Il s’agit de textes juridiques, généralement très complets, extrêmement intéressants, qui visent à préciser, à interpréter, a expliqué le contenu des divers droits qui sont compris dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, dans une perspective préventive, elle aussi, visant à assurer un meilleur respect au niveau des États parties.

Alors, vous le voyez, l’avantage du contrôle préventif, eh bien, c’est qu’il permet l’exercice d’un droit de regard étendu, gracieux en dehors de tout litige, qu’il ouvre la voie à un dialogue ouvert, franc, sincère, constructif et qu’il présente une opportunité unique de se retrouver au sein d’un forum neutre international visant à tracer des perspectives en vue d’une meilleure application des droits de l’homme. Son inconvénient majeur, il faut bien le relever, c’est que ce type de contrôle, ce type de mécanisme reste, vous l’avez compris, largement tributaire de la bonne volonté des États et qu’il est par conséquent dépourvu de toute espèce d’effet contraignant. C’est donc un instrument qu’on pourrait dire plus diplomatique que juridictionnel, plus moral que véritablement juridique. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des recommandations qui sont contenues dans les rapports rédigés par les comités des Nations Unies. Malgré tout, si l’État qui a présenté son rapport ressort de cette forme d’examen enrichi des multiples observations qu’il a pu recueillir, lors de la présentation du rapport en question, la mise en œuvre des recommandations de l’organe international de contrôle reste, et obéit très largement, à sa libre volonté. Pour illustrer de manière très pratique et concrète l’importance de ce mécanisme de contrôle, je vous propose à présent de visionner, ensemble, l’interview que nous avons réalisé avec Monsieur Jean Zermatten, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et spécialiste éminent du domaine des droits de l’enfant.

 

ENTRETIEN AVEC JEAN ZERMATTEN

Monsieur Zermatten, vous avez été juge des mineurs pendant 30 ans en Suisse, d’abord dans le canton de Fribourg, et puis ensuite dans votre canton, le canton du Valais. Vous avez également    fondé à Sion, l’Institut national des Droits de, de l’enfant que, que vous dirigez, et puis vous êtes aussi depuis de nombreuses années, membre du Comité des Droits de l’enfant institué par la, la Convention internationale des Nations Unies sur les droits de l’enfant, Comité d’ailleurs, que vous, vous présidez actuellement. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, et je vous pose la première question qui porte sur la, la composition du Comité. Pouvez-vous nous dire comment le, le Comité des Droits de l’enfant est, est composé, et comment ses membres sont désignés?

>> Donc, la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’enfant est évidemment un texte contraignant, et un, un mécanisme a été mis en place pour contrôler l’application de cette Convention, et c’est le Comité des Droits de l’enfant. Ce Comité est composé de 18 experts qui doivent être indépendants. Ces 18 experts doivent évidemment provenir de plusieurs pays. Il n’y a pas qu’un pays qui présente des experts. Il y a évidemment 18 experts qui sont de 18 pays différents, qui ont été proposés par les États parties avec la nécessité d’arriver à une égalité de genres, on le devrait. Et ce Comité actuellement est composé d’une majorité de femmes. C’est d’ailleurs assez rare dans les Comités pour le dire, puisqu’il y a dix femmes sur 18 membres. C’est je pense, le seul Comité qui a cette caractéristique. Ensuite, ces personnes expertes devraient représenter non seulement le, les pays, mais devraient représenter aussi les principaux systèmes juridiques qui existent dans le monde. Donc, c’est un équilibre qui doit être trouvé, et qui est pas facile à établir. Donc, c’est par le, l’élection de, de ces membres qui est faite lors de, de l’Assemblée des États parties de la Convention, donc je rapelle, 193 États parties.

Donc, le traité contraignant des Droits de l’homme le plus ratifié, et alors, ces 193 États élisent chaque deux ans neuf experts. Donc, il y a une assez forte rotation. Il y a bien sûr des membres qui vont à réélection, mais on a quand même un taux de, de renouvellement assez important.

>> D’accord.

>> D’accord, merci. Alors, on, on sait que le mécanisme principal qui est en, en vigueur au sein des, des treaty bodies des Nations Unies, c’est le système du, du rapport. C’est un système qui est également   pratiqué dans le cadre de, de votre Comité. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe, par hypothèse, lorsqu’un État refuse de, de présenter son rapport, ou alors s’il présente un, un rapport qui est d’une qualité nettement suffisante en ce sens que ce rapport ne représente pas une, ne donne pas une bonne vision de la situation des Droits de l’enfant dans, dans l’État en cause.

>> C’est une situation qui, la deuxième situation donc, que la, la situation du rapport qui n’est pas un rapport disons, je veux pas dire de bonne qualité, parce que ce, c’est peut-être un peu péjoratif, mais qui ne suit pas les directives que le Comité a imposé, parce que nous avons comme Comité, donné aux États des directives. Parce que les États doivent rapporter, d’abord sur la Convention, et beaucoup d’entres eux doivent aussi rapporter sur les deux protocoles facultatifs à la Convention, le protocole sur, protocole facultatif sur les enfants impliqués dans les conflits armés, et le protocole sur paroles d’enfants, la prostitution des enfants, et enfin la pornographie mettant en scène des enfants. Donc, si vous voulez, c’est tout un édifice de droits, et évidemment, on pourrait, sans directives, avoir des rapports qui sont terriblement différents. Donc, le Comité a donné des directives assez strictes, et que nous aimons bien que les États suivent, pour justement avoir des éléments de comparaison d’un État à l’autre par exemple. Alors, un certain nombre de, d’États respectent très bien ces directives, d’autres ont de, de la peine. Nous essayons surtout de donner une aide technique aux, aux États qui, qui ont de la peine, parce que rapporter sur la Convention, c’est déjà  que la Convention c’est un défi extrême, puisque la Convention couvre toutes les situations dans lesquelles il y a des enfants.

>> Oui.

>> Ça veut dire toutes les situations de la vie, aussi bien de l’éducation, de la santé, de la protection, des assurances sociales ,des migrations. Donc, c’est déjà  en soi, un, un défi. Et un certain nombre de pays se trouvent par rapport à ce défi, relativement démunis. Ils ont pas les moyens techniques, ou il sont pas les personnes pour le faire, ou je dirais le, le, la, la synthèse, le fait de trouver tous les éléments représentent pour eux une difficulté, je pense, en plus dans les états Fédéralistes qui sont un Fédéralisme très important. C’est encore plus compliqué donc. Plutôt que de renvoyer la copie en disant refaites, on essaye plutôt, quand on ne, se trouve devant cette situation, de dire aux États, s’il vous plaît, d’abord regardez nos directives, ensuite, si vous avez des difficultés, nous pouvons nous aider, vous aider. C’est évidemment pas le Comité lui-même qui va aider, mais le Comité va faire appel à  des partenaires comme UNICEF qui ont, dans presque tous les pays du monde, des équipes techniques qui peuvent aider.

Par rapport à la question du refus, je pense que le Comité s’est jamais trouvé dans la position de, d’un État qui refuserait de faire son ra, son rapport, mais la situation qui est la situation, je dirais, presque ordinaire, c’est celle du retard dans le rapport.

>> Du retard. D’accord.

>> Beaucoup d’États ont du retard, et si on regarde par rapport à tous les organes de traités, on, on s’aperçoit que la plupart des États, 75% des États ont du retard. Alors, certains ont un retard de six mois ou d’une année, d’autres États ont un retard de plusieurs années. Alors, la situation au Comité des, des Droits de l’enfant est que sur les 193 États qui ont ratifié la Convention, 190, 190 ont donné leur premier rapport, leur rapport initial, et un certain nombre sont déjà au cinquième rapport. Donc, vous voyez qu’il y a aussi une différence, et il y a que trois États qui manquent, mais ces trois petites îles du Pacifique qui se trouvent, eux, véritablement devant un problème technique de rédaction des rapports, et pour lesquels nous sommes, nous avons mis en place des moyens pour leur permettre de, de répondre. Donc, simplement vous dire qu’en cas de retard et de retard chronique, ce que fait le Comité, c’est de faire les rappels systématiques aux États et de les aider pour obtenir le rapport. Le but est évidemment d’obtenir un rapport, et de pouvoir exercer ce travail de contrôle. Lorsqu’un Etat se trouve se trouve en situation de retard dans la remise de son rapport au Comité des droits de l’enfant, le Comité envoie des rappels afin d’obtenir le rapport et de pouvoir exercer son contrôle.

>> Merci. Si, si vous deviez définir l’apport majeur du mécanisme de protection auquel à conduit la Convention internationale relative aux Droits de l’enfant, quel, quel serait, quel serait-il?

>>Moi je dirais que l’exercice que fait le Comité, l’exercice principal qui est celui du monitoring, est au fond un, celui de, que nous faisons aujourd’hui, c’est-à-dire d’un entretien sur une situation particulière qui est celle des droits de l’enfant. Si vous voulez, je, je, j’utilise cette comparaison. Le Comité tient un miroir et montre à l’état, montre à l’état ce qu’il est dans le miroir du Comité. Donc, le Comité va, et c’est un miroir un peu grossissant je dirais, et parfois même un peu dé, un peu déformant. C’est-à-dire que le comité d’une part examine les progrès qui ont été effectués, parce que il y a beaucoup de pays qui ont beaucoup travaillé dans les droits de l’enfant, peut-être pas tous de la même manière, mais il y a des progrès notables. Donc, la première chose que fait le Comité, c’est de dire, eh bien bravo, là  vous avez légiféré, votre loi est bonne. Vous avez mis en place un mécanisme pour l’appliquer, c’est très bien. Donc, c’est un domaine dans lequel nous considérons que vous remplissez les exigences qui ont été promulguées par la Convention.

Par contre, dans l’autre domaine A, B, C,D, voilà , et ce que le Comité a découvert dans votre rapport, lacunes, faiblesses, ou véritablement des textes qui sont en contradiction avec l’esprit ou la lettre de la Convention. Voilà  ce que les autres informations que nous avons reçues, et voilà  l’image que nous avons. Par exemple, dans votre droit à l’éducation, vous avez bien rempli toutes les, vos tâches pour l’éducation primaire, mais pas pour l’éducation secondaire. Vous avez beaucoup trop d’enfants qui abandonnent après l’école primaire. Il vous faut faire un pas supplémentaire. Donc, c’est tout ce travail en fait, de mise en évidence, avec cet effet grossissant, avec aussi des lumières qui sont mises sur des points particuliers, parce que le Comité peut pas traiter de tout, et essaie de, d’établir des priorités, et d’être spécifique à chaque pays. On peut pas, on n’as pas un chablon à qui on applique pour tous les pays. Chaque pays est unique, comme chaque enfant est unique, donc il a des problèmes spécifiques. Ce qu’essaie de faire le comité, c’est de les mettre en lumière et, deuxièmement, c’est la deuxième phase, de dire voilà  ce que selon la Convention, selon son contenu, selon aussi ce que nous avons dit dans nos observations générales, quand même publié 17 observations générales sur 17 thèmes particuliers, voilà  comment vous devriez interpréter tel article, et voilà  ce que vous devriez mettre en place. Donc, après le diagnostic, c’est au fond une proposition, sous la forme de recommandation, du remède, ou de la thérapie, ou du traitement, disons. Je ne veux pas être trop médical, mais disons d’une manière imagée, voilà l’ordonnance, et maintenant, s’il vous plait, allez, donc c’est, une fois qu’on a donné la potion, il faudrait en plus qu’on vérifie comment elle agit. Alors on a des missions suivies qui sont effectuées à la demande d’un certain nombre de gouvernements, ou avec l’aide de grandes agences comme l’UNICEF, ou de grandes organisations qui travaillent dans le monde comme Save the Children, nous allons dans les pays pour essayer d’assurer ce suivi. Cette phase-là , à mon avis, devrait être plus systématisée, parce que ça, c’est vraiment la valeur ajoutée que nous pourrions encore donner à notre travail.

>> Ça, ça c’est une question générale, qu’on peut aussi se poser à  propos des autres mécanismes de protection

>> Tout à fait

>>Tant au niveau universel qu’au niveau régional, et maintenant, une autre question, le contrôle qu’exerce le comité des droits de l’enfant, est-ce qu’il présente un risque, précisément de double emploi avec le contrôle qu’exercent en parallèle les autres comités des Nations Unies chargées d’assurer le respect des droits de l’homme? Est-ce qu’il existe une relation au fond de, de collaboration ou au contraire de concurrence entre votre comité et les autres comités institués par les treaty bodies?

>> Alors évidemment on pourrait se poser la question de la concurrence ou du doublon, ou du triplon, puisqu’il y a maintenant beaucoup d’organes de traités, je pense que le risque est minime dans le domaine des droits de l’enfant parce que la Convention a promu un certains nombres de droits qui sont véritablement spécifiques pour les enfants, je prends quelques exemples. Le droit d’être enregistré à la naissance, c’est un droit spécifique de l’enfant. Le droit de ne pas être séparé de ses parents, ça ne peut concerner évidemment que les enfants, le droit à son nom, à son identité, à sa nationalité, peut être un doublon mais, considéré pour un enfant est quand même relativement, je dirais, spécifique. La question de l’intérêts supérieur de l’enfant est typiquement une question de, des droits de l’enfant. Le droit de l’enfant de participer ne peut pas être discuté par d’autres comités, donc on a un ensemble de droits qui sont véritablement spécifiques et qui font si vous voulez, la particularité, la singularité même de cette Convention et qui fait que dans l’exercice du monitoring et des autres que nous faisons, notamment la, les activités de, de jurisprudence par les recommandations de conseil aux États, on traite surtout des sujets qui sont spécifiques. On ne va pas traiter de la question de la discrimination évidemment, au risque là, d’être un doublon. La question des droits économiques, sociaux et culturels, on va aborder ces questions sous l’angle du droit de l’enfant à un droit particulier. Par exemple du droit de l’enfant d’atteindre le plus haut niveau de santé possible, par exemple. Donc c’est toujours de manière spécifique. Donc je pense que on n’est pas dans des situations de doublon et surtout pas des situations de concurrence, parce que nous avons une grande collaboration, avec la plupart des organes de traité, et la, disons, la démonstration la plus éloquente est le fait que nous sommes en train de préparer un commentaire général, enfin une observation générale sur les pratiques préjudiciable avec le Comité CEDAW, sur la discrimination à l’égard des femmes, sur la question des pratiques traditionnelles, dont les mutilations génitales féminines, dont les mariages précoces et un certain nombre d’autres de ces pratiques. Donc il y a une collaboration. En plus, nous utilisons toutes les recommandations de tous les autres organe de traité, comme documentation au moment de l’élaboration, d’abord de nos priorités sur ce pays, on regarde, évidemment on est plus en rapport avec le comité CEDAW puisqu’il y a le comité CEDAW s’occupe des jeunes filles et des femmes, et nous évidemment des filles, enfants, que le comité des personnes handicapées, puisque la spécificité de la Convention est aussi de traiter des enfants handicapés, donc on a là une collaboration. évidemment, toutes les autres observations qui sont faites par les autres comités nous intéressent, mais disons on a avec un certains nombres de comités une proximité d’intérêts et une collaboration. Donc je dirais plutôt, on n’est ni un doublon, ni en concurrence, on est plutôt en complémentarité, je pense.

>> Merci.

>> Merci à vous.

 

LE CONTROLE PREVENTIF (SUITE)

L’interview de Jean Zermatten illustre extrêmement bien le cadre et les contraintes auxquelles un comité, un comité comme des droits de l’enfant, est soumis dans l’exercice de ses fonctions. Il faut préciser que les Nations Unies pratiquent, alors dans une perspective plus large, un contrôle du respect des droits de l’homme hors treaty bodies.

Ces mécanismes non Conventionnels s’appuient sur des bases différentes que les seuls traités des garanties des droits de l’homme. Par exemple, durant fort longtemps, la commission des droits de l’homme des Nations Unies a exercé une forme de contrôle du respect des droits de l’homme en s’appuyant sur une simple résolution, la résolution 1503, adoptée en 1970 par le conseil économique et social de l’ONU. Cette résolution permettait à la Commission des droits de l’homme d’enquêter et de se prononcer, de manière confidentielle, sur des plaintes révélant l’existence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, dont des preuves dignes de foi avaient pu être recueillies et portées à sa connaissance par des individus ou des organisations non-gouvernementales. Cette procédure a aujourd’hui été remplacée par la procédure mise en place au sein du Conseil des Droits de l’homme. Ce conseil est un organe intergouvernemental des Nations unies, composée de 47 membres. Il s’est substitué à la commission des droits de l’homme et il pratique, depuis 2007, ce qu’il est convenu d’appeler l’examen périodique universel.

Cet examen consiste à passer en revue les réalisations qui ont été conduites par les états membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Il fournit à chaque État l’opportunité de présenter des mesures, souvent importantes, que celui-ci a adopté en vue d’améliorer la situation des droits de l’homme sur son territoire et de remplir les multiples obligations qui sont à sa charge, en la matière. L’examen périodique universel constitue, ainsi, une forme d’examen, de rapport très général, présenté par les États, indépendamment, ou plutôt je dirais, à titre complémentaire, à l’engagement qu’ils assument sur la scène des treaty bodies.

Notons encore que les Nations Unies peuvent désigner des rapporteurs ou mettre sur pied des groupes de travail. La tâche impartie à ces organes consiste à examiner l’état d’une question particulière d’un pays ou de problématiques thématiques en matière de respect des droits de l’homme. L’examen périodique universel pratiquée par le Conseil des droits de l’homme joue un rôle complémentaire à l’engagement des Etats sur la scène des treaty bodies.

La liste des mécanismes appréhendés par cette forme de contrôle est extrêmement importante et justifierait, d’ailleurs, à elle seule, qu’un cours entier lui soit consacré. Notons, par exemple, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, le groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, ou encore le rapporteur spécial sur le racisme et la discrimination raciale. Je vous invite à consulter le site Internet l’organisation des Nations Unies pour trouver de plus amples détails, de plus amples informations, sur ces formes de contrôle, elles aussi, extrêmement importantes.

 

LE CONTRÔLE SUCCESSIF

Après avoir examiné quelques éléments relatifs au contrôle préventif de la mise en œuvre des droits de l’homme, je vous propose à présent de passer à l’examen du contrôle successif ou contrôle a posteriori.

Le contrôle successif du respect des droits de l’homme s’inscrit dans un cadre très différent de celui qui caractérise le contrôle a priori ou contrôle préventif. Ici, en effet, le but n’est pas d’avoir une vision général de l’état des droits de l’homme, au sein d’un État déterminé. Le contrôle porte bien plus, au contraire, sur la question de savoir si dans un cas, ou une situation déterminée, les droits de l’homme ont été respectés.. La nature du contrôle est tout autre, elle aussi, puisque l’objet de la procédure est l’examen d’un litige concret, et non pas l’appréciation d’une problématique de nature très générale.

Au fond, ce type de mécanisme est calqué sur la figure du conflit, du contentieux ou du procès, qui consiste à déterminer si un État partie à la procédure a respecté ou en sens inverse, manqué à ses engagements dans une situation déterminée. On rencontre le contrôle de type successif à l’échelon aussi bien universel que régional.

Sur le plan universel, certains instruments de protection des droits de l’homme prévoient la possibilité, pour des États, de déposer eux-mêmes des communications devant des organes tels que par exemple, le comité des droits de l’homme des Nations Unies, le comité pour l’élimination de la discrimination raciale, ou encore le comité contre la torture, toujours des Nations Unies. L’idée ici est de vérifier si l’État en cause respecte à la demande d’un ou d’autres États parties, les engagements auxquels il a souscrit.

Par exemple, l’article 41 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques instituent ce qu’on appelle la communication étatique, à condition toutefois que l’État concerné par une Déclaration spécifique ait accepté que le comité des droits de l’homme exerce cette compétence de nature contentieuse. Cette perspective de communication étatique ou interétatique par laquelle au fond les États peuvent déclencher eux-mêmes le contrôle international du respect des droits de l’homme, à l’égard d’autres États, n’est toutefois pas utilisée en pratique à l’échelon universel. La question de savoir si, dans le cadre d’une litige concret, les droits de l’homme ont été respectés relève d’un contrôle succesif.

Plusieurs instruments universels de protection des droits de l’homme prévoient également   la possibilité pour des personnes, cette fois, placées sous la juridiction des États parties, de déposer ce qu’on appelle des communications individuelles. Ces communications permettent ainsi aux justiciables, là aussi lorsque l’État en cause a accepté cette compétence spécifique, de se plaindre de ce que ces droits n’ont pas été respectés.

Par exemple, l’article 22 de la Convention des Nations Unies contre la torture prévoit la compétence du comité contre la torture pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers qui prétendent être victimes d’une violation par un État partie des dispositions de la Convention. Relevons toutefois que la compétence du comité contre la torture est conditionné à une Déclaration préalable d’acceptation de cette forme de contrôle, ce type de contrôle n’est donc pas automatique au sein des Nations Unies. Il suppose que l’État accepte de s’engager sur ce type de compétence. Ce type de contrôle est également  possible devant le comité des droits de l’homme, moyennant là  aussi une Déclaration préalable d’acceptation de la part des États. Le Comité des droits de l’homme a développé une casuistique extrêmement riche, intéressante et instructive sur la base des communications individuelles qui lui sont adressées. Ces mécanismes de contrôle successifs existent également à l’échelon régional.  Tant la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention américaine des droits de l’homme, que la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, prévoient par exemple le mécanisme de la requête interétatique et aussi de la requête individuelle. Ces trois continents sont ainsi riches de procédure qui, à l’échelon régional, cette fois, permettent de compléter et de renforcer les mécanismes qui existent déjà parallèlement à l’échelon universel. Le mécanisme africain mis en place par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981, présente une certaine originalité à cet égard. Je vous propose de nous y attarder quelques instants en visionnant à présent ensemble l’interview de Monsieur Abdoulaye Soma.

 

ENTRETIEN AVEC ABDOULAYE SOMA

Nous avons le plaisir d’accueillir le Professeur Abdoulaye Soma. Monsieur Soma, vous êtes l’auteur d’une thèse de Doctorat très remarquée, sur le droit à l’alimentation que vous avez soutenue à la faculté de droit de l’Université de Genève, et vous êtes Professeur des Universités à l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso vous enseignez le droit constitutionnel et les droits de l’homme. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Quel est l’originalité du mécanisme de protection institué par la Charte africaine par rapport aux autres instruments régionaux de protection des droits de l’homme?

>> Alors le mécanisme mis en place par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples se compose d’abord d’une Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui maintenant est doublée d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ce mécanisme présente deux originalités, majeures. La première originalité c’est la garantie par ces mécanismes de l’indérogeabilité des droits. Et cette indérogeabilité des droits a été affirmé par la commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans plusieurs affaires. D’abord dans une première affaire concernant le Tchad en 1995, dans une deuxième affaire concernant l’Angola en 1997, dans une troisième affaire qui est en fait la seule affaire interétatique qu’on connaît dans le système africain en 2003, et puis dans une dernière affaire qui est l’affaire donc de l’article 19, c’est une ONG contre l’iii en 2007. Et donc, dans ces mécanismes, on pense que tous les droits qui sont garantis dans le système africain sont des droits indérogeables. Et évidemment là c’est une grande originalité puisqu’on sait que dans les autres systèmes de protection des droits de l’homme on a toujours des droits qui sont garantis, mais toujours des droits qui sont dérogeables. En période de circonstances exceptionnelles. Je pense notamment ici aux mécanismes mis en place par l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme. évidemment ce mécanisme n’existe pas. Il n’y a pas de dérogeabilité des droits donc les droits garantis dans le système africain doivent être mis en œuvre par les mécanismes en tout lieu et en tout temps.

La deuxième originalité c’est l’axio popularis. L’axio popularis. Alors, au niveau africain, dans la communication entre les mécanismes de protection et les titulaires des droits, il y a une action populaire qui est garantie. Et qui garantit donc l’accessibilité de tous aux mécanismes de protection, je pense ici à  la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Contrairement au système européen où la recevabilité d’une requête est soumise à une des conditions que le requérant soit victime, a été victime d’une violation, sur le continent africain, cela n’est pas une exigence. Donc même une ONG, qui n’est pas directement touchée, qui n’est même pas touchée par une violation des droits peut introduire une requête devant les organes de protection des droits.

>> Je vous remercie de cette réponse très complète et très illustrative. Maintenant, au fond, quels sont les faiblesses du mécanisme africain, s’il faut chercher à en identifier l’une ou l’autre?

>> Évidemment il y a des faiblesses dans le mécanisme africain de protection des droits de l’homme et des peuples. L’une des faiblesses que le mécanisme peut réfracter à la chose juridictionnelle, si vous voulez, à la chose contentieuse. En Afrique on a comme une réticence à faire du contentieux. Ce qui se déteint donc en fait sur les mécanismes mis en place pour garantir les droits de l’homme et des peuples. Ce qui fait que actuellement, le système qui fonctionne c’était le système de la Commission depuis le début. La Commission n’est pas en fait de pouvoir juridictionnel, et c’est vrai que récemment on a mis en place, à partir de 2006, qu’on a mis en place la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Et là, devant la Cour, on a encore cette, la manifestation de cette réticence, qui fait que la juridiction de la Cour n’est pas obligatoire. Donc la juridiction de la Cour africaine des droits de l’homme est facultative. Il faut pour que les individus puissent avoir accès à cette Cour, que l’État contre lequel l’individu veut se plaindre ait fait cette Déclaration facultative de compétence obligatoire qui se trouve à l’article 34 point six du Protocole de Ouagadougou portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Donc il y a cette faiblesse-là , que on n’aime pas vraiment les juridictions, et quand on en fait, on limite vraiment la chose juridictionnelle au maximum. La juridiction de la Cour des droits de l’homme et des peuples n’est pas obligatoire.

La deuxième faiblesse c’est que, en Afrique, on a toujours une léthargie des mécanismes de protection. Actuellement on a un système inachevé. Parce que au début, depuis 1981, où on a créé la Commission africaine des droits de l’homme, et des peuples, cette Commission a agi jusqu’au à la période de décembre 2006 où on a mis en place une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. La Cour n’a été opérationnalisée que très récemment, et pendant même son opérationnalisation, on a changé le système. On dit que on va supprimer cette Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et instituer une Cour générale en Afrique, une Cour africaine de justice, et des droits de l’homme dont le Protocole a été adopté à Charm-el-Cheikh, le premier juillet 2008. Et donc actuellement, on a la Cour qui devrait exister, qui est la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, qui n’est pas encore opérationnelle, et la Cour qui est opérationnelle, qui est la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ne devrait pas exister dans l’avenir, donc on est dans un système transitoire, un système inachevé.

>> À votre sens, est-ce que le mécanisme juridictionnel de contrôle de respect des droits de l’homme est adapté en cas de violation massive de ces droits?

>> Cette question est délicate. Je dirais que ça dépend. Le mécanisme est efficace si on envisage une mise en œuvre individuelle de la violation collective, de la violation de masse. On peut avoir un contexte de violation flagrante et de violation massive des droits de l’homme, mais il appartient à chaque individu de voir, d’apprécier, s’il veut faire une requête ou pas. On a par exemple le cas de la Libye, où il y a plusieurs violations des droits de l’homme, mais le traitement est individuel, il appartient à chaque individu de voir dans ce contexte de violation massive, est-ce que c’est que j’ai subi comme violation de mes droits, m’amène à poser une action, à intenter une action en justice? Et de ce point de vue, lorsqu’on a une mise en œuvre individualisée, évidemment, le mécanisme juridictionnel est tout à fait adapté, est tout à fait approprié.

A contrario, lorsqu’on veut avoir un traitement collectif, de la violation, des violations massives, évidemment le mécanisme devient inadapté. Puisque on risque d’avoir un engorgement du système avec la violation, en fait le traitement collectif. Si on prend aussi l’exemple de, le cas du Mali, où on a actuellement des violations des droits de l’homme par des groupes terroristes, des groupes sécessionnistes, et même des forces armées, plusieurs personnes, des millions de personnes sont touchées par ces droits. Si on veut avoir un traitement collectif, on ne peut pas faire une seule action concernant plusieurs millions de personnes, devant les organes de protection des droits de l’homme on risque d’être inefficace, d’être engorgé.

>> Professeur Soma, le contrôle juridictionnel du respect des droits de l’homme est souvent présenté comme étant le mécanisme le plus abouti et le plus performant. Quel est votre avis sur ce sujet?

>> Oui, je partage cette vision pour deux raisons majeures. On sait que dans le mécanisme juridictionnel, on a d’abord une procédure contradictoire. Une procédure contradictoire. Il y a une défense de position aussi bien par les titulaires des droits que par les destinataires des droits. Et comme on dit, des contradictions jaillit la lumière. Et donc des débats contradictoires, on va avoir une manifestation de la vérité par rapport à la revendication de la mise en œuvre d’un droit. Et donc le mécanisme juridictionnel offre déjà  cette première possibilité que les autres mécanismes n’offrent pas en tant que tels. On a par exemple le mécanisme administratif, l’examen de rapport, qui est présenté par un État. Alors l’État peut évidemment éroder et un peu, la vérité, et donc c’est tout à fait, ça ne permet pas un établissement des faits qui peut servir de base à un jugement des droits de l’homme.

La deuxième raison c’est que devant le mécanisme juridictionnel, le résultat c’est une décision obligatoire en droit. Mais serait-ce ça? Donc, après le débat contradictoire, on a une décision obligatoire, une décision qui s’impose à l’État et l’État doit mettre e œuvre la décision qui a été rendue par les juges. Et c’est là  qu’il y a une différence avec les autres mécanismes qui peuvent faire des recommandations. évidemment en droit international une recommandation surtout, quand elle n’est pas acceptée par l’État, elle n’est pas obligatoire.

>> Merci beaucoup.

>> Merci.

 

LE CONTROLE SUCCESSIF (SUITE)

L’interview du professeur Abdoulaye Soma apporte des éclaircissements précieux sur le fonctionnement du mécanisme africain de protection des droits de l’homme et des peuples.

Précisons que sur le plan européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a son siège à Strasbourg, peut être saisie aussi bien par les États entre eux, c’est l’article 33 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, que par des requêtes individuelles, selon l’article 34 de cette même Convention. Nous allons concentrer notre examen, à présent, sur la requête individuelle, au sens de l’article 34 de la Convention, mais j’aimerais dire, au préalable, que les requêtes étatiques, en application de l’article 33 de la Convention, si elles sont absentes à  l’échelon universel, comme nous l’avons vu tout à  l’heure, sont présentes au niveau européen. Sur la base de la Convention, on recense, à l’heure actuelle, depuis l’entrée en fonction de la cour européenne des droits de l’homme, en 1959, environ une quinzaine de requêtes étatiques par lesquelles, donc, certains États en ont attaqué d’autres pour se plaindre de ce que les droits de l’homme n’étaient pas respectés. Citons à  titre d’exemple la requête par laquelle le gouvernement d’Irlande a attaqué le Royaume-Uni à  propos des méthodes interrogatoire qui étaient pratiquées par les forces armées britanniques en Irlande du Nord, dans le cas de personnes appréhendées et suspectes d’avoir commis des actes de terrorisme dans cette région, ou bien encore, les requêtes par lesquelles les États scandinaves, les États du nord de l’Europe, ont, à la fin des années 1960, attaqué la Grèce devant, à l’époque, la Commission européenne des droits de l’homme pour se plaindre des pratiques qui avaient cours à l’époque où la Grèce était gouvernée par un régime autoritaire que l’on appelait le Régime des Colonels. Les requêtes étatiques ne sont donc pas très nombreuses dans la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais il est vrai que quand ces requêtes sont déposées, elles portent le plus souvent sur des problématiques qui sont extrêmement importantes en matière de respect des droits de la personne humaine.

Depuis une importante réforme du mécanisme européen de protection des droits de l’homme, qui est survenue en 1998, la Cour de Strasbourg est une cour internationale chargée d’assurer le respect des droits de l’homme et qui siège, désormais, de façon permanente. Le contrôle successif est, à l’heure actuelle, le mécanisme le plus sophistiqué, le plus abouti, et le plus performant pour assurer la protection des droits de la personne humaine. Juridictionnel, par sa nature, il permet l’exercice d’un droit de regard très poussé sur les pratiques nationales. Une fois déclarée recevable, l’affaire est en effet instruite de manière approfondie et peut déboucher sur un arrêt extrêmement détaillé dont les considérants sont susceptibles d’intéresser également les autres États partis à l’instrument en cause. À titre d’exemple, citons le cas d’un arrêt célèbre, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans la deuxième moitié des années 1970, à propos des Pays-Bas, arrêt dans lequel la Cour européenne a constaté une violation du droit au respect de la liberté de la sûreté, au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, à propos du régime de la procédure pénale militaire qui avait cours aux Pays-Bas. Eh bien, suite à cet arrêt, la Suisse, qui pourtant n’était pas partie à  cette procédure, mais dont la législation de procédure pénale militaire était très comparable à celle qui avait été condamnée, dans l’affaire des Pays-Bas, la Suisse a complètement modifié, réformé, sa législation de procédure pénale militaire pour l’adapter aux standards développés par la Cour de Strasbourg, dans le cas de l’affaire des Pays-Bas.

Notons que, en outre, les arrêts que rend une instance, comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme, présentent un caractère obligatoire pour les États qu’ils concernent. Aussi, ces États sont contraints de leurs donner suite et d’effacer, ou de réparer, tant que faire se peut, les éventuelles violations dont la Cour de Strasbourg constate l’existence. Contrairement à une opinion communément répandue, le contrôle successif du respect des droits de l’homme ne se résume pas à  la seule opération consistant à juger si une violation alléguée de ses droits s’est produite. Le processus qui se déroule devant les instances juridictionnelles, telles que la Cour Européenne des Droits de l’Homme, passe par plusieurs étapes successives. Celles-ci sont au nombre de quatre.

Il y a d’abord, et en premier lieu, c’est une phase extrêmement importante, l’examen de la recevabilité des requêtes. Devant la Cour européenne des droits de l’homme, comme devant des organes comme le Comité des Nations Unies, ou encore la Cour interaméricaine des droits de l’homme, cet examen conduit à un tri extrêmement sélectif des dossiers qui sont déposés sur le plan international. Ainsi, la présentation d’une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme suppose la réalisation de pas moins de 11 conditions de recevabilité. Si certaines de ces conditions sont évidentes, élémentaires, comme, par exemple, l’interdiction des requêtes anonymes, d’autres soulèvent fréquemment des problèmes juridiques relativement complexes, à  l’image de l’obligation, par exemple, d’épuiser préalablement les instances nationales, ou encore celle qui est liée à l’absence de défaut manifeste de fondement des violations alléguées au niveau international. Parmi ces conditions, il en est une qui revêt une importance particulière dans notre contexte. Il s’agit de l’exigence selon laquelle une affaire qui est déférée à une instance internationale de contrôle ne peut pas être simultanément soumise à  une autre instance internationale de contrôle. L’idée, ici, très naturellement, est d’éviter un dédoublement, ou même une démultiplication du contrôle sur la scène internationale à propos de la même affaire, portant sur le même grief, mais jugée par plusieurs organismes différents.

En pratique, devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’examen de la recevabilité des requêtes individuelles conduit à un échec dans environ 95 % des cas. Et les décisions rendues, dans ce contexte, présentent un caractère définitif. C’est dire que les dossiers qui sont déférés à cette instance doivent être solidement construits pour présenter quelques chances de succès.

Une fois l’affaire déclarée recevable, intervient l’étape du règlement amiable, c’est la deuxième étape. Au cours de cette phase, la cour se met à la disposition du requérant et de l’État en cause pour tenter de trouver une solution au litige, mais trouver une solution au litige, toujours dans le respect des droits de l’homme en vue d’éviter un jugement sur le fond.

La troisième étape est celle de l’instruction. Ici, l’instance internationale étudie le dossier, elle étudie la requête, elle demande, au besoin, des compléments de la part des parties, du requérant ou de l’État intimé, ou bien elle peut même demander à  d’autres parties d’intervenir à  la procédure, afin d’avoir une vision plus complète du litige en cause. L’idée, ici, est d’établir les faits de manière à permettre un jugement en toute connaissance de cause.

Enfin, vient la quatrième étape, qui est celle du jugement proprement dit. Lors de cette phase, l’instance saisie dit le droit, elle constate si les faits qui lui sont présentés constituent ou non une violation de l’instrument en cause. L’idée, ici, est de déterminer si l’État qui est mis en cause a respecté ses obligations internationales en matière de droits de l’homme ou non. Précisons, encore, que, au sein du Conseil de l’Europe, il existe une procédure de suivi de l’exécution des arrêts que rend la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est le comité des ministres du Conseil de l’Europe, organe intergouvernemental de cette organisation, qui prend en charge l’exécution de ces arrêts, conformément à  l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’exécution des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme est assurée par le Comité de Ministres du Conseil de l’Europe.

Contrairement à ce que l’on croit très souvent, le respect des droits de l’homme ne trouve pas nécessairement son épilogue avec la décision que rend une instance internationale. Bien sûr, cette phase est extrêmement importante, nous l’avons vu. Mais bien souvent, il faut, en plus, faire en quelque sorte redescendre, revenir, l’affaire au niveau national, là , d’où la violation des droits de l’homme provient, afin de tenter de réparer, d’effacer cette violation. Cette phase de la mise en œuvre des droits de l’homme est relativement complexe mais elle est vraiment fondamentale, nous aurons l’occasion d’y revenir la semaine prochaine, lors de la dernière séquence de ce cours.

Pour avoir une vision plus vivante du fonctionnement et des enjeux qui ont cours devant la Cour européenne des droits de l’homme, je vous propose à  présent de visionner, ensemble, l’interview réalisée avec Monsieur Giorgio Malinverni, qui a été juge à la Cour européenne des droits de l’homme.

 

ENTRETIEN AVEC GIORGIO MALINVERNI

[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous avons le plaisir d’accueillir monsieur Giorgio Maliverni. Monsieur Malinverni, vous avez été professeur de droit constitutionnel et de droits de l’homme, à  la faculté de droit de l’Université de Genève durant près de 30 ans, et puis vous avez siégé, aussi, à  la Cour Européenne des Droits de l’Homme, à  Strasbourg. Je vous pose ma première question. Dans le grand public, le mode de fonctionnement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme reste assez peu connu; pouvez-vous nous dire quelle est la composition, et quel est le fonctionnement de la Cour Européenne?

>> D’abord, merci beaucoup pour votre accueil. La Cour est composée de 47 magistrats, 47 juges. Un par pays, puisque le Conseil de l’Europe compte 47 États, et qu’on ne peut pas être membre du Conseil de l’Europe sans avoir ratifié la Convention européenne, qui institue précisément la Cour. Alors, Les juges sont proposés par les États-membres, qui doivent proposer une liste de trois personnes, et ensuite, c’est l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui élit un juge sur cette liste, qui comprend donc trois candidats. La Cour, donc 47 juges, fonctionne en quatre formations différentes. D’abord, elle fonctionne comme juge unique pour statuer sur la recevabilité des requêtes. Là, c’est un seul juge qui statue. Ensuite, la formation, je dirais normale, c’est la Chambre, qui comprend sept juges, c’est-à-dire que les 47 juges sont répartis entre cinq sections. Il y en a en réalité, c’est vrai, neuf par section, mais pour chaque affaire il y a une formation de sept juges.

Pour les affaires qui sont des affaires répétitives, ou qui ne posent pas de problème difficile d’interprétation de la Convention, alors ce n’est pas la chambre de sept juges qui décide, mais un comité, composé simplement de trois juges. Parce que les affaires ne sont pas compliquées, donc il suffit de trois juges qui ne font qu’appliquer la jurisprudence, qui est une jurisprudence bien établie. Et finalement, il y a la Grande Chambre, qui peut être saisie de deux manières différentes. Soit elle est saisie par l’une des parties, généralement la partie qui a succombé au jugement de la Chambre, ça peut être soit l’État, défendeur, soit le requérant. Et peut proposer que l’affaire soit déférée à la Grande Chambre mais à  ce moment-là , c’est une sorte d’appel, en quelque sorte de recours, auprès d’une instance supérieure, mais ça n’est pas automatique.

Quand la Grande Chambre est saisie, la Cour, il y a un groupe, un panel, de cinq juges qui décident s’il est opportun ou pas, que l’affaire aille à  la Grande Chambre. Il peut arriver aussi que, lorsqu’une Chambre est saisie d’une affaire particulièrement complexe, difficile, qui pose des problèmes nouveaux d’interprétation, elle ne souhaite pas assumer elle-même la responsabilité de juger une affaire, et qu’elle se désaisisse au profit de la Grande Chambre. Donc voilà , si vous voulez, la composition, quand on dit la Cour, en réalité, cela peut être et c’est, dans la plupart des cas des affaires de recevabilité, un juge unique ; un comité de trois juges pour les affaires simples, qui ne posent pas de problème ; la composition normale, c’est la Chambre de sept juges, qui rend environ 1500 jugements par année, donc c’est vraiment la composition de jugements la plus importante, et la Grande Chambre, qui rend en moyenne une vingtaine de jugements par année.

>> Il existe aujourd’hui trois systèmes régionaux en matière de protection des droits de l’homme, qui prévoient un contrôle juridictionnel : le système européen, le système africain, et le système interaméricain. Quel est, à votre sens, l’originalité du système européen?

>> Alors, l’originalité du système européen réside en ceci, que comme dans les deux autres systèmes, il y a une Cour ; mais la différence est que en Europe, la Cour peut être saisie directement par les particuliers. Dans les deux autres systèmes, qui ont d’ailleurs repris l’ancien système de la Cour Européenne, le particulier doit préalablement saisir la Commission africaine, ou la Commission interaméricaine des droits de l’homme, et c’est la Commission, qui ensuite, saisit la Cour africaine ou la Cour interaméricaine. Donc il y a eu en Europe, un changement important, qui est intervenu avec l’entrée en vigueur du protocole additionnel numéro 11, qui a fusionné la Cour et la Commission, dans ce sens que la Commission a disparu, finalement, et l’individu peut donc s’adresser directement à  la Cour.

En même temps, autre différence de taille, c’est que dans le système européen, la Cour, la juridiction de la Cour, la compétence de la Cour, est obligatoire, tandis que dans les deux autres systèmes que vous avez mentionnés, la juridiction de la Cour est facultative. Cela veut dire que l’État qui ratifie la Convention interaméricaine, ou la Charte africaine, n’est pas soumis automatiquement à la juridiction de la Cour, il faut qu’il fasse une Déclaration spéciale pour cela, encore une fois, c’était l’ancien système en Europe avant 1988 ; tandis que, en Europe, la juridiction de la Cour est obligatoire, elle s’impose aux États qui ne peuvent pas ratifier la Convention sans accepter, par le fait même de la ratification, et sans devoir faire une Déclaration supplémentaire, la compétence de la Cour à  être saisie de requête individuelle et de requête étatique. Ce qui signifie qu’actuellement, la compétence ou la juridiction de la Cour, s’étend à  800 millions de personnes, puisque ce sont les habitants des États membres du Conseil de l’Europe, et que a juridiction s’étend du Portugal jusqu’à Vladivostok, au fin fond de la Russie, et de la Norvège jusqu’à Chypre. Donc, c’est vraiment le tribunal qui s’impose à  tous les États européens. C’est cela la grande différence, je dirais, par rapport. Alors, c’est normal qu’au début, on commence par reconnaître une compétence facultative de la Cour, c’est le système qui a prévalu en Europe pendant 48 ans, et puis après, on est passé à  un système plus contraignant, puisque la compétence de la Cour est maintenant obligatoire. On peut espérer que les continents américain et africain, avec le temps, s’inspirent aussi de ce qu’à  fait l’Europe, et passent aussi à  un système où la requête individuelle serait possible directement devant la Cour, sans passer par la Commission africaine ou interaméricaine, et où la juridiction de la Cour devienne obligatoire.

>> Vous venez de nous décrire l’évolution du système européen depuis 1950, et le progrès notable qui a été fait. Il y a cependant aussi des défis. Quels sont, à votre sens, les défis majeurs auxquels le système fait face? On dit souvent que la Cour est devenue victime de son propre succès, êtes-vous d’accord avec cette affirmation? >> Oui. Alors, c’est ce que l’on dit toujours, la Cour est victime de son propre succès. Le défi le plus important, c’est effectivement la surcharge de la Cour. Jusqu’à il y a deux ans, il y avait, c’est le maximum qui a été atteint, 160 000 affaires en souffrance, en attente d’être jugées. Là, alors, les États ont réagi, et de deux manières, d’abord en adoptant le protocole additionnel numéro 14, qui est entré en vigueur le premier juin 2010, et qui a introduit, justement, le juge unique. C’est-à -dire que auparavant, les questions de recevabilité étaient traitées par un comité de trois juges, maintenant elles sont traitées par un juge unique, et cela a permis de diminuer la quantité, la masse des affaires en attente, puisque de 160 000 affaires pendantes, on est arrivés maintenant à  environ 120000. Alors ça, c’est le premier apport du protocole numéro 14.

Le deuxième, mais dont on peut, pour le moment, moins bien mesurer les effets, c’est que l’on a introduit dans le protocole 14 une condition supplémentaire de recevabilité qui consiste à  ce que la Cour ne devrait pas s’occuper d’affaires mineures. C’est au fond le principe des minimis non curat praetor, c’est-à-dire que la Cour peut décider de déclarer irrecevable, pour le motif que l’affaire ne cause la victime, qu’un dommage de peu d’importance. Mais là , quand la Cour a dû se prononcer pour la première fois sur ces affaires-là , ça a pris finalement plus de temps que si on avait dû juger selon l’ancien système, parce que la question, c’était de savoir qu’est-ce que c’est que un préjudice de peu d’importance et qu’est-ce que c’est que, il n’y a pas que le critère financier qui entre en compte. S’agissant même du critère financier, ça dépend des États, parce qu’on peut pas l’apprécier de la même manière dans un pays pauvre et dans un pays riche. mais aussi il y a des affaires qui peuvent paraître peu importantes, mais qui le sont pour la personne qui est la personne requérante. Donc ça, ça a posé un problème.

>> Monsieur Maliverni, certains États considèrent que dans ses jugements, la Cour Européenne des Droits de l’Homme va souvent trop loin et qu’elle ne prend pas suffisamment en compte les particularités nationales ni même, selon certains, la souveraineté des États. C’est un élément qui est récurrent dans les commentaires que certains peuvent faire à  l’égard de cette juridiction, et c’est un élément qui a été évoqué assez longuement lors de la conférence sur l’avenir de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui s’est tenue au mois d’avril 2012 à  Brighton. Pouvez-vous nous dire quelle est votre position, votre sentiment sur le sujet?

>> ça, c’est effectivement, je dirais, la plus grosse difficulté qu’éprouvent les juges lorsqu’ils doivent se prononcer sur une affaire. La question, c’est de savoir jusqu’où la Cour peut-elle aller et où doit-elle s’arrêter, jusqu’où est-ce qu’on peut aller. Vous savez qu’à ce propos, la Cour a d’ailleurs élaboré une notion qui ne figure pas dans la Convention, c’est la notion de marge d’appréciation. C’est-à -dire qu’il faut laisser aux États une certaine marge d’appréciation, il ne faut pas que la Cour devienne un rouleau-compresseur qui aplatit tout sur son passage et qui efface les particularités nationales, mais en même temps, quand la Cour dit les États ont une marge d’appréciation, elle ajoute, mais cette marge d’appréciation va de paire avec un contrôle européen. Alors, à partir de quand la marge d’appréciation s’arrête-t-elle et à  partir de quand le contrôle européen peut-il commencer? Et c’est justement sur ça que la conférence de Brighton a porté principalement, et qui par ailleurs n’a pas, on craignait beaucoup cette conférence de Brighton, les Anglais voulaient vraiment brider la Cour. Ils n’y sont finalement pas parvenus, mais ils sont quand même parvenus à ce que la notion de marge d’appréciation figure dans la Convention et qu’elle figure dans le préambule de la Convention. Mais je vous dirais que c’est sur ces questions-là, jusqu’où peut-on aller et où doit-on s’arrêter, que les juges sont le plus souvent divisés entre eux aussi. Si vous lisez les opinions dissidentes portant sur, en particulier, pas uniquement, mais en particulier sur les droits qui sont consacrés aux articles 8 à 11, où en droit, la Cour doit se prononcer sur la proportionnalité de l’ingérence, sur la nécessité de l’ingérence, c’est là que les juges sont le plus souvent partagés, certains estimant qu’il faut laisser les États régler eux-mêmes ces questions-là , d’autres estimant que non, la Cour doit intervenir. La question s’est posée, par exemple, dans une affaire qui a fait passablement parler d’elle, c’est l’affaire A.B.C. contre l’Irlande, concernant l’avortement. Alors là justement, on a parlé de la marge d’appréciation et pour savoir, l’un des critères pour mesurer la marge d’appréciation, c’est le consensus européen. Est-ce que la plupart des États ont une législation qui va dans un sens ou dans un autre? Et là, il se trouvait que s’agissant de l’interruption de grossesse, il y a en Europe actuellement cinq ou six pays qui interdisent l’avortement, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels, c’est en plus de l’Irlande, Monaco, Saint-Marin et Andorre, et donc on peut dire qu’il y avait un consensus européen en faveur de l’interruption de grossesse, en tout cas jusqu’à la douzième semaine de la grossesse. Mais là , la majorité des juges, j’étais moi-même dans la minorité, nous avons écrit une opinion dissidente, ont considéré qu’il ne fallait pas intervenir, il n’appartenait pas à  la Cour d’intervenir dans un domaine aussi sensible. que l’interruption de grossesse, que quand bien même l’Irlande se situait en dehors du consensus européen, elle faisait partie de la minorité des États, mais que les citoyens irlandais avaient voté à trois reprises sur cette question de l’interruption de grossesse, il y a eu trois référendums, ça figurait dans la Constitution, et que là , on ne pouvait pas aller contre la volonté clairement exprimée par la population irlandaise. Mais vous voyez, même là , il y a eu donc une majorité de juges qui ont donc été de cet avis et puis, une minorité qui trouvait qu’il fallait aussi protéger les femmes.

Alors, c’est toujours la grande difficulté qu’éprouvent les juges. Ils doivent, comme vous l’avez dit justement, respecter la souveraineté des États, mais en même temps, la tâche principale de la Cour, ce n’est pas de plaire aux États, ce n’est pas la tâche des juges, ce n’est pas de plaire aux États, c’est de protéger les particuliers, de protéger les droits fondamentaux. Dans l’affaire ABC cc. Irlande mentionnée par le Professeur Giorgio Malinverni, l’un des critères utilisés par la Cour européenne des droits de l’homme pour mesurer la marge d’appréciation dont disposent les Etats est le consensus européen.

Alors, c’est vrai, après tout, les États ont accepté ce système, n’est-ce pas, ils ont ratifié la Convention. En ratifiant la Convention, ils ont accepté la possibilité que la Cour les condamne. Alors, le reproche que l’on fait souvent à  la Cour, c’est que certains États, dont le Royaume-Uni que vous avez mentionné, qui a convoqué cette conférence à Brighton, les États disent oui, mais nous avions ratifié la Convention en 1950 et puis voilà, que la Cour maintenant, par une interprétation évolutive contemporaine, déduit de la Convention certains droits qui n’y étaient pas prévus au départ. Alors, l’exemple que l’on cite le plus souvent, c’est l’interprétation que la Cour a faite de l’article 6 de la Convention, qui garantit le droit à un procès équitable qui, d’après le texte de la Convention, ne vaut que pour les procès civils et les procès pénaux et voilà  que, par une interprétation large de la notion de contestation en matière civile, la Cour y a inclus finalement des pas entiers de ce qui relève, d’après le droit des États parties du droit administratif et donc le contentieux administratif finalement est tombé dans le champ d’application de l’article 6, par voie d’interprétation.

Et voilà. Alors, il y a un autre exemple que je pourrais vous donner, la Cour a dû se prononcer en 2010 sur une demande de deux homosexuels autrichiens qui demandaient, qui se plaignaient qu’il n’y ait pas en Autriche le mariage pour tous, comme il vient d’être maintenant adopté en France. Donc il n’y avait pas de mariage pour les homosexuels, pas non plus de PACS et alors lorsque l’affaire a été portée devant la Cour, la Cour, la section, c’était la section dans laquelle je me trouvais, ils invoquaient une violation de l’article 12 qui garantit le droit au mariage, et quand on lit l’article 12, il dit clairement, à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier. Donc à première vue, on dit voilà , l’homme et la femme, donc ça exclut le mariage entre personnes du même sexe, mais eux, les requérants, se fondaient sur le texte anglais, qui lui dit men and women, au pluriel, les hommes et les femmes ont le droit de se marier. Et donc ils disaient mais au fond, on peut très bien l’interpréter, cette disposition, en anglais, pas en français, comme signifiant les hommes peuvent se marier entre eux et les femmes entre elles. En plus, ils se basaient sur l’article 9 de la Charte européenne des droits fondamentaux, de la Charte de Nice, qui garantit aussi le droit au mariage, mais sans mentionner spécifiquement les hommes et les femmes. Et ils disaient, on pourrait interpréter l’article 12 à  la lumière de l’article 9 de la Charte et en se basant sur le texte anglais. Longue discussion, passionnante. Mais finalement, la majorité a considéré qu’on ne pouvait pas s’écarter du texte même de l’article 12, qui est clair, qui dit l’homme et la femme. C’est clair que si on avait fait cela, alors cela aurait été une véritable révolution. Parce que cela aurait voulu dire que d’après la Cour, les États ont l’obligation de prévoir le mariage pour tous. Et cela, c’est clair que la Cour n’a pas voulu franchir ce pas.

>> Une dernière question. Selon vous, quel est l’apport majeur du système européen de protection des droits de l’homme?

>> Alors, l’apport majeur, je crois que c’est, il y en a plusieurs même, mais je crois que c’est d’abord une, j’ai parlé tout à  l’heure de rouleau compresseur. Cela, il ne faut pas que la Cour devienne un rouleau compresseur qui planifie tout, qui nivelle tout. Mais, c’est quand même l’émergence d’une notion, d’une sorte de droit commun européen. C’est-à -dire qu’il y a une création jurisprudentielle de certaines notions. Par exemple la notion de famille, n’est-ce pas maintenant, ne peut plus se baser uniquement sur la définition de la famille que donne l’ordre juridique des États contractants. La Cour a donné a donné une certaine définition de la famille. Une certaine définition de par, de tribunal. Et ce sont ces notions-là qui s’imposent maintenant.

Alors, cela c’est une première conquête je crois. Il faut savoir que les arrêts qui sont rendus par la Cour ont un effet de choses jugées, qui concerne l’État qui était partie au litige. Mais aussi de choses interprétées, c’est-à-dire que le jugement que la Cour a rendu à  propos d’un État est valable aussi pour l’ensemble des États. C’est pour cela que si elle avait dit que l’article 12 de la Convention consacre le mariage pour tous, cela aurait été une véritable, véritable révolution.

Alors, il y a cela. Il y a cette création de notion autonome, de notion européenne, de valeur européenne. On pourrait ajouter encore que par exemple, grâce à la, grâce à la jurisprudence de la Cour, grâce aux protocoles qui ont été ajoutés à  la Cour, à  la Convention pardon, l’Europe est devenue maintenant, est un État dans lequel la peine de mort a complètement disparu. C’est amusant de voir qu’en 1950, lorsque la Convention a été rédigée, comme la peine de mort était encore pratiquée dans plusieurs États, les auteurs de la Convention n’ont pas osé interdire la peine de mort, à  l’article 2 qui garantit le droit à  la vie. Mais cela s’est fait par la suite, d’abord par l’adoption d’un protocole qui abolit la peine de mort en temps de paix. Et quelques années plus tard, par un autre protocole qui interdit la peine de mort en tout temps, en temps de paix et en temps de guerre. Donc, je crois que c’est le seul continent, l’Europe, duquel la peine de mort est bannie complètement. Alors voilà , cela c’est le grand succès.

Je dirais aussi, un apport fondamental, c’est que les gens, les justiciables ont pris conscience que lorsque leur Cour suprême a rendu un jugement, ils ont encore une possibilité. Et cela, je crois que c’est extrêmement important. Surtout pour les pays de l’Europe de l’Est qui, il faut le reconnaître, n’ont pas atteint un niveau de démocratie comparable aux pays de l’ancienne Europe. Par exemple, dans les cas de disparitions de personnes en Tchétchénie, et c’est un phénomène assez fréquent, c’était un phénomène assez fréquent au moment de la Deuxième guerre de Tchétchénie. Lorsque la famille de la personne disparue s’adressait aux tribunaux, les tribunaux ne faisaient aucune démarche, laissait la chose, les choses traîner. Et je crois que pour ces, pour les familles de ces personnes disparues, qui étaient au fond déçues par le comportement de la justice nationale, le fait de savoir qu’il y a encore une instance, un tribunal européen à  Strasbourg, qui est au fond la dernière, le dernier recours, la dernière instance à laquelle ils peuvent s’adresser, c’est quelque chose qui a certainement apporté énormément de soulagement à  ces personnes-là . [AUDIO_VIDE]

 

CONCLUSION

Voilà , il est temps de conclure cette semaine riche en enseignement et en expériences. Durant cette semaine, nous avons ébauché une vue introductive très générale des mécanismes destinés à  assurer la mise en œuvre des droits de l’homme sur la scène internationale. La pluralité et la diversité des modes de contrôle est un élément caractéristique de la conception contemporaine des droits de l’homme. Si ces caractéristiques engendrent, comme nous le verrons plus en détail la semaine prochaine, certains problèmes de coordination et d’articulation, la pluralité qui lui est propre ne doit pas faire oublier la dimension de complémentarité institutionnelle, qui finalement vise à  assurer, comme nous le verrons encore la semaine prochaine, un respect concret et effectif des droits de la personne humaine.

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Semaine 6 : Les limites des droits de l’homme

L’exercice des droits de l’homme peut entrer en conflit avec des intérêts de la collectivité ou avec d’autres droits. De ce fait, les droits de l’homme ne sont en règle générale pas des prérogatives absolues et peuvent subir des limitations. Pour éviter que les limites ne vident les droits de l’homme de leur substance, l’ordre juridique prévoit des « limites aux limites », en posant des conditions précises auxquelles ces limitations sont subordonnées pour être admises. Le présent cours familiarisera les étudiant(e)s avec trois différents types de limites et expliquera leur finalité, les conditions de leur application et leur pertinence pratique au travers de trois exemples concrets inspirés de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le présent cours permettra aux étudiant(e)s de : (1) connaître les différents types de limites qui permettent de concilier les droits de l’homme avec d’autres droits et intérêts concurrents ; (2) acquérir une méthodologie pour déterminer si l’Etat a limité les droits de l’homme de façon justifiée, ou, à l’inverse, s’il les a violés ; (3) avoir les outils nécessaires pour analyser de façon critique et avisée la jurisprudence ou, plus largement, les débats, en matière de droits de l’homme, qui portent dans de nombreux cas sur une problématique liée à leur limitation.

Lectures préalables :

Pour en savoir plus :

 

INTRODUCTION

Bonjour. Aujourd’hui, nous nous trouvons au Palais de Justice de la République du canton de Genève, dans une salle d’audience. Pourquoi avoir choisi ce lieu? Quel est le rapport avec le thème d’aujourd’hui, les limites des droits de l’homme? Les contentieux, les litiges, dans le domaine des droits de l’homme portent, dans la grande majorité des cas, sur la question des limites.

Un particulier fait valoir que l’État a violé les droits de l’homme. L’État, à  son tour, rétorque qu’il n’y a pas de violation des droits de l’homme parce qu’il a fait usage de sa faculté de limiter l’exercice des droits de l’homme, pour poursuivre d’autres intérêts politiques jugés prépondérants. Nous voyons donc que la problématique des limites est indissociable de la question de savoir s’il y a eu ou non violation des droits de l’homme.

Il revient au pouvoir judiciaire de le déterminer. Le contentieux commence, en principe, au niveau national et est tranché par le pouvoir judiciaire national. Par la suite, il est éventuellement déféré à une instance internationale. Les juges du pouvoir judiciaire genevois sont donc aussi appelés à  statuer sur les limites des droits de l’homme, notamment dans la salle d’audience où nous nous trouvons aujourd’hui. Quelles sont les limites opposables aux droits de l’homme? Comment procéder afin de déterminer s’il y a eu ou non violation des droits de l’homme? Ces questions sont au cœur du cours de cette semaine. Vous allez acquérir les outils nécessaires pour pouvoir vous déterminer vous-même sur le contentieux en matière des droits de l’homme. Vous allez aussi acquérir une grille de lecture vous permettant d’analyser de façon critique et avisée la jurisprudence ou, plus largement, les débats en matière des droits de l’homme.

Comme la question des limites est une problématique éminemment pratique, nous allons l’aborder à travers de trois cas pratiques. Ces trois cas sont inspirés de la jurisprudence. Ils ont donc effectivement été tranchés par le pouvoir judiciaire, tout d’abord au niveau national, et ensuite au niveau international par la Cour européenne des droits de l’homme, la gardienne de la Convention européenne des droits de l’homme. Les liens aux arrêts qui ont servi de source d’inspiration se trouvent sous la rubrique lecture additionnelle de la fiche cette semaine.

Le premier cas que nous allons analyser ensemble, porte sur la détention pour une durée indéterminée des étrangers soupçonnés de terrorisme. Ces personnes sont détenues sans inculpation, sans condamnation, en raison de leurs dangerosités potentielles. Notons que cette mesure ne vise que les étrangers, ou plus précisément les étrangers que l’État ne peut pas renvoyer dans un autre État. Pour justifier cette mesure, le gouvernement fait valoir que les droits de l’homme sont inapplicables en temps de crise. Par conséquent, des personnes privées de libertés ne peuvent pas les invoquer. Il ne peut ainsi pas y avoir de violation. Ces arguments de gouvernements sont-ils valables?

Le deuxième cas pratique que nous allons aborder porte sur la condamnation d’un responsable d’un parti nationaliste pour avoir exposé une affiche. L’affiche montrait les Twin Towers en flammes et contenait l’inscription Islam dehors -protégeons notre peuple. Le gouvernement estime que cette condamnation est justifiée parce que ce type de propos n’est pas protégé par les droits de l’homme. A-t-il raison?

Dans le dernier cas pratique, la police menace une personne de mauvais traitements pour retrouver un enfant enlevé. Pour ce cas, je me suis inspiré d’une affaire très médiatisée, en Allemagne, l’affaire Gäfgen, qui a été par la suite tranchée aussi par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Quels étaient les faits dans cette affaire? Un jeune homme, étudiant en droit, nommé Gäfgen enlève un garçon de 12 ans, fils d’un banquier. Il demande aux parents une rançon d’un million d’euros après avoir tué l’enfant. Il fait cependant croire aux parents que l’enfant est encore en vie et que l’enlèvement a été fait par plusieurs, par un groupe de personnes. Gäfgen avait dissimulé le corps de l’enfant et il réussit à  s’emparer de la rançon. Il est toutefois suivi par la police. Gäfgen est arrêté et conduit au poste de police. Entre-temps, la police a retrouvé dans l’appartement de Gäfgen une partie de la rançon et une note sur la planification de l’opération d’enlèvement. Elle a donc de très fortes raisons de croire que Gäfgen est effectivement l’auteur de l’enlèvement. Pensant que l’enfant est encore en vie, un inspecteur de police menace Gäfgen, sur l’ordre de son supérieur, de mauvais traitements. Plus précisément, l’inspecteur menace Gäfgen de vives souffrances qu’une personne spécialement entraînée à cette fin lui fera subir s’il ne révèle pas où se trouve l’enfant. De peur que cette menace soit mise à exécution, Gäfgen révèle l’endroit où se trouve la dépouille de l’enfant. Il fait valoir, par la suite, que la menace de mauvais traitements a violé ses droits de l’homme. A-t-il raison?

Nous allons examiner ces cas à  partir de quelques hypothèses. Dans les trois cas, partons de l’idée que les États ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme, et ceci avant le déroulement des faits. Partons Également de l’idée que les États n’ont pas fait de réserves au dispositions de la Convention.

En effet, par une réserve, un État peut soit exclure totalement ou partiellement d’être lié par une disposition d’un traité, soit modifier sa portée. Sur la base de ces deux hypothèses, nous pouvons partir de l’idée que tous les droits contenus dans la Convention européenne des droits de l’homme peuvent, a priori, trouver application dans les trois cas pratiques. Comme la Convention qui s’applique à nos trois cas est la Convention européenne des droits de l’homme, la méthode d’analyse que nous allons étudier ensemble est c’est elle qui est pertinente pour cette Convention. La plupart des principes que nous allons découvrir sont aussi applicables pour d’autres Conventions relatives aux droits de l’homme. Mais il faut garder à  l’esprit que chaque Convention peut avoir ses spécificités dans le domaine des limites. Cela étant dit, comment procéder pour savoir, dans les trois cas, si les arguments avancés par le gouvernement l’emportent ou s’il y a eu violation des droits de l’homme consacrés dans la Convention? Nous le verrons dans les séquences qui suivent.

 

QUESTIONS PREALABLES

Avant qu’un tribunal n’examine la question des limites des droits de l’homme, il doit se poser une question préalable, celle de savoir s’il y a un ou plusieurs droits de l’homme qui régissent la problématique. En d’autres termes, avant d’examiner si un droit de l’homme a peut-être été violé, il faut déjà  se demander si nous nous situons dans la sphère protectrice, dans le champ d’application d’un droit de l’homme. Si aucun droit de l’homme n’est concerné par la situation en question, il ne peut, à  l’évidence, pas y avoir de violation. Concernant le champ d’application des droits de l’homme, il convient de distinguer le champ d’application personnel et le champ d’application matériel.

Le champ d’application personnel des droits de l’homme concerne la question de la titularité. La personne qui invoque les droits de l’homme en est-elle titulaire? Nous savons que les droits de l’homme visent à protéger les êtres humains et ont donc vocation à s’appliquer à  toutes les personnes. Pour cette raison, les dispositions des traités généraux sont, en règle générale, libellées comme protégeant toute personne, chacun, où elles stipulent que nul ne sera soumis à un certain traitement. Ces formulations visent à  souligner que ces droits reviennent à  toute personne humaine, indépendamment de la nationalité ou d’autres conditions.

Il y a cependant quelques exceptions. Certains traités spéciaux ne s’appliquent qu’à  certaines catégories de personnes. La Convention relative aux droits de l’enfant, par exemple, ne s’applique qu’à des personnes qui ont moins de 18 ans. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à  l’égard des femmes, la CEDEF, s’applique exclusivement aux personnes de sexe féminin. Dans les traités généraux, comme le pacte deux, des droits politiques ne reviennent qu’aux citoyens de l’État.

Alors que le champ d’application personnel se réfère à  la titularité des droits, le champ d’application matériel renvoie au contenu des droits de l’homme. Chaque droit de l’homme a un contenu spécifique. Il confère, au titulaire, des prérogatives spécifiques. Ces prérogatives ont comme corollaire, nous l’avons vu, des obligations spécifiques de l’État. Nous devons donc, pour chacun des trois cas examinés, si les Conventions protectrices des droits de l’homme contiennent des droits qui sont, de par leurs contenus, pertinents dans le cas d’espèce.

Examinons maintenant le champ d’application personnel et matériel des droits de l’homme dans nos trois cas. Nous commencerons par le premier cas, cas portant sur la détention des personnes soupçonnées de terrorisme. Nous cherchons, pour ce cas, un droit de l’homme qui protège la liberté personnelle, plus spécifiquement, un droit de l’homme qui s’applique au cas de figure où un individu est privé de sa liberté. À l’étude la Convention applicable, la Convention européenne des droits de l’homme, nous voyons qu’elle contient une disposition qui régit la privation de liberté. Il s’agit de l’article 5 de la Convention. L’article 5 énonce de façon positive : « toute personne a droit à  la liberté et à  la sûreté ». La même disposition énonce de façon négative : « nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales […]».

Ces dispositions semblent régir la situation des individus dans notre cas. Rappelons que ces derniers sont détenus pour une durée indéterminée, en raison de soupçons de terrorisme. Nous pouvons ainsi considérer que la condition du champ d’application matériel est remplie. Quant au champ d’application personnel, nous voyons que l’article 5 CEDH est formulé comme revenant à toute personne, donc aussi aux personnes soupçonnées de terrorisme. La condition du champ d’application personnel est donc aussi remplie.

Qu’en est-il du champ d’application dans notre deuxième cas, le cas portant sur l’affiche islamophobe? L’individu a été condamné pour avoir exposé cette affiche. Nous cherchons donc, du point de vue du contenu du droit, un droit qui régit la communication. Nous allons trouver dans la CEDH une disposition qui protège la liberté d’expression. L’article 10 CEDH stipule que toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Dans la mesure où une affiche est un moyen de communiquer des idées, nous pouvons partir de l’idée que l’article 10 s’applique, de par son contenu, à  notre deuxième cas pratique.

Concernant le champ d’application personnel, nous voyons que cette question ne pose pas problème, non plus. En effet, la disposition stipule, de nouveau, que le droit revient à  toute personne.

Regardons maintenant le troisième cas, celui qui concerne les menaces de mauvais traitements d’une personne soupçonnée d’avoir enlevé un enfant. Dans notre troisième cas, nous cherchons un droit qui protège des personnes contre des mauvais traitements. Si nous regardons la Convention européenne des droits de l’homme, la disposition qui paraît la plus pertinente est l’article trois. Ces dispositions stipulent ce qui suit : « nul ne peut être soumis à  la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Le champ d’application personnel, à nouveau, ne pose pas problème. Il s’agit donc d’une disposition qui protège tout être humain, y compris une personne soupçonnée d’avoir enlevé un enfant. Mais qu’en est-il du champ d’application matériel? Est-ce que la menace de mauvais traitements peut être qualifiée de torture ou traitement inhumain ou dégradant? Mon collègue Michel Hottelier vous l’a déjà  dit, les droits de l’homme sont souvent formulés de façon concise et générale. Pour connaître leurs contenus précis, il faut s’intéresser à  la jurisprudence. Dans l’affaire Gäfgen, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que l’article trois de la Convention s’applique aux menaces de mauvais traitements. En effet, l’interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants, ne vise pas uniquement à protéger l’intégrité physique. Ces dispositions protègent aussi l’intégrité psychique. Autrement dit, des souffrances mentales générées en l’espèce par des menaces de vives souffrances tombent dans le champ d’application matériel de l’article trois de la Convention. Le champ d’application matériel des droits de l’homme renvoie au contenu des droits de l’homme.

En résumé, nous avons examiné dans les trois cas si la problématique relève du champ d’application personnel et matériel d’un droit de l’homme.

Si nous étions parvenus à  une conclusion négative, il ne pourrait, en bonne logique, pas y avoir de violation. Notre analyse se serait terminée à  ce stade.

Comme nous avons constaté dans les trois cas que nous nous trouvons effectivement dans le champ d’application personnel et matériel d’un droit de l’homme, notre analyse n’est pas terminée.

C’est à  ce stade que nous commençons à  nous intéresser aux limites des droits de l’homme. Nous allons aborder à travers les cas pratiques, trois types de limites, à  savoir la dérogation, la déchéance et la restriction : La dérogation est un type de limite qui trouve application dans des situations exceptionnelles, essentiellement en temps de crise.

La déchéance est un type de limite qui peut s’appliquer en tout temps, donc en temps dits normaux et en temps de crise. Elle vise essentiellement à  empêcher et sanctionner l’abus de droit. Elle joue un rôle marginal dans la pratique.

La restriction est aussi une limite qui peut s’appliquer en tout temps. Contrairement à  la déchéance, cependant, le régime des restrictions à  une éminente importance pratique : il a pour but de concilier l’exercice des droits de l’homme, surtout des libertés, avec des intérêts privés ou collectifs concurrents.

Voyons ensemble ces trois types de limites à  travers nos cas pratiques. Dans la prochaine séquence nous allons nous familiariser avec les dérogations, en discutant le premier cas pratique avec un intervenant externe.

 

LA DEROGATION : ENTRETIEN AVEC FREDERIC BERNARD

[MUSIQUE] [MUSIQUE] Le premier cas pratique porte sur la détention d’étrangers soupçonnés de terrorisme, nous nous trouvons donc dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Et j’ai le grand plaisir d’avoir ici, face à moi, une personne qui a consacré beaucoup de recherches à la lutte contre le terrorisme. Frédéric Bernard, vous êtes avocat, vous êtes docteur en droit, et vous êtes chargé de cours auprès de l’Université de Genève, vous avez consacré, entre autres, vos thèses de doctorat à  la lutte contre le terrorisme, études aussi à  l’aulne des droits de l’homme. Plus précisément, votre thèse de doctorat était intitulée l’État de droits face au terrorisme. Je suis très contente que vous ayez accepté de nous joindre, et de nous aider à  résoudre ce premier cas pratique.

On voit, dans ce premier cas pratique, que le gouvernement dit, au fond, que les droits de l’homme ne s’appliquent pas en temps de crise, et ce qui nous intéresse, c’est de savoir si le gouvernement a raison.

>> Non, alors, je ne le crois pas du tout. Alors c’est vrai que, historiquement, les gouvernements avaient tendance à penser que si les circonstances devenaient exceptionnelles, ils étaient autorisés à ne plus respecter les droits de l’homme. On parlait souvent d’état d’urgence, ou d’état de nécessité, on en parle encore, d’ailleurs. Mais aujourd’hui, la conception des droits de l’homme, et c’est celle qui est aussi dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, vise à  protéger les droits de l’homme en tous temps. Donc, pas seulement quand il fait beau, mais aussi quand le temps redevient un petit peu plus difficile.

>> Donc, si je vous comprends bien, les droits de l’homme s’appliquent aussi en temps de guerre? Parce que nous avons vu dans ce cours, que c’est un domaine qui est régi par le droit humanitaire.

>> Tout à  fait. Alors les droits de l’homme ont vocation, comme je vous l’ai dit, à s’appliquer absolument en tous temps. En revanche, ce que les droits de l’homme permettent, c’est que l’État adapte un petit peu le niveau de protection des droits de l’homme, en réponse à  une situation exceptionnelle, ou à  une crise. Et c’est précisément l’instrument de la dérogation, qui fait l’objet du cas pratique que l’on est appelés à résoudre ensemble. L’idée de la dérogation, c’est que l’État peut, dans certaines circonstances, modifier le niveau de protection des droits de l’homme, en respectant un certain nombre de conditions, et c’est cela qui est important. Parmi ces conditions, on trouve une obligation formelle de notifier. Dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme, au secrétaire général du conseil de l’Europe, notifier la dérogation. Et dans le cas pratique que vous m’avez soumis, on apprend simplement que le gouvernement estime ne pas être en mesure de respecter les droits de l’homme, ce n’est pas suffisant. Il n’a pas respecté cette obligation de notification, et déjà , pour cette raison, a dérogation ne serait pas valable.

>> D’accord. Donc au fond, ce n’est pas quelque chose d’automatique. L’État doit prendre des mesures, pour déroger aux droits de l’homme. Est-ce que vous pourriez nous dire plus précisément, quel est, au fond, l’effet d’une dérogation?

>> L’effet d’une dérogation, par rapport à  une restriction, sur laquelle on reviendra, est assez radical. Si elle est réussie, donc si elle remplit les conditions, elle aboutit à  suspendre le droit visé. Cela veut dire, que ce droit ne s’applique plus, et qu’il ne peut donc plus être violé par l’État, puisqu’il est considéré, pendant le temps de la dérogation, comme n’existant pas.

>> D’accord, vous montrez bien que c’est un moyen radical. Maintenant, vous l’avez déjà  dit, à des conditions formelles : il faut notifier la dérogation ; maintenant, si l’État respecte cette condition formelle, est-ce qu’il peut suspendre l’application de droits comme le droit à  la vie, l’interdiction de la torture, est-ce qu’on peut avoir recours à des mesures comme l’exécution sommaire pour lutter contre le terrorisme?

>> Alors, non. Les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, notamment la Convention Européenne des Droits de l’Homme, prévoient dans l’article même qui permet la dérogation, en l’occurrence l’article 15,

prévoient une liste de droits auxquels l’État ne peut jamais déroger : des droits que l’on appelle indérogeables. Vous les trouvez à  l’article 15, paragraphe deux, dans le Pacte sur les Droits Civils et Politiques des Nations Unies, et c’est défini aussi au paragraphe deux de l’article quatre, qui traite de la dérogation. Il faut faire attention, les droits indérogeables ne sont pas les mêmes selon les instruments. Donc il faut toujours aller voir l’instrument auquel l’État déroge, pour voir les droits indérogeables fixés par cet instrument. Cela étant, pour les exemples que vous avez donnés : exécution sommaire et torture, dans les deux cas, en l’occurrence, Convention européenne et Pacte des Nations-Unies, ces droits sont indérogeables. Donc l’article deux de la Convention européenne des droits de l’homme, est indérogeable sous réserve d’acte licite de guerre, évidemment, des exécutions sommaires n’entrent pas dans cette définition, et l’article trois, lui, est entièrement indérogeable, donc on ne peut pas torturer ni commettre des traitements inhumains ou dégradants, même en cas de dérogation. Les droits indérogeables figurant dans les instruments internationaux de protection des droits de l’homme ne sont pas les mêmes pour tous ces instruments.

C’est une forme de limite, il y a un certain nombre de droits, qui sont mis en dehors du champs possible de dérogation pour l’État.

>> On dit que c’est le noyau dur,

>> C’est une sorte de noyau dur, exactement, dans le domaine des dérogations.

>> Il y a donc des droits qui sont indérogeables, nous venons de l’entendre ; est-ce qu’il y a d’autres conditions que l’État doit respecter?

>> Oui. Donc, il y a la condition formelle dont on a parlé avant, de la notification officielle, on a cette liste de droits intouchables, indérogeables, et en plus de cela, l’État doit prouver trois conditions matérielles d’une part, il doit prouver qu’il y a bien un danger qui menace l’existence de la nation, il doit également  montrer que les mesures qu’il a adoptées pour faire face au danger, étaient strictement requises par les circonstances, c’est la condition de la proportionnalité. Et il doit enfin montrer que ces mesures, non seulement sont proportionnelles, mais elles respectent aussi ces autres obligations internationales.

>> Donc on voit, effectivement, que les droits de l’homme encadrent d’une façon assez stricte le recours aux dérogations. Maintenant, si nous prenons ces conditions que vous avez énumérées, et nous les appliquons à  notre cas pratique, peut-on, tout d’abord, dire que la lutte contre le terrorisme constitue une menace à  la vie de la nation?

>> Alors, la Cour européenne des droits de l’homme, si l’on se concentre sur elle, définit le danger menaçant la vie de la nation, de façon assez stricte, en disant que cela doit être un danger imminent, qui doit concerner l’entièreté de la population, mais ensuite, quand elle applique cette définition, elle accorde aux États nationaux une certaine marge de manœuvre. Parce qu’elle considère que les gouvernements nationaux, sont mieux placés qu’elle, pour évaluer le danger et l’importance de ce danger. Alors, si l’on prend l’arrêt rendu par la Cour, qui sert de base au cas pratique que vous m’avez soumis, l’arrêt A. et autres contre le Royaume-Uni, de 2009, la Cour, là, a accepté l’argument du Royaume-Uni, qui consistait à dire : « la menace du terrorisme international, constitue un danger public pour l’existence de ma nation ». Et la Cour a dit : « oui, vous êtes mieux placés que moi pour définir ce danger, pour évaluer ce danger, donc j’accepte la qualification d’une situation de danger menaçant la vie de la nation ».

>> Qu’en est-il des autres conditions que vous avez mentionnées?

>> Alors, le système britannique est un peu particulier, parce que le gouvernement avait un système réservé aux étrangers, aux suspects terroristes étrangers, qu’il avait décidé d’emprisonner, ou de détenir, de manière indéfinie dans le temps. Système qui ne s’appliquait pas aux ressortissants britanniques, aux ressortissants nationaux. Et donc, la Cour a dit : « ce n’est pas une mesure qui est strictement requise par les circonstances, puisque vous arrivez à vous occuper de vos propres suspects terroristes, si j’ose dire, sans déroger à  la Convention, vous devriez pouvoir faire la même chose pour les suspects étrangers ».

>> Donc le gouvernement n’était pas très crédible, en quelque sorte.

>> Non, effectivement. Alors le résultat n’est pas très satisfaisant dans les faits, puisque ce que le gouvernement a fait, c’est qu’il a étendu le système à  l’entier de la population.

>> Maintenant, il y a encore une dernière condition, n’est-ce pas? Celle que la mesure doit être conforme aux autres obligations au droit international. Est-ce qu’elle est envisageable, comme mesure de dérogation, viol des obligations de droit international?

>> Tout à  fait. Alors, on a parlé, avant, de la question des droits indérogeables, et je vous ai dit que la liste de ces droits, variait selon les instruments. Et notamment, dans le Pacte sur les droits civils et politiques, la liste est beaucoup plus étendue que celle qui figure à  l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme. Notamment, et c’est un élément tout à fait crucial, le Pacte des Nations Unies prévoit que, aucune mesure « d’urgence », entre guillemets, ne peut être discriminatoire ; ce que la Convention ne prévoir pas comme droit indérogeable. Et vous savez aussi que le Comité des droits de l’homme, donc l’organe qui est chargé de contrôler l’application du Pacte, a adopté en 2001 une observation générale, numéro 29, sur précisément, la question des dérogations, et il a étendu, encore, la liste qui figure dans le Pacte ONU II expressément. Le résultat, c’est qu’on a beaucoup plus de droits indérogeables dans le Pacte, qu’on en a dans la Convention européenne des droits de l’homme. Mais un État qui serait membre des deux Conventions, grâce au renvoi de l’article 15 de la CEDH aux autres obligations du droit international, est aussi soumis, dans le cadre de la CEDH, aux droits indérogeables du Pacte ONU II.

>> Oui, c’est intéressant. Mais revenons à  notre cas pratique, où nous avons vu qu’au fond, la dérogation n’est pas valable, n’est-ce pas. Mais quelle est la conséquence de cette invalidité de la dérogation?

>> Alors la conséquence, c’est que pendant tout le temps où l’État pensait avoir valablement dérogé, et qu’il a donc pris des mesures qui s’avèrent contraires à  la Convention, puisqu’il a dérogé au droit pertinent, pendant tout ce temps-là, en fait, la dérogation n’était pas valable. Donc l’État, en principe, a violé la Convention pendant tout le temps où il a cru qu’il avait réussi à réduire de champ d’application de la Convention. Dans le cas pratique, cela veut dire en réalité que les personnes qui ont été détenues pendant un certain temps alors que l’État pensait avoir dérogé, c’est une violation de l’article 5 de la Convention. On peut encore se poser

la question de savoir, si le droit continue à s’appliquer parce que l’État n’y a pas valablement dérogé, si il pourrait, éventuellement, être restreint. Et ça, c’est une autre thématique.

>> Dont nous allons encore parler dans ce cours. Vous nous avez très bien décrit le mécanisme de la dérogation. Maintenant, ce qui m’intéresserait, c’est aussi la pratique des États. Est-ce qu’il est fréquent que les États dérogent aux droits de l’homme, ou est-ce qu’ils l’ont fait fréquemment dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, après le 11 septembre?

>> Alors, historiquement, on a un certain nombre de cas, qui sont liés à  des situations précises. Euh, si vous prenez la Turquie, il y a un certain nombre de dérogations en lien avec le sud-est turc, et la question kurde. Si vous prenez le Royaume-Uni, il y a aussi toute une problématique de dérogations en lien avec l’Irlande du Nord. Donc, historiquement, c’est ce type de situations-là, qui ont donné lieu à  des dérogations. Après le 11 septembre 2001, c’est vrai, vous l’avez dit, le Royaume-Uni a dérogé à la Convention européenne des droits de l’homme, formellement, à  l’article 5, paragraphe 1, plus précisément, il est le seul état au monde à l’avoir fait, le seul État en Europe et le seul État au monde. On trouve quelques autres dérogations depuis 2001, qui émanent essentiellement de pays d’Amérique latine, mais qui ne sont pas liées au terrorisme international, qui sont liées à  des problématiques nationales, locales.

>> Les États-Unis n’ont pas dérogé?

>> Alors, les États-Unis, vous le savez, ont ratifié, il y a de ça environ 10 ans, le Pacte ONU II, ils n’ont évidemment pas ratifié la Convention européenne, puisqu’ils se trouvent en dehors de l’Europe, et ils n’ont pas jugé bon, ils n’ont pas cru utile de déroger au Pacte ONU II, même au plus fort de la guerre contre le terrorisme.

>> D’accord. Maintenant, parlons des États-Unis. On a aussi vu que les États ont recours à une autre stratégie pour se soustraire, en quelque sorte, à  l’application des droits de l’homme, et cette stratégie consiste à  détenir des personnes en dehors de leurs territoires. Et l’argument qui était fait, était de dire, bon, les droits de l’homme ne s’appliquent pas en dehors du territoire. C’est une question différente, n’est-ce pas des dérogations? Mais, ce serait intéressant d’entendre votre avis sur cette question.

>> Alors, c’est vrai que juridiquement, on va traiter la question différemment mais le but est un peu le même, comme vous l’avez dit, c’est d’être moins lié par les droits de l’homme, parce qu’on estime, qu’on est en situation de crise. Alors, on a beaucoup parlé évidemment de Guantánamo Bay. Vous savez que Guantánamo, c’est une base militaire américaine, mais elle se trouve sur l’île de Cuba. Et, l’idée est de créer une prison dans cette base, c’était de dire, bon, on est en dehors des États-Unis, donc les droits fondamentaux applicables aux États-Unis ne vont pas s’appliquer aux détenus, qui vont se trouver à  Guantánamo. Alors, du point de vue purement américain ou des États-Unis, la Cour suprême a jugé que le raisonnement ne tenait pas debout, mais en appliquant purement la Constitution américaine. Si on s’était trouvé dans la même situation en Europe, la Cour aurait dit la même chose. Parce que la Cour, et c’est vrai qu’on s’écarte du thème de la dérogation, mais la Cour a une jurisprudence extrêmement riche en matière d’application extraterritoriale de la Convention. Elle estime notamment que si un État possède le contrôle effectif sur un territoire ou alors, sur des personnes qu’il détient à  l’extérieur de ces frontières nationales, il est responsable dans ce territoire ou pour ces personnes, du respect des droits de l’homme. Donc, dans le cas de Guantánamo, si Guantánamo avait été le fait d’un État européen, la Cour aurait jugé que la Convention s’appliquait à  Guantánamo, et elle aurait donc, ensuite, constaté vraisemblablement plusieurs violations de la Convention.

>> Donc, on voit que ce n’est pas si facile, n’est-ce pas, d’échapper à  l’emprise des droits de l’homme.

>> C’est le grand progrès. Par rapport à  la vision classique, dont je parlais tout au début de l’entretien, le grand progrès des droits de l’homme, c’est qu’il n’y a plus de lacune. Il y a des adaptations possibles, mais il n’y a plus de trou dans la protection.

>> Merci beaucoup.

>> Merci à vous.

>> Procédons à  ce stade à  une synthèse. Nous avons donc vu pour ce premier cas, que le gouvernement a tort.

Les droits de l’homme s’appliquent donc Également  en temps de crise, mais les États ont la possibilité de déroger aux droits de l’homme, donc de suspendre pour une période déterminée l’application des droits de l’homme.

Si dans notre cas pratique, la dérogation avait été valable, il n’y aurait pas eu de violation des droits de l’homme, tout simplement parce que les droits de l’homme ne se seraient pas appliqués.

En revanche, dans notre cas, nous avons vu que les conditions de dérogation n’ont pas été réunies. Il s’ensuit que les droits de l’homme continuent à s’appliquer, donc nous ne sommes pas parvenus au bout de l’examen de ce cas pratique.

Nous n’avons pas encore parlé des 2 autres cas pratiques, donc, du cas 2 et 3, dans ce cas, les gouvernements n’ont même pas invoqué une dérogation, pour la simple raison, qu’ils savaient pertinemment bien que la dérogation ici, les conditions n’auraient pas été réunies. Tout d’abord, nous nous trouvons pas en circonstance de crise, il n’y a aucune situation de guerre ou de menace terroriste, et d’autre part, pour le troisième cas, il porte sur un droit qui est tout simplement indérogeable. Nous avons appris que l’interdiction de la torture fait partie du noyau dur en matière des droits de l’homme. Donc, pour ces 2 cas pratiques également, nous devons continuer notre analyse, voyons ensemble dans la séquence qui va suivre, si une autre limite, celle de la déchéance, peut nous aider dans la résolution de ces cas.

 

LA DECHEANCE

La déchéance vise, comme déjà mentionnée, à  prévenir et à  sanctionner l’abus de droit. Dans la Convention européenne des droits de l’homme, nous trouvons en effet une disposition, l’Article 17 intitulé interdiction de l’abus de droit. Elle a la teneur suivante : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à  un activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à  des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention » (Art. 17 de la Convention européene des droits de l’homme (CEDH) du 4 novembre 1950).

Nous voyons dans ces dispositions qu’elles qualifient certains comportements comme étant abusives. Quels sont ces comportements? Au fond, c’est le fait de se livrer à une activité, ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés protégés dans la Convention. L’individu qui voudrait faire un tel usage des droits et libertés agit de façon abusive. Il est déchu de ce droit, il ne peut pas l’invoquer.

La déchéance se fonde selon la Cour européenne sur l’idée qu’il faut empêcher que des individus ou des groupements totalitaires puissent exploiter en leur faveur les principes posés par la Convention. Elle se fonde sur l’idée d’une démocratie militante, d’une démocratie apte à se défendre. Il ne faut pas être trop angélique. Il faut éviter que les droits de l’homme soient invoqués dans un but contraire aux valeurs de la démocratie, et aux droits de l’homme. Font notamment partie de ces valeurs, la tolérance, la paix sociale, et la non-discrimination. Une clause analogue à  l’Article 17 de la Convention se trouve par ailleurs aussi dans le Pacte deux. Il s’agit de l’Article cinq, Paragraphe un du Pacte. L’Article 17 de la Convention, et l’Article cinq, Paragraphe un du Pacte s’inspirent de l’Article 30 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. Cette disposition a une teneur comparable.

Pour mieux comprendre ces clauses de déchéance, il faut rappeler le contexte historique dans lequel les droits de l’homme sont nés. Les auteurs de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et des autres Conventions protectrices des droits de l’homme voulaient se prémunir contre des mouvements totalitaires comme le nazisme. Il fallait empêcher que les droits de l’homme permettent à  des doctrines xénophobes, racistes ou ultra-nationalistes de se propager.

Qualifier l’usage de droits de l’homme d’abusif est un moyen radical. Il prive l’individu de la protection du droit fondamental dont il est déchu. Comme il s’agit d’un moyen radical, il ne doit pas être appliqué que dans des circonstances exceptionnelles. Dans cet ordre d’idées, la Cour européenne des droits de l’homme interprète l’Article 17 de façon étroite. Ces dispositions s’appliquent essentiellement aux libertés de communication, c’est-à-dire à  la liberté d’expression, la liberté d’association et de réunion. L’Article 17 a notamment été invoqué avec succès dans des cas concernant l’interdiction ou la dissolution de partis politiques, comme le parti national-socialiste. Il a aussi été invoqué avec succès conernant la criminalisation des propos révisionistes, ça veut dire des propos qui nient l’Holocauste. Et il a été appliqué au discours dit de haine, c’est-à-dire le discous qui incite à la haine et à la discrimination raciale. Par contre, l’usage d’autres droits, comme l’interdiction de la torture, le droit à  la liberté à la sûreté, les garanties de procédures ne peut jamais être abusif.

Cela est important pour notre premier et le troisième cas pratique. Dans ces cas, il n’y a pas de déchéances. Une personne qui se prévaut du droit à la liberté à la sûreté comme le font les personnes soupçonnées de terrorisme, n’agit pas abusivement. Il en va de même d’un individu qui invoque l’interdiction de la torture, aussi répréhensible soit-il. Qu’en est-il du deuxième cas pratique, celui portant sur l’exposition de l’affiche? Sommes-nous dans un cas d’invocation abusive de la liberté d’expression?

Pour répondre à  cette question, il est utile de s’arrêter un instant sur le message véhiculé par l’affiche. Cette dernière montre les Twin Towers en flammes suivi de l’inscription : Islam, dehors! Protégeons notre peuple. L’affiche crée donc un lien entre les attentats terroristes d’une part, et la population musulmane du pays. Elle a recours à des stéréotypes. Elle présente tous les musulmans comme des terroristes, comme un danger contre lequel il faut se protéger. Cette affiche est à  l’évidence discriminatoire. Elle n’est pas dirigée contre un système de croyance, l’islam, mais contre des personnes, les musulmans. L’affiche véhicule ainsi des propos qui incitent à la haine, et à  la discrimination à l’encontre d’un groupe religieux. Des personnes qui invoquent la liberté d’expression pour diffuser de tels propos agissent selon la jurisprudence de la Cour de façon abusive.

D’un autre cas pratique, le gouvernement avait donc raison. Comme il y a déchéance, les propos en question ne sont pas protégés par la liberté d’expression. Il ne peut ainsi pas avoir de violation de cette liberté. Nous avons donc résolu ensemble le deuxième cas pratique. Nous n’avons en revanche pas encore terminé l’examen des cas un et trois. Il faut préciser à ce stade qu’il n’y a pas lieu d’examiner la question de la déchéance dans ces deux cas, car cette question ne s’y pose tout simplement pas.

En effet, comme nous l’avons vu, les droits concernés, les garanties de procédures, le droit à la liberté, à  la sûreté, et l’interdiction de la torture et de mauvais traitements ne peuvent pas être invoqués de manière abusive. Ces droits ne sont donc pas sujets à  déchéance. Nous devons donc poursuivre notre analyse de ces deux cas, allant d’un troisième type de limite : les restrictions.

 

LES RESTRICTIONS : NOTION ET METHODE D’EXAMEN

Par restriction, on entend le régime de limites qui trouve application en tout temps, et non seulement en temps de crise, ce qui le distingue des dérogations.

L’examen des restrictions intervient, il n’est pas inutile de rappeler, une fois que nous avons constaté que nous nous trouvons dans le champ d’application personnel et matériel d’un droit de l’homme, qu’il n’y a eu ni dérogation valable, ni déchéance.

Dans la majorité des cas, l’État défendeur ne fait pas valoir s’il y a dérogation ou déchéance, parce que ces deux limites ne sont pas pertinentes. Pour cette raison, la Cour européenne des droits de l’homme n’examine pas systématiquement ces deux limites et passe directement à  l’examen des restrictions.

L’examen des restrictions débute, en principe, par la question de l’ingérence. En d’autres termes, la Cour examine si un ou plusieurs droits ont été touchés, amoindris, d’une certaine façon. Nous voyons, dans les deux cas qu’il nous reste à  examiner, que ce sont les obligations négatives de l’État qui sont en jeu. Autrement dit, au lieu de s’abstenir, les autorités ont agi. Elles ont pris des mesures limitant les droits des personnes concernées. Dans le premier cas, elles ont privé les personnes de leurs libertés. Dans le troisième cas, elles ont menacé une personne de mauvais traitements. Ces comportements étatiques constituent, selon la terminologie utilisée par les juristes, des ingérences, des atteintes ou des restrictions, termes qui sont synonymes.

Dans les deux cas, on constate qu’il y a eu une ingérence dans les droits des personnes concernées, et que cette ingérence est imputable au destinataire des droits de l’homme, à l’État. Cette conclusion ne met pas un terme à notre analyse.

Si, à  l’inverse, nous étions parvenus à  la conclusion qu’il n’y avait pas d’ingérence, dans l’un ou l’autre des cas, notre analyse se serait arrêtée à  ce stade. à€ défaut d’ingérence, il ne peut y avoir de violation.

Ce n’est toutefois pas notre cas. Pour continuer l’examen des cas un et trois, il faut ainsi encore se poser la question suivante : cette ingérence peut-elle être justifiée? En d’autres termes, il faut voir si les droits en question sont sujets à  des restrictions ou non. Si l’ingérence ne peut jamais être justifiée, le droit de l’homme n’est pas sujet à  restrictions, il a une portée absolue, il est incompressible. Pour les droits absolus, toute ingérence équivaut à  une violation.

Si, en revanche, l’ingérence peut être justifiée, le droit de l’homme est sujet à des restrictions. Il s’agit d’un droit relatif, dans le sens qu’il a une portée relative, il est restrictif, compressible ; il est susceptible d’application imparfaite. C’est le cas de la majorité des droits de l’homme.

Les droits sujets à restrictions se divisent en deux catégories : des droits qui ne peuvent être restreints que pour des motifs limités et ceux qui peuvent l’être pour des motifs plus larges, d’ordre public. Une fois la question des motifs abordée, il nous faudra, pour ces deux catégories de droits, compléter l’analyse et examiner les autres conditions de restrictions. Il faut voir, en effet, si les autres conditions de restrictions sont réunies. Si toutes les conditions de restrictions sont réunies, il n’y a pas de violation, mais une restriction justifiée.

Dans la négative, il y a une violation, il y a une ingérence injustifiée. En résumé, nous voyons, sur le schéma, que nous avons distingué, dans le contexte des restrictions, trois types de droits : tout d’abord, les droits absolus, donc des droits qui ne sont pas sujets à  des restrictions, ensuite, des droits soumis à  des motifs de restrictions limités, et en dernier lieu, les droits soumis à  la réserve d’ordre public. Nous allons ainsi apprendre, tout à l’heure, à l’aide des deux cas pratiques qu’il nous reste à résoudre, comment identifier les droits qui tombent dans chacune de ces trois catégories.

 

LES DROITS ABSOLUS

Comment savoir si un droit a une portée absolue, qu’il n’est donc pas sujet à restriction? Le point de départ pour chaque analyse est la teneur du droit en question. Il faut donc voir si le texte même de la disposition prévoit la possibilité de justifier des restrictions.

Prenons comme exemple l’article trois de la Convention, disposition pertinente dans le troisième cas pratique. Nous voyons que la formulation est très lapidaire. La disposition ne prévoit aucune exception. La Cour Européenne des Droits de l’Homme déduit qu’il s’agit d’un droit absolu. Cette conclusion se fonde non seulement sur le texte même de l’article, mais également sur l’importance fondamentale de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants. Il s’agit selon la Cour européenne, d’une valeur fondamentale dans une société démocratique. Le recours à la torture ne peut jamais être justifié. Même si c’est le cas pour sauver la vie d’un enfant, voire de plusieurs enfants. Même si on a des forts indices de croire que la personne est coupable, comme c’était le cas dans l’affaire Gafgen. Nous l’avons vu, pour un droit absolu, toute ingérence constitue une violation. La interdiction de la torture est un droit absolu.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a pour cette raison retenu une violation dans l’affaire Gafgen contre Allemagne[1], cas qui inspire notre troisième cas pratique. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a par ailleurs réaffirmé la nature absolue de l’article trois de la Convention dans plusieurs affaires portant sur la lutte contre le terrorisme. L’arrêt Chahal contre Royaume Uni en est un exemple. Cette affaire portait sur le renvoi d’un étranger soupçonné d’activité terroriste dans un pays où il risquait d’être torturé. Vous avez dans le cadre de ce cours déjà lu l’affaire Soering contre Royaume Uni.

Vous savez donc que l’article trois de la Convention a été interprété comme proscrivant les renvois dans un pays où la personne risque un traitement contraire à l’article trois. Voici deux passages clés de l’arrêt Chahal contre Royaume Uni. « L’article trois consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. La Cour est parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à  notre époque les États pour protéger leur population de la violence terroriste. Cependant, même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime. L’article trois ne prévoit pas de restrictions en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention. […] L’interdiction des mauvais traitements énoncés à  l’article trois est tout aussi absolu en matière d’expulsion » (CourEDH, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, par. 80).

Est-ce qu’il y a d’autres droits dans la Convention qui ne peuvent jamais être restreints? La réponse est affirmative. Voici d’autres exemples de droits absolus. L’interdiction de l’esclavage, protégé à l’article quatre de la Convention ; le droit à  un procès équitable, avec l’exception de la publicité des débats, ce droit est prévu à  l’article six de la CEDH ; et le droit à un recours effectif consacré à l’article 13 de la Convention.

En conclusion, en examinant les droits absolus, nous avons pu résoudre le cas trois. Il nous reste encore à finir l’analyse du premier cas, qui ne porte pas sur un droit absolu, mais sur un droit sujet à restriction.

 

LES DROITS SOUMIS À DES MOTIFS LIMITES DE RESTRICTION

Qu’est-ce qui caractérise les droits soumis à des motifs limités de restrictions? Tout d’abord, le fait que la justification de l’ingérence n’est pas exclue, ce qui les distingue des droits absolus. Ensuite, le fait que les motifs de restrictions sont limités.

Cela veut dire que nous allons trouver des circonstances où une justification n’est pas possible, parce que le motif invoqué par l’État ne tombe dans aucune des exceptions prévues. Illustrons ces propos à l’aide du premier cas.

Si l’État fait valoir que la lutte contre le terrorisme permet de détenir des personnes, sans jugement, pour une durée indéterminée, il invoque un motif qui ne correspond à  aucun des cas de figure envisagés par l’article cinq de la Convention. Pour comprendre ce point, nous devons lire l’article cinq CEDH dans son intégralité. L’article cinq dispose que nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans les cas suivants, et selon les lois légales, et, après, suit, donc, une liste de six motifs dans lesquels la détention peut être justifiée. Cette liste est exhaustive. Je ne vais pas examiner avec vous tous les six motifs, je vais me concentrer sur ceux qui sont les plus pertinents. Nous trouvons dans cette liste, dans cette liste, notamment, un premier cas de figure, c’est le cas d’un individu qui est détenu régulièrement, après condamnation, par un tribunal compétent. Ce motif n’est manifestement pas pertinent pour notre cas. Pourquoi? Parce que, justement, les personnes sont détenues sans qu’il y ait eu une condamnation, ils n’ont jamais été condamnés.

Deuxième cas de figure que j’aimerais aborder avec vous, c’est la lettre c, le cas de figure d’une personne qui a été arrêtée et détenue en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente. Ce cas de figure vise surtout la détention préventive. Donc, l’idée c’est que la personne va un jour être traduite devant un juge, elle va être jugée. De nouveau, ce n’est pas pertinent dans notre cas. Pourquoi? Les personnes sont détenues sans qu’il soit prévu qu’ils soient transmis devant un juge.

Dernier cas de figure, la lettre f prévoit le cas de figure où il y a une arrestation ou la détention régulière d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Or, dans notre cas, il n’y a justement pas de procédure d’expulsion ou d’extradition en cours. Souvenons-nous que l’État détient les personnes qu’il ne peut justement pas renvoyer dans un autre État.

Nous voyons, donc, en conclusion, qu’aucun des six motifs énumérés à l’article cinq de la Convention ne permet la détention des personnes pour une durée indéterminée sans jugement. Il est intéressant de voir que le respect d’un de ces six motifs n’est pas la seule condition de restriction prévue à l’article cinq. Il y en a d’autres. Nous voyons une condition cruciale mentionnée à la fin de l’article cinq, paragraphe un : il s’agit des termes, « selon les voies légales ». La privation des libertés doit être conforme au droit. Elle doit respecter le principe de légalité, pour ne pas être arbitraire. Nous aurons encore l’occasion de revenir sur ce principe de l’égalité.

Dans l’affaire A et autres contre Royaume-Uni, qui a servi de source d’inspiration au cas numéro un, le principe de la légalité n’a pas posé problème. Le Royaume-Uni avait adopté une loi spéciale, le Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001, qui prévoyait la détention des étrangers soupçonnés de terrorisme. Le Royaume-Uni était cependant conscient du fait qu’aucun des six motifs, prévus à l’article cinq de la Convention, ne permettait de détenir une personne pour une durée indéterminée, sans jugement. C’est pour cette raison qu’il a décidé de déroger à  l’article cinq de la Convention. Comme la dérogation n’a pas été jugée valable par la Cour, la Cour a, par la suite, examiné la conformité de la détention avec l’article cinq de la Convention. Sans surprise, elle a retenu une violation. Avec cette conclusion de violation, nous avons résolu le cas numéro un.

À la lecture de la Convention, vous constaterez que d’autres droits sont construits de la même façon que l’article cinq. Ils définissent d’abord le champ d’application du droit et ils énoncent, par la suite, une liste exhaustive de motifs limités qui peuvent justifier une ingérence. Voici quelques exemples. Tout d’abord l’article deux qui consacre le droit à la vie. Cet article énonce d’abord le champ d’application et, par la suite, il prévoit des motifs d’exception, notamment la légitime défense. Deuxième exemple, l’interdiction du travail forcé. Il faut, en effet, distinguer l’esclavage du travail forcé. Les deux sont régis par l’article quatre de la Convention mais on voit à  la lecture de ce texte que seul l’esclavage ne peut jamais être justifié. Pour le travail forcé, l’article quatre prévoit une liste d’exceptions : ne sont pas considérés comme un travail forcé, le service militaire ou le service d’un objecteur de conscience, le travail d’un détenu, le travail en cas de force majeure ou de sinistre, et le travail résultant d’obligations civiques normales. Après avoir vu des droits soumis à des motifs limités de restriction, nous allons, dans la prochaine séquence, examiner ensemble les droits qui peuvent être justifier pour des limites plus larges, des droits qui sont soumis à la réserve d’ordre public.

 

LES DROITS SOUMIS A LA RESERVE D’ORDRE PUBLIC

Tournons-nous maintenant vers la troisième catégorie des droits que j’aimerais vous présenter, les droits soumis à la réserve d’ordre public. J’illustrerai cette catégorie, Également, en me référant à une disposition de la Convention européenne. Il s’agit d’une disposition que nous avons déjà rencontrée dans le cours de cette semaine, la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention.

Quand nous regardons le texte de ces dispositions, nous constatons qu’elles consacrent une première partie au champ d’application du droit, c’est le paragraphe un. Une deuxième partie est consacrée à la justification des ingérences, c’est le paragraphe deux. Voyons ensemble, de plus près, ce second paragraphe qui est assez long.

Si vous lisez ce second paragraphe, vous verrez apparaître une large série de motifs qui peuvent justifier la restriction du droit. Ces motifs peuvent être divisés en deux catégories. La première catégorie comprend une série de motifs qui se réfèrent à des intérêts publics ou des besoins sociaux. Il s’agit, notamment, de la sécurité nationale, de l’intégrité territoriale, la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale et, de plus, la divulgation d’informations confidentielles ou la garantie de l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Ensuite, nous voyons aussi une deuxième catégorie de motifs, des motifs qui se réfèrent à des intérêts des particuliers. Nous voyons dans la disposition la notion de protection de la réputation ou des droits d’autrui. Et nous voyons, au fond, exprimé, ici, l’idée que la liberté de l’un s’arrête là où commence la liberté de l’autre.

Nous trouvons dans la catégorie des droits soumis à la réserve d’ordre public essentiellement des libertés. En plus de la liberté d’expression, nous y trouvons, par exemple, la liberté de conscience, de croyance, et de religion, consacrée  à l’article neuf de la Convention ; la liberté d’association et de réunion, protégé à l’article 11 ; et la protection de la sphère privée et familiale, consacrée  à  l’article 8 de la Convention. Considérés dans leur ensemble, les buts ou motifs qui peuvent justifier une ingérence à ces droits touchent par leurs sommes à la notion générale d’ordre public. Ils ont une portée étendue, considérablement plus large que des exceptions bien circonscrites. Ils offrent à l’État de vastes possibilités de restrictions des droits. La jurisprudence confirme la portée large de ces motifs. Il n’existe, en effet, presqu’aucun cas où un organe de contrôle estime que la justification avancée par l’État n’est pas couverte par un des motifs prévus. Ce point justifie de distinguer des droits soumis à  la réserve d’ordre public des droits soumis à  des motifs limités de restrictions. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’y a jamais de violation des libertés, lorsque les droits sont soumis à  la réserve générale d’ordre public. Il y a, en effet, encore d’autres conditions qui doivent être réunies pour qu’une ingérence à une liberté soit justifiée.

L’article 10 de la Convention, qui consacre la liberté d’expression, le montre. Il faut que l’ingérence soit prévue par la loi et il faut qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique.

Reprenons les conditions de restrictions et plaçons-les dans l’ordre selon lequel elles sont examinées par le Juge, y compris la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour procède en trois étapes. Examinons successivement les différentes conditions dans l’ordre suivant. Tout d’abord, elle examine si l’ingérence est prévue par la loi, c’est l’exigence de la légalité. Ensuite, la cour examine si l’ingérence poursuit un but légitime, s’agit là de la condition que nous avons déjà  examinée? Finalement la cour vérifie que l’ingérence est nécessaire dans une société démocratique.

Ces trois conditions cumulatives sont capitales. Elles posent des limites aux limites. En soumettant les restrictions à des cautèles, elles garantissent que les droits de l’homme ne peuvent pas être relativisés sans limite. Les exigences d’une ingérence prévue par la loi est nécessaire dans une société démocratique figurent souvent, mais pas systématiquement également, parmi les conditions de restrictions applicables aux droits soumis à  des motifs limités de restrictions.

Nous l’avons vu, d’ailleurs, en examinant l’article cinq de la Convention. Souvenons-nous que l’article 5 subordonne la privation de liberté aussi à  l’exigence de la légalité. Tout dépend, pour ce type de droit, du libellé de la disposition et de l’interprétation faite par la jurisprudence. Il faut ainsi, pour ces droits, faire une analyse des conditions au cas par cas. Revenons toutefois sur les trois conditions de restrictions applicables aux droits soumis à la réserve d’ordre public.

La première condition, celle que la restriction doit être prévue par la loi, se réfère à un élément fondamental de l’État de droit, le principe général de la sécurité juridique, de la prévisibilité. Les particuliers doivent pouvoir déterminer les cas où l’exercice de leurs droits peuvent être limités, et à quelles conditions ces droits peuvent être limités? Cela leurs permet d’orienter leurs conduites en fonction et d’être protégés contre des ingérences arbitraires de l’État.

Du principe de la sécurité juridique et de la prévisibilité découle d’autres exigences. La loi doit être accessible aux citoyens et elle doit être suffisamment précise. Des normes trop vagues, ou très larges, offrants trop de latitudes aux autorités, rendent leurs conduites difficiles à  prévoir. Afin d’être conforme au principe de la sécurité juridique et de la prévisibilité, une loi doit être accessible aux individus et suffisamment précise.

Ce qu’on entend par la notion de loi peut varier en fonction de l’organe de contrôle. La Cour interaméricaine des droits de l’homme, par exemple, exige que la loi corresponde à un acte adopté par le parlement. Donc, il faut que l’acte ait une légitimité démocratique. Il émane des représentants élus par le peuple.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme, par contre, est moins stricte. Elle interprète la notion de loi de façon large et souple. Elle y englobe aussi des normes adoptées par l’exécutif et, dans les pays de la Common Law, les normes posées par la jurisprudence. Il est ainsi relativement rare que la cour constate qu’une restriction n’est pas prévue par la loi.

Quant à  la deuxième condition, exigeant que la restriction poursuive un but légitime, nous en avons déjà parlé. Nous avons vu que cette condition offre aux États de larges possibilités de limiter les droits, de sorte que l’État remplit très facilement cette deuxième condition.

C’est la troisième condition, qui dans la plupart des cas (est) décisive pour l’urcir de l’affaire, la condition selon laquelle la restriction doit être nécessaire dans une société démocratique. Nous trouvons dans cette troisième condition essentiellement deux éléments. Le premier élément est celui de la nécessité : lorsqu’un tribunal examine la nécessité d’une restriction, il procède à une mise en balance des intérêts publics et privés qui s’opposent dans un cas concret. Ce faisant, le juge examine une série de facteurs, notamment, l’importance de l’intérêts à invoquer pour justifier la restriction. Dans les paroles de la Cour européenne des droits de l’homme, il faut que la restriction repose sur un besoin social impérieux : l’adéquation de la mesure restrictive par rapport au but légitime poursuivi, l’existence des alternatives moins incisives pour atteindre le but poursuivi, et l’existence d’un rapport raisonnable entre la restriction du droit du requérant, d’une part, et l’intérêts légitime public ou privé, d’autre part. Il faut examiner, selon les termes de la Cour Européenne des Droits de l’Homme si l’ingérence est proportionnée par rapport au but poursuivi, si elle ménage un juste équilibre entre les intérêts en cause.

Le deuxième élément de la troisième condition de restriction est celui de la société démocratique. La mise en balance des intérêts doit se faire compte tenu des valeurs et caractéristiques d’une société démocratique. Ces valeurs incluent, selon la Cour européenne des droits de l’homme, notamment, la tolérance, le pluralisme, l’esprit d’ouverture, la protection des minorités. Ces valeurs impliquent qu’une mise en balance des intérêts n’est pas un calcul utilitaire. Le fait qu’une restriction soit approuvée par la majorité n’est pas déterminant. Accorder un poids décisif aux préférences majoritaires conduirait à la tyrannie de la majorité sur la minorité. Et ce serait contraire aux valeurs de la tolérance et du pluralisme.

La mise en balance des intérêts, compte tenu des valeurs fondamentales d’une société démocratique, est une opération complexe. Il n’y a en effet pas de métrique commune. On ne peut pas soupeser des intérêts comme on pèse des marchandises sur un marché. La mise en balance des intérêts implique nécessairement des jugements de valeur, raison pour laquelle les esprits peuvent diverger sur le résultat. Pourtant, établir une juste balance entre les intérêts qui s’opposent est un élément essentiel de la justice. La preuve en est que la justice est symbolisée par une femme aux yeux bandés qui tient dans une main une balance.

 

LES DROITS SOUMIS À LA RESERVE D’ORDRE PUBLIC : ILLUSTRATION A L’AIDE D’UN EXEMPLE

Voyons ensemble un exemple concret qui illustre l’examen de la nécessité de la restriction dans une société démocratique. Il s’inspire de l’arrêt Plon contre France[2]. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a dû se prononcer sur un conflit opposant, d’une part, la liberté d’expression, et le droit à la protection de la sphère privée, d’autre part. L’affaire portait sur l’interdiction de diffuser un ouvrage intitulé Le Grand Secret. Cet ouvrage avait été écrit par un journaliste et le médecin qui avait soigné l’ancien président de la France, François Mitterrand. François Mitterrand avait été atteint d’un cancer, déjà très peu après son élection, comme président, en 1981. L’ouvrage en question, Le Grand Secret, contenait de nombreux éléments couverts par le secret médical, notamment en lien avec le diagnostic et le traitement. L’ouvrage faisait aussi état des difficultés de garder la maladie secrète pendant la présidence de François Mitterrand. En effet, le président s’était engagé de publier tous les six mois un bulletin sur sa santé. L’ouvrage fut publié quelques jours après le décès du président. Les instances nationales prononcèrent, dans un premier temps, une interdiction provisoire et temporaire de diffuser l’ouvrage. Celle-ci fut remplacée, par la suite, par une interdiction définitive et permanente de diffusion. Cette deuxième mesure a été prononcée neuf mois après le décès du président. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été appelée à déterminer si ces deux mesures, donc l’interdiction temporaire, d’une part, et l’interdiction permanente, d’autre part, étaient nécessaires pour protéger la confidentialité et la protection de la sphère privée du défunt et de ses proches. Ces intérêts sont protégés par l’article huit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui consacre la protection de la sphère privée et familiale. En d’autres termes, le but légitime, par la restriction, a été la protection des droits d’autrui.

Nous sommes donc dans une constellation où deux droits de l’homme s’affrontent, il y a un conflit entre deux droits : d’une part, la liberté d’expression, et d’autre part, la protection de la sphère privée et familiale, justement du défunt et de sa famille.

De quels facteurs la Cour a-t-elle tenu compte pour déterminer si la balance penche, dans ce cas concret, en faveur de la liberté d’expression ou en faveur de la protection de la vie privée? Quels facteurs penchent de l’un ou de l’autre côté de la balance? Pèse en faveur de l’article huit de la Convention, le fait qu’il s’agit d’informations couvertes par le secret médical. Et de plus, ces informations concernent des aspects intimes de la vie du président.

Quant à la gravité de l’atteinte, la Cour estime qu’il faut tenir compte de l’écoulement du temps. L’atteinte est particulièrement grave pour la période immédiate, après le décès. Dans cette période, la publication de l’ouvrage et les débats qu’il a suscité portaient atteinte à la mémoire du défunt. Et cette information ne pouvait qu’aviver le chagrin des proches. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, la gravité de l’atteinte diminue.

Quels sont les facteurs qui pèsent en faveur de l’article 10 de la Convention? Tout d’abord, le fait qu’une interdiction de publier est une restriction grave de la liberté d’expression. La Cour le souligne dans de nombreux arrêts. Elle dit là aussi qu’il faut tenir compte, justement, de l’élément de société démocratique. Dans une société démocratique, des restrictions préalables sont des atteintes graves. Ensuite, il faut aussi voir que cette atteinte est particulièrement grave si la restriction est prononcée pour une période indéterminée, donc elle subsiste pour l’éternité. C’est le cas, en espèce, pour la deuxième sanction, la deuxième mesure qui a été prononcée.

Il faut aussi tenir compte du fait que l’interdiction de publier n’était pas la seule mesure qui a été prise. Il y avait en plus eu des condamnations pour violation du secret médical. Il y avait eu aussi des dommages et intérêts qui étaient alloués aux victimes.

Pèse également en faveur de l’article 10 de la Convention que l’ouvrage s’inscrit dans un débat d’intérêts général qui était en cours en France. Ce débat porte sur le droit du public à  être informé de la maladie grave dont souffrait le président. Et aussi un débat qui portait sur l’aptitude de ce dernier à  assumer de telles fonctions alors qu’il se savait gravement malade. En d’autres termes, est en jeu une question de nature politique, qui touche aussi sur la transparence dans le domaine de la politique.

Nous voyons, ici, donc, intervenir, à nouveau, l’élément de la société démocratique. Dans une démocratie, il est important que des sujets en liens avec des questions politiques puissent être débattus de façon ouverte. Il faut donc tenir compte du fait que la liberté d’expression ne protège pas uniquement des intérêts privés de la personne qui s’exprime, mais elle protège, aussi, des intérêts de la collectivité, intérêts de vivre dans un régime démocratique.

À part la gravité de l’atteinte, la Cour a aussi tenu compte de l’adéquation de la mesure. Au moment où l’interdiction de diffuser a été confirmée, au niveau national, donc neuf mois après le décès, l’information en cause et des passages de l’ouvrage avaient, de toute façon, déjà  été diffusés sur Internet et par d’autres canaux. Dans ces conditions, l’interdiction était peu utile. Elle ne poursuivait plus un besoin social impérieux.

Compte tenu de tous ces éléments, la Cour est parvenue à la conclusion suivante : l’interdiction temporaire de publier, prononcée quelques jours après le décès du président, était justifiée. Pour cette mesure, la balance penche donc en faveur de l’article huit de la Convention. Il n’y a donc pas eu de violation de la liberté d’expression.

En revanche, le maintien et la confirmation de cette interdiction, prononcée neuf mois après, était injustifiée et constituait, donc, une violation de la liberté d’expression, cela d’autant plus que d’autres mesures avaient déjà été prises, mesures d’ordre pénal et civil. En d’autres termes, pour cette deuxième mesure, la balance penchait en faveur de l’article 10 de la Convention.

Nous avons vu dans l’exemple de l’arrêt Plon contre France que la Cour s’est livrée à une analyse assez minutieuse. Parfois, la Cour européenne des droits de l’homme laisse plus de latitude aux États. Vous l’aurez constaté à la lecture de l’arrêt Handyside[3]. Dans cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme énonce les fondements d’une théorie qui joue un rôle important dans sa jurisprudence, la théorie dite de la « marge nationale d’appréciation ». Ces théories se fondent sur le principe de la subsidiarité du contrôle par une instance internationale. Comme le relève la Cour, dans l’arrêt Handyside, les autorités nationales ont une meilleure connaissance du terrain. Elles ont un contact plus direct avec la population. Pour cette raison, notamment, la Cour fait preuve d’une certaine retenue et leur laisse une certaine marge de manœuvre. La théorie de la marge nationale d’appréciation développée par la Cour européenne des droits de l’homme se fonde sur le principe de la subsidiarité du contrôle exercé par l’instance internationale.

Cette marge de manœuvre varie en fonction d’une série de critères. Savoir si la Cour laisse une grande ou une petite marge d’appréciation aux autorités nationales est souvent déterminant pour l’issue du litige. On peut retenir en substance que l’État gagne systématiquement lorsque la marge d’appréciation est étendue. Lorsqu’elle est très restreinte, le particulier a en revanche une grande chance d’avoir gain de cause. Comment savoir si la Cour laissera ou non aux États une grande marge d’appréciation? Selon la Cour, toute une série de critères sont déterminants. Tout d’abord, la nature du droit en cause et l’activité en jeu. La marge d’appréciation est, par exemple, petite lorsqu’une restriction de la liberté d’expression porte sur le discours politique, ou lorsqu’une atteinte à la sphère privée et familiale concerne les relations sexuelles, donc la sphère intime. La marge de manœuvre est en revanche étendue lorsque l’activité en cause porte sur un domaine complexe ou technique, comme par exemple l’urbanisme ou la concurrence déloyale.

Un deuxième élément, dont la Cour tient compte, est le but de la restriction. Lorsque celle-ci se fonde sur la moralité publique, la Cour estime que les États jouissent d’une grande marge d’appréciation parce que la morale varie en fonction du temps et de l’espace. C’était, par ailleurs, l’élément déterminant dans l’arrêt Handyside.

Autre élément déterminant est la pratique des États. Plus la pratique des États est uniforme, plus la marge d’appréciation se rétrécit. Plus elle est disparate, plus la marge d’appréciation s’étend pour ménager les particularismes nationaux. Dans la terminologie de la Cour européenne, il convient donc d’établir la présence ou l’absence d’un consensus européen.

Est-il justifié de laisser aux États une grande marge d’appréciation en fonction des critères évoqués? Cette question est controversée. Elle est controversée tant dans la doctrine que parmi les différents organes de contrôle. En effet, pas tous les organes de contrôle adoptent cette théorie. Cette théorie n’a notamment pas de place dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Elle n’est pas non plus appliquée par le Comité des droits de l’homme. Dans le système européen, une ample marge d’appréciation est revendiquée par certains et rejetée par d’autres.

Nous aurons, dans les deux semaines restantes de ce cours, l’occasion d’entendre un entretien avec un ancien juge de la Cour qui se prononcera Également  sur cette problématique. Gardez donc la à l’esprit.

 

CONCLUSION

Nous avons appris dans le cours d’aujourd’hui qu’il existe différents types de limites à  l’exercice des droits de l’homme. Nous avons fait leur connaissance à travers trois cas pratiques.

Le premier cas pratique, portant sur la détention d’étrangers soupçonnés d’activité terroriste nous a familiarisé avec la dérogation. Ce type de limite permet de suspendre de façon temporaire l’application des droits de l’homme dans des circonstances exceptionnelles, notamment la guerre, ou des crises graves. Nous avons vu que la dérogation est soumise à toute une série de conditions. Ces conditions sont essentielles pour éviter que l’état d’exception devienne la règle, et l’applicabilité des droits de l’homme ne deviennent qu’une exception. Ces conditions n’ont pas été remplies dans notre cas pratique, raison pour laquelle les droits de l’homme sont restés pleinement applicables.

Le deuxième cas pratique, celui concernant la fiche islamophobe, nous a initié à une autre limite. Celle de la déchéance ou de l’invocation abusive d’un droit de l’homme. Cette limite trouve application en tout temps. Donc non seulement dans des circonstances exceptionnelles, mais aussi en temps normaux. Il s’agit cependant d’une limite qui joue un rôle marginal. Elle a pour but d’éviter que les droits de l’homme soient invoqués pour saper les valeurs de base aux droits de l’homme et à la démocratie. Il s’agit de faire barrage à des mouvements totalitaires, racistes ou xénophobes. La déchéance joue ainsi un rôle dans le domaine de la liberté d’expression, de la liberté d’association et de réunion. La déchéance concerne essentiellement le discours de haine et les associations aux partis politiques totalitaires.

Le troisième cas pratique, concernant les menaces de mauvais traitements, nous a poussé à  examiner un troisième type de limite. Celui des restrictions. Les restrictions sont le régime de limite qui a la plus grandes importance pratique. Dans le domaine des restrictions, les droits de l’homme trouvent bel et bien application mais cette application peut être imparfaite. À certaines conditions, il est possible de relativiser le droit de l’homme pour le concilier avec d’autre droits ou d’intérêts généraux. Le troisième cas pratique nous a montré qu’il y a certains droits, peu nombreux, qui ne peuvent pas être restreints. Ils sont incompressibles ou absolus.

Parmi les droits compressibles, on peut distinguer deux catégories, selon l’ampleur des restrictions. Tout d’abord, les droits soumis des motifs limités de restrictions, et ensuite des droits soumis à la réserve générale d’ordre public. La deuxième catégorie offre à l’État des possibilités plus vastes de justifier une ingérence que c’est le cas pour la première catégorie. Même pour les droits soumis à la réserve générale d’ordre public, cela ne veut pas dire que ces droits peuvent être relativisés sans aucune limite. En effet nous avons vu que la restriction n’est justifiée que si trois conditions sont remplies. La restriction doit être prévue par la loi, elle doit poursuivre un but légitime, et elle doit être nécessaire dans une société démocratique. L’exigence de la légalité et de la nécessité dans une société démocratique s’ajoute ainsi à la condition de l’ingérence se fonde sur un motif légitime. Ces deux conditions, la légalité et la nécessité, s’appliquent souvent Également  aux droits soumis à des motifs limités de restriction.

Suite à ce cours, vous savez donc ce qu’on entend par une violation des droits de l’homme. Dans les deux semaines à  venir, vous allez vous familiariser avec les mécanismes qui ont pour but de contrôler le respect des droits de l’homme. L’objectif étant de prévenir, d’effacer ou de sanctionner des violations de droits de l’homme.

[1] Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Gäfgen c. Allemagne du 1er juin 2010

[2] Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Editions Plon c. France du 18 mai 2004

[3] Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976

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